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Edito : La réalité virtuelle, nouvel outil thérapeutique majeur

En moins de dix ans, la réalité virtuelle s'est imposée comme un nouvel outil thérapeutique majeur non seulement en médecine et en chirurgie mais également dans le domaine des troubles psychologiques et de la rééducation des personnes handicapées.

C'est ainsi que des scientifiques japonais de l'Université de Tokyo développent actuellement des outils capables de "sentir" la forme et la texture des objets qu'ils touchent. Ces nouvelles avancées en haptique (étude scientifique du toucher) pourraient révolutionner la chirurgie. Pour démontrer les possibilités de leur technologie Smart-Tool, les chercheurs ont utilisé un verre dans lequel se superposaient une couche d'huile et une couche d'eau. Alors que la distinction est impossible au toucher, le stylet Smart-Tool a permis de distinguer les deux milieux. L'expérience a pu être reconduite avec des oeufs durs, le stylet distinguant le jaune du blanc. On imagine les possibilités chirurgicales qu'auraient des scalpels équipés de cette technologie.

En France il faut signaler les remarquables travaux réalisés par l'équipe VIRTUALS de l'Institut de Recherche contre les Cancers de l'appareil Digestif (IRCAD) qui ont permis de mettre au point une nouvelle technique de détection et de délimitation automatique des tumeurs hépatiques dès 3 mm d'épaisseur. Non seulement ce système détecte les lésions à partir de 3 mm d'épaisseur avec une précision inférieure au millimètre, mais il permet également une amélioration significative des actes chirurgicaux grâce à l'apport de la reconstruction 3D du patient avant et pendant l'opération. Ces outils de traitement d'images médicales, permettent également de reconstruire automatiquement en 3D un patient virtuel, copie conforme du véritable patient.

Mais les applications de la réalité virtuelle ne se limitent plus à la chirurgie et concernent à présent de nouveaux et vastes domaines, tels que la rééducation des personnes handicapées ou le traitement de certains troubles psychologiques. C'est ainsi qu'en kinésithérapie l'utilisation judicieuse de la réalité virtuelle peut à présent offrir de nouvelles perspectives aux handicapés moteurs. Comme l'a souligné récemment Tamar Weiss, de l'Université de Haïfa (Israël), à l'occasion du salon international de la réalité virtuelle à Laval (Mayenne), " La thérapie conventionnelle, qui consiste à faire répéter les mêmes gestes aux handicapés pour maintenir ou leur faire acquérir certaines capacités physiques, est "statique, ennuyeuse et routinière, et le patient est souvent enfermé en lui-même".

Cette chercheuse a présenté aux visiteurs une vidéo très remarquée dans laquelle on voyait un homme souriant, concentré, frappant les balles colorées qui lui étaient envoyées. Le patient se voit agir sur l'écran mural placé face à lui, un effet miroir qui stimule les capacités d'apprentissage moteur. A chaque fois qu'il parvenait à toucher l'une de ces balles, celle-ci se métamorphosait en oiseau. Grâce aux possibilités nouvelles offertes par la réalité virtuelle, cette chercheuse israélienne a démontré que des exercices auparavant fastidieux peuvent être transformés en un jeu bien plus motivant et agréable pour le patient.

Cette rééducation virtuelle a déjà permis à plusieurs personnes victimes d'accidents vasculaires cérébraux de récupérer de manière remarquable leurs capacités motrices. L'apprentissage est accéléré par la correction en direct du geste lorsque le patient se voit lui-même ou peut superposer son mouvement à celui qu'il est censé accomplir.

Autre exemple de thérapie virtuelle : un appareil mis au point à l'hôpital de Valence (Espagne), où une projection virtuelle du bras sain du malade, renversée, va servir de modèle pour la rééducation du bras endommagé. Ce retour d'action en temps réel a également des effets remarquables sur des victimes d'accidents vasculaires dont les mains ont été lésées : équipées de gants dits haptiques, qui enregistrent et retransmettent à l'utilisateur la force exprimée sur les doigts, elles peuvent réapprendre à boutonner leur vêtement.

Une équipe du centre hospitalier universitaire de St Etienne a choisi quant à elle de miser sur l'encouragement à l'effort. Travaillant elle aussi sur des personnes handicapées à la suite d'un accident vasculaire cérébral (seuls 15 % des patients paralysés des membres supérieurs recouvrent une motricité avec les thérapies actuelles), elle propose un prolongement virtuel du bras qui accomplit sur écran les mouvements requis. Le cerveau, stimulé, finit souvent par retrouver le chemin de la commande. On en est encore au stade des études, mais "l'efficacité clinique de la réalité virtuelle sera démontrée sans équivoque dans les deux années à venir", estime Mme Weiss.

La réalité virtuelle pourrait aussi servir à améliorer l'environnement des handicapés. Le laboratoire "Mouvement et perception" (CNRS) à l'Université de Marseille cherche à mettre au point un fauteuil roulant "intelligent", capable de contourner seul les obstacles, développé dans le monde virtuel où les accidents sont sans conséquences.

Au Centre européen de réalité virtuelle (Cerv) de Brest, ce sont les appartements des handicapés que l'on intègre à l'informatique. Devenus "agents intelligents", murs, portes et mobilier s'adaptent à l'humanoïde spécifique qui habite les lieux. Des transformations que l'on peut ensuite traduire dans la réalité.

Mais la réalité virtuelle pourrait "également avoir de nombreuses applications dans le traitement des phobies ou peurs maladives courantes. Samantha Smith, du département de psychiatrie et de sciences du comportement de l'Université de Médecine d'Emory, a ainsi pu montrer que des thérapies basées sur la réalité virtuelle s'avèrent aussi efficaces que les thérapies traditionnelles d'exposition in vivo pour surmonter la peur de l'avion. La peur des patients diminue et disparaît même au point qu'ils deviennent capables de prendre réellement l'avion. Une des conclusions les plus intéressantes de cette étude est que l'utilisation de la réalité virtuelle pourrait être utilisée pour traiter des phobies très variées.

En France, deux projets européens majeurs ont démontré la pertinence des thérapies virtuelles dans le traitement des phobies. A Laval, le Centre lavallois de ressources technologiques (Clarte) et l'ESIEA ont participé au projet Intrepid, qui a abouti à la création d'un système portable et de trois mondes virtuels en relief pour le traitement de la peur des araignées, du vertige et de la phobie de la voiture.

De son côté, le laboratoire Greyc de l'Ensi, à Caen, a travaillé en partenariat avec l'hôpital Sainte-Anne de Paris sur le traitement de la phobie sociale dans le cadre du projet Vepsy. Ces expériences démontrent que la réalité virtuelle peut s'avérer aussi efficace, tout en étant moins coûteuse et plus simple à recréer, qu'une thérapie en situation réelle.

On voit donc qu'en moins de dix ans, la réalité virtuelle est devenue un outil indispensable dans l'ensemble du domaine médical, tant pour les affections physiques que psychologiques. Mais cette révolution ne fait que commencer et d'ici 10 ans, la réalité virtuelle sera omniprésente dans tous les actes et examens médicaux. Souhaitons que la France, qui a su développer de remarquables compétences dans ce domaine d'avenir, maintienne son effort pour rester à la pointe dans ce domaine qui va bouleverser les sciences médicales et humaines.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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