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Edito : Science et Conscience : soyons lucides

Deux affaires récentes doivent nous inviter à réfléchir aux conséquences éthiques des extraordinaires progrès de la médecine et de la biologie. La première de ces affaires, largement médiatisée, est celle des soeurs siamoises, Mary et Jody, dont la Cour d'Appel britannique a ordonné, le 22 septembre dernier, contre l'avis des parents, la séparation. Dans ce cas dramatique, la cour anglaise a motivé son arrêt en soulignant que "Mary vit sur un temps emprunté à sa soeur, est incapable d'une existence indépendante et est destinée à la mort". Les médecins considèrent en effet que l'une des siamoises, Jody, pourrait mener une vie normale après la séparation, ce qui n'est pas le cas de Mary, l'autre siamoise qui dépend entièrement de sa soeur pour survivre. Mais cette décision de justice, pour fondée et argumentée qu'elle soit, suscite tout de même de profondes interrogations morales. Doit-on en effet pour sauver ou prolonger une vie, employer tous les moyens, y compris la suppression d'une autre vie ? Bien sûr, une telle question ne peut avoir de réponse simple et uniforme mais à mesure que la médecine va progresser, notre société va y être confrontée de plus en plus souvent. Une autre affaire tout aussi troublante vient d'ailleurs de nous rappeler que nous n'échapperons pas à une véritable réflexion éthique collective sur le sens de la vie et de la dignité humaine. Aux Etats-Unis, des médecins ont en effet créé un "bébé éprouvette" spécialement sélectionné pour sauver la vie de sa soeur aînée atteinte d'une maladie héréditaire grave entraînant la destruction de la moelle épinière puis la mort. Ce bébé, né en août dernier, va peut-être permettre à sa soeur de survivre grâce aux cellules que l'on va pouvoir lui prélever pour les greffer à sa soeur. Là encore, d'un point de vue strictement médical, le but recherché semble irréprochable : il s'agit de sauver la vie d'une petite fille promise à une mort certaine faute de traitements alternatifs. Mais comment cependant ne pas être troublé en pensant que la conception de son frère répond uniquement à une nécessité thérapeutique, pour ne pas employer le mot "utilité". Il ne s'agit pas, à travers ces deux exemples, de juger, et encore moins de condamner, deux décisions médicales correspondant à des situations exceptionnelles. Nous devons pourtant, avant que la puissance des technologies du vivant ne transforme l'homme en démiurge, réconcilier science et conscience pour reprendre le titre d'un remarquable essai écrit par Edgar Morin il y déjà 15 ans. Demain ou après-demain, ce n'est qu'une question de temps, le clonage thérapeutique permettra de produire des "doubles" de nous-mêmes qui pourraient être utilisés comme "réservoirs" d'organes et de tissus en cas de maladie. Quel sera le statut de ces entités biologiques ? La connaissance des lois les plus intimes de la vie nous donne-t-elle le droit d'instrumentaliser le vivant, non seulement pour soulager la souffrance, mais aussi pour prolonger jusqu'à l'extrême limite une existence ou de plus en plus, par simple convenance personnelle, pour améliorer notre confort, et peut-être demain, pour tenter "d'améliorer" l'espèce humaine elle-même. La science, quelle que soit sa puissance, ne peut apporter à l'homme autre chose que des réponses scientifiques à des questions scientifiques. Elle ne peut en aucun cas répondre aux interrogations fondamentales de l'homme en matière existentielle, spirituelle et morale. Nous ne pouvons qu'être émerveillés devant les progrès inimaginables des sciences de la vie et les perspectives d'amélioration de la condition humaine dont ils sont porteurs. Mais ce légitime enthousiasme ne doit pas altérer notre lucidité, ni réduire nos exigences morales qui doivent au contraire être à la hauteur de ces avancées fulgurantes. Au-delà de la prochaine et nécessaire actualisation de notre cadre législatif sur la bioéthique, il nous appartient de réfléchir ensemble à ces questions fondamentales et de veiller à ce que la science reste à jamais au service de l'humanité dans sa diversité et de l'homme dans sa liberté et sa dignité irréductibles.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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