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Edito : Quelles sont les frontières du vivant ?

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Editorial :

Depuis le début de ce siècle, de nouvelles et surprenantes découvertes sont venues bousculer tous les dogmes de la biologie et sans cesse repousser les limites de la conception et de la définition que nous nous faisions du vivant, tant dans ses formes que dans son évolution. Il est impossible ici de relater l’ensemble de ces avancées, mais certaines méritent d’être rappelées. En 2006, la découverte de la bactérie Carsonella rudii, ne comportant que 182 gènes, a remis en cause un dogme qui fixait à au moins 200 le nombre théorique minimal de gènes qu'une bactérie devait posséder pour être autonome.

En février 2020, la découverte d'une famille inconnue de bactériophages (des virus qui infectent les bactéries) possédant des gènes que l'on pensait réservés aux bactéries a fait l'effet d'un coup de tonnerre dans le monde de la biologie.  Des chercheurs de l’Université de Californie à Berkeley (États-Unis), ont découvert de nouveaux groupes entiers de bactériophages géants, comportant jusqu’à 351 séquences de gènes, codant des protéines et des ribosomes. Le plus grand de ces nouveaux phages découverts n’avait pas moins de 735 000 bases d’ADN, soit 15 fois plus que les autres phages connus. La connaissance de ces phages est un enjeu scientifique et médical majeur, car ils sont capables de transférer les gènes des toxines bactériennes et de résistance aux antibiotiques entre bactéries pathogènes (Voir UC Berkeley).

Baptisés "huge phages", cette nouvelle famille de micro-organismes est déroutante et échappe aux classifications admises du vivant. Ces phages ne sont pas les virus les plus gros, qui restent les virus géants (comme le gigantesque et incroyable Pandoravirus, découvert par des chercheurs français en Australie et au Chili en 2013, qui fait plus d’un micromètre de long et compte 2500 gènes), mais de petits virus avec de gros génomes, contenant de nombreux gènes, ce qui brouille encore un peu plus les limites entre la vie et la non-vie.

Commentant ces découvertes, le biologiste moléculaire et professeur à AgroParisTech, Thomas Heams, auteur de l’essai "Infravies, le vivant sans frontières", souligne qu’il faut à présent changer notre regard sur le vivant et considérer la vie comme un continuum, dont les frontières précises sont mouvantes et imprécises, et qui évolue, de façon non linéaire, du minéral à l’organisme complexe, dans un jeu subtil d’interactions et rétroactions avec l’environnement.

Thomas Heams prend l’exemple du métabolisme, une propriété considérée comme fondamentale pour un être vivant. Il souligne que ce métabolisme ne concerne qu'une étape du cycle viral, celle des virions, forme inerte du virus. Mais lorsque ces virions prennent le contrôle d'une cellule et détournent son métabolisme à leur profit, ils s’intègrent à celle-ci, au point d’en devenir une composante à part entière. On peut donc dire que les virus sont des entités qui, par nature, alternent des phases de vie et de non-vie. Ce chercheur souligne également que, comme l’avait d’ailleurs bien pressenti Darwin, l’évolution du vivant va généralement dans le sens d’une complexité accrue, mais peut également, sous la pression du milieu, aller dans l’autre sens, celui d’une simplification.

Un bel exemple de cette évolution « à l’envers » est fourni par la bactérie Carsonella rudii, qui a colonisé des cellules d'insecte qui remplissent à sa place certaines de ses fonctions. De ce fait, cette bactérie a évolué en se débarrassant de nombreux gènes devenus inutiles. Cet exemple remarquable montre clairement que l’évolution privilégie toujours la capacité d’adaptabilité au milieu et de survie, et qu’elle sait employer toutes les voies possibles pour y parvenir, que ces chemins passent par une plus grande complexité, ou, au contraire, par une simplification salutaire.

Autre découverte de taille : en mars 2019, des chercheurs de l'Université de Genève (Unige) ont eu la surprise de découvrir des bactéries vivant sous 400 mètres de sédiments de la mer morte, dans un milieu obscur, hyper-salin, très pauvre en oxygène et pratiquement dépourvu de nourriture. Ces recherches ont pu montrer que la vie existait dans ce milieu hostile depuis au moins 200 000 ans (Voir Geoscienceworld). « Nous pensions que seules des archées, une forme plus rudimentaire de vie, pouvaient survivre dans de telles conditions », explique Daniel Ariztegui, chercheur au département des sciences de la Terre de l’UNIGE. Selon cette étude, ces bactéries se nourrissent d’archées mortes, qui constituent la seule source de carbone disponible dans les sédiments pour se nourrir. Ces bactéries ont, en outre, au fil de leur longue évolution, appris à ralentir à l’extrême leur métabolisme, pour atteindre un incroyable niveau d’efficience énergétique, au point de procéder à une division cellulaire tous les 100.000 ans.

Mais si la vie a réussi à coloniser la croûte supérieure de la Terre, a-t-elle réussi le même exploit pour la croûte océanique inférieure ? Et bien oui, si l’on en croit une autre étude publiée en mars dernier par des chercheurs américains de la Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI) qui ont exploré une crête sous-marine nommée Atlantis Bank qui coupe le sud de l'océan Indien. Dans cette région, la croûte océanique inférieure présente la particularité d’affleurer au niveau du fond de l'océan, ce qui est une véritable aubaine pour les chercheurs, qui peuvent ainsi explorer des zones enfouies à 750 m de profondeur sous l'océan, et donc normalement totalement inaccessibles (Voir Nature).

Comme leurs homologues de la Mer morte, les bactéries découvertes dans ce milieu très hostile ont développé d’extraordinaires capacités à décomposer et à stocker du carbone dans leurs cellules. Certaines d’entre elles possèdent toute une batterie de gènes leur permettant de décomposer l'azote et le soufre pour générer de l'énergie, produire des vitamines ou recycler des acides aminés.

Récemment, des scientifiques japonais ont réussi, pour leur part, à ressusciter des bactéries, vieilles de 13 à 100 millions d’années et à les faire se reproduire en laboratoire. Ces microbes ont été récoltés dans une région du Pacifique Sud située au sud de l'équateur entre l'Amérique du Sud et l'Australie. Cette zone est connue pour être la plus pauvre en nutriments (Voir Nature Communications). Après avoir extrait ces bactéries de l’océan, les chercheurs les ont nourries pendant deux mois et demi en nutriments riches en carbone et en azote. Ils ont constaté une production d’atomes de carbone et d’azote à l’intérieur de ces microbes, ce qui prouve que ceux-ci s’étaient « réveillés » et se remettaient à vivre normalement. « C’était incroyable : 99,1 % des microbes avaient survécu et ont pu être réanimés », commente Yuki Morono, l'auteur principal de l'étude.

Mais si la vie est présente dans les entrailles de la Terre et au fond des océans les plus profonds, elle est aussi bien active dans la haute atmosphère, contrairement à ce que l’on a longtemps imaginé. En 2013, des chercheurs américains ont découvert que la haute troposphère, partie de l'atmosphère située entre six et dix kilomètres d'altitude, recèle de nombreux micro-organismes, dont plusieurs types de bactéries. Plus de la moitié des bactéries contenues dans les échantillons collectés étaient vivantes et étaient présentes dans le ciel depuis plus d’une semaine. Le Professeur Kostas Konstantinidis ('Institut d'ingénierie de Georgie), qui a dirigé ces recherches, pense que ces bactéries ont probablement une grande influence sur la météorologie et le climat terrestre.

Les chercheurs ont été stupéfaits de constater la présence de 17 espèces de bactéries différentes, présentes en grande quantité dans la partie haute de la troposphère. Certaines d’entre elles étaient aussi capables de métaboliser les composants de carbone présents dans l'atmosphère, provenant surtout des émissions de dioxyde de carbone (CO2), principal gaz à effet de serre.

Quittons à présent la Terre et rendons-nous sur Mars, où, il y a deux ans, le rover Curiosity, en activité depuis 2012, a découvert, à l’intérieur d'un cratère martien dénommé Gale, des molécules organiques dans des échantillons de roche sédimentaire argileuse. Il s’agit de composés thiophéniques, aromatiques et aliphatiques, associés à l'activité de forme de vie. Certes, la NASA a bien précisé que ces composés pouvaient être le résultat de réactions purement chimiques et géologiques, mais en mars dernier, deux exobiologistes, Dirk Schulze Makuch de l'Université de l'État de Washington et Jacob Heinz de la Technische Universität de Berlin, ont publié une étude qui, sans trancher entre les deux interprétations, indique néanmoins que la probabilité que les thiophènes découverts sur Mars soient d’origine biologique leur semble plus grande que celle d’une origine chimique (Voir Astrobiology).

Il faudra cependant probablement attendre les résultats de la prochaine mission d’exploration martienne, celle qui verra se poser en février prochain, sur la planète rouge, le rover Perseverance (parti en juillet dernier de Cap Canaveral) pour pouvoir enfin découvrir des traces d’une éventuelle vie rudimentaire dans le sous-sol martien. Perseverance doit en effet prélever, si tout se passe comme prévu, une trentaine d'échantillons de roches qui seront récupérés par une future mission américano-européenne et rapportés sur Terre vers 2031.

Enfin, une autre découverte récente tout à fait surprenante concerne celle réalisée par une équipe d’astronomes dirigée par Jane Greaves, chercheuse de l’Université de Cardiff (Royaume-Uni), à l’aide de données collectées avec des télescopes à Hawaii et au Chili. Ces chercheurs ont en effet détecté la présence de phosphine (à une concentration de l’ordre de 20 parties pour un milliard) dans la haute l’atmosphère de Vénus, entre 50 et 60 kilomètres au-dessus de la surface de cette planète très inhospitalière (Voir Nature Astronomy). Or, il n’existe aucun mécanisme non biologique connu de production de phosphine sur Vénus. Serait-il donc possible que la présence de ce gaz révèle l’existence de microbes extraterrestres ? Selon cette étude, cette hypothèse peut sérieusement être envisagée, car la phosphine est un gaz qui doit être continuellement renouvelé, ce qui suppose l’existence d’une source, quelle qu’elle soit. Fait très intéressant, c’est la première fois que l’on découvre des traces de phosphine sur une planète tellurique autre que la Terre, où elle résulte de l’activité de bactéries anaérobies (qui vivent sans oxygène).

Toutes ces découvertes passionnantes convergent pour nous révéler un phénomène du vivant impossible à cerner de façon précise, et échappant à toute tentative de définition ultime. Tout se passe comme si, à mesure que nous explorions la complexité insondable du vivant, celui-ci, dévoilant sans cesse de nouvelles formes et de nouvelles propriétés, nous échappe sans cesse…Et il y a fort à parier, selon nombre de scientifiques, qu’il pourrait y avoir dans notre système solaire, et dans l’univers, des formes de vie si étranges, et si différentes de celles que nous connaissons, que nous serions peut-être incapables de les voir, si nous y étions confrontés !

Ce qui est certain, c’est qu’en attendant la découverte d’une possible vie extraterrestre, qui serait un événement scientifique (et philosophique) d’une immense portée, nous devons poursuivre l’exploration des prodigieuses formes de vie à l’œuvre partout sur notre planète, non seulement pour aller toujours plus loin dans la connaissance fondamentale de ce processus du vivant, qui a conduit, en 3,8 milliards d’années, du premier organisme monocellulaire à l’Homme, mais aussi parce que cette compréhension des formes les plus insolites et improbables de la vie est une source inépuisable d’innovations et de progrès, dans les domaines de la biologie, de la médecine et des biotechnologies, bien sûr, mais également dans ceux, non moins importants, de l’énergie, de l’alimentation et de l’environnement, dont l’Humanité a tant besoin pour affronter les redoutables défis de ce siècle, à commencer par la pandémie qui nous frappe et le changement climatique qui menace notre civilisation…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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