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Edito : Quel est l'avenir du solaire spatial ?

Je reviens cette semaine sur un vieux rêve de l’Humanité qui va peut-être enfin prendre forme : capter directement dans l’Espace l’énergie illimitée et inépuisable de notre Soleil pour l’utiliser sur notre Terre. Il y a un siècle, le grand scientifique russe Constantin Édouardovitch Tsiolkovski, souvent considéré comme le fondateur de l’astronautique moderne, se demandait déjà comment exploiter cette fabuleuse énergie solaire depuis l’Espace. En 1941, le célèbre auteur de SF Isaac Asimov (l’auteur des trois lois de la robotique), dans sa nouvelle intitulée "Raison", imaginait également un futur dans lequel les scientifiques étaient capables de capter l’énergie solaire dans l’Espace pour la renvoyer sur notre planète.

Mais c’est en 1968 que le scientifique américain Peter Glaser publia la première étude complète qui portait sur une centrale solaire orbitale. Il calcula de manière remarquable qu’une telle installation spatiale, utilisant un faisceau de micro-ondes à 2,45 GHz, serait capable d’extraire presque dix fois plus d’énergie par m2 qu’une centrale terrestre (4,25 GHz par hectare et par an, contre seulement 0,5 pour une installation terrestre). Mais à l’époque, le coût de construction d’une telle centrale spatiale avait été jugé dissuasif (au moins 100 milliards de dollars), notamment à cause de la mise sur orbite d’une charge totale de l’ordre de 10 00 tonnes, sans compter les coûts liés à l’assemblage complexe d’une telle structure dans l’Espace et à la construction de stations de réception au sol d’une surface de plusieurs dizaines de km2… Finalement, la NASA abandonna son projet ambitieux, publié en 1980, de mise sur orbite d’une soixantaine de centrales solaires spatiales de 5GW de puissance unitaire, soit au total, l’équivalent de la production électrique de 60 réacteurs nucléaires.

Quarante ans plus tard, ce concept futuriste de centrale solaire fait un retour en force sous le double effet de la transition énergétique mondiale et de l’urgence de la lutte contre le réchauffement climatique. Le California Institute of Technology (Caltech), près de Los Angeles, a récemment annoncé qu’il allait expérimenter une technologie permettant de transférer de l’énergie électrique depuis un satellite jusqu’à notre planète grâce à des ondes à radiofréquence. L’armée américaine a, de son côté, effectué des essais concluants de transmission d’énergie sous forme ondulatoire, à partir d’un panneau solaire de petite taille, transporté par la navette spatiale X-37B de la Nasa, à 400 kilomètres d’altitude.

Depuis les années 80, la donne économique et technologique a également radicalement changé concernant les coûts globaux comparés (investissement et fonctionnement) d’une centrale solaire spatiale et de son équivalent en nucléaire terrestre de nouvelle génération. Une étude réalisée par le cabinet de conseil britannique Frazer-Nash, à partir de données fournies par des grands groupes comme Airbus et Thales, montre que le coût par mégawattheure (MWh) de l’énergie solaire spatiale pourrait à terme représenter la moitié de celui du nucléaire nouvelle génération, estimé à plus de 120 euros du MWh par la Cour des comptes, soit le double du coût des centrales nucléaires anciennes, déjà amorties. Cette analyse rappelle également que la centrale EPR de Hinkley Point (GB) aura coûté finalement 27 milliards d’euros pour 3,2 gigawatts (GW), un chiffre à comparer avec un satellite solaire de 2GW, qui devrait coûter 19 milliards d’euros, puis 4,2 milliards d’euros par unité supplémentaire de 2GW…

Après avoir affirmé ses ambitions en matière de présence permanente sur la Lune et d’exploitation des richesses minières et énergétiques de notre satellite, la Chine est bien décidée à devenir un leader mondial dans ce domaine stratégique du solaire spatial. Elle a installé en 2019 une base expérimentale à Chongqing, où elle a testé avec succès la transmission de micro-ondes depuis des montgolfières. Il y a quelques semaines, la Chine a créé l’événement en annonçant la construction d’ici à 2030 d’une centrale solaire en orbite de 1 mégawatt, puis d’une version de 1 gigawatt en 2045, qui pourrait faire une surface de près de deux km2.

Mais pourquoi vouloir déplacer la production d’énergie solaire dans l’Espace, sachant qu’elle est bien plus complexe et onéreuse à mettre en œuvre dans ce milieu hostile et lointain. Pour plusieurs raisons qui font qu’à terme, en dépit des difficultés technologiques à surmonter, un nombre croissant de scientifiques, mais aussi de responsables politiques et d’entrepreneurs sont convaincus que le solaire spatial sera à la fois inévitable et rentable, si nous voulons répondre de manière durable et non émettrice de CO2 à la soif d’énergie d’une humanité de dix milliards d’habitants. Le solaire spatial ne connait ni les nuages, ni le mauvais temps et fonctionne jour et nuit, avec un rendement énergétique par km2 plus de dix fois supérieur à son homologue terrestre. En outre, le rendement des dernières cellules solaires de laboratoire dépasse les 40 %. Tous ces atouts réunis font que, d’après la Nasa, le coût nécessaire pour envoyer 1 kg de matériel dans l’Espace a été divisé par 20 en dix ans, notamment grâce à l’arrivée fracassante des lanceurs réutilisables de SpaceX.

C’est dans ce contexte que la Chine a présenté son concept de Space Solar Power Station (SSPS), une technologie globale visant à la production massive d’énergie électrique, à partir de l’énergie solaire captée dans l’Espace (Voir CGTN). Une équipe de recherche de l'Université de Xidian, à Xi'an, capitale de la province du Shaanxi (nord-ouest de la Chine), vient de terminer la première vérification au sol à l'échelle de la chaîne complète du système pour une centrale solaire spatiale, dans le cadre de son projet « Zhuri » ou « A la poursuite du soleil ». Concrètement, l’étude publiée dans la revue China Space Science and Technology prévoit un premier transfert de haute tension spatiale et de transmission d'énergie sans fil, réalisée par un satellite générant 10 kilowatts de puissance, placé en orbite terrestre basse en 2028.

Viendra ensuite la phase 2 en 2030, qui consistera à placer un autre satellite en orbite géostationnaire et à effectuer un transfert d'énergie d’un MW, sur une distance de 35 800 kilomètres jusqu'à la Terre. Les phases 3 et 4 sont prévues pour 2035 et 2050, avec des productions d’énergie multipliées d’abord par dix (10 MW), puis… par 2000 (2 gigawatts), pour parvenir finalement à une mégacentrale solaire spatiale opérationnelle, au milieu du siècle. Parallèlement, la Chine travaille à l’amélioration des d'infrastructures au sol, chargées de recevoir cette énergie spatiale sous forme de micro-ondes (Voir The Eurasian Times). Il s’agit pour les scientifiques chinois de parvenir à produire et à contrôler des faisceaux d’énergie plus denses et plus focalisés, de façon à améliorer encore l’efficacité énergétique globale de ces futures centrales spatiales géantes, tout en réduisant la surface nécessaire des installations terrestres de réception.

Le Royaume-Uni envisage également d'avoir un démonstrateur solaire en orbite d'ici 2035, et plus de 50 organisations britanniques, dont le constructeur aérospatial Airbus, l'Université de Cambridge et le fabricant de satellites SSTL, ont rejoint la UK Space Energy Initiative lancée en 2021, qui a établi un plan de développement sur 12 ans visant à aboutir à une centrale électrique de démonstration, assemblée par des robots en orbite (Voir The Conversation). Le Royaume-Uni a décidé de consacrer pas moins de 17 milliards de livres sterling à cet ambitieux projet qui vise à réaliser une grande centrale solaire opérationnelle en 2040. Cette installation spatiale, digne d’un film de Science-Fiction, se veut comparable au projet chinois, avec un diamètre de 1,7 km et un poids total de 2 000 tonnes. Elle serait en mesure de fournir 2 GW par an d'électricité au Royaume-Uni.

Ces futures centrales solaires spatiales pourront également bénéficier des avancées majeures réalisées par les cellules solaires, en matière d’efficacité énergétique. Récemment, des chercheurs de l’Université de Stanford ont conçu une nouvelle lentille optique de forme pyramidale, capable de recueillir et de concentrer jusqu’à 90 % de la lumière, bien plus que les panneaux solaires monocristallins, qui culminent à 24 %.

L’appareil, que les chercheurs appellent AGILE — pour Axially Graded Index Lens, ressemble à une pyramide à l’envers avec la pointe coupée. La lumière pénètre par le dessus carré sous n’importe quel angle, puis est focalisée vers le bas pour former un point plus lumineux à la sortie. Mais la grande innovation de cette technologie, c’est que ces chercheurs ont réussi à concevoir une lentille qui capte les rayons sous tous les angles, mais concentre toujours la lumière à la même position de sortie, sans avoir à modifier la position de la lentille pour faire face au Soleil.

Pour parvenir à ce résultat remarquable, ces scientifiques ont calculé comment concentrer la lumière diffusée à l’aide d’un matériau qui augmente progressivement l’indice de réfraction, c’est-à-dire de la vitesse à laquelle la lumière se déplace à travers un matériau qui va courber ce faisceau lumineux vers un point focal. C’est en superposant différents verres et polymères qui modifient la courbure de la lumière que ces chercheurs ont pu réaliser ces lentilles solaires proches de la perfection, qui pourraient encore multiplier par quatre l’efficacité énergétique du solaire spatial, qui deviendrais alors quarante fois plus productif, à surface égale, que le solaire terrestre.

Dans la seconde moitié de notre siècle, une centaine de ces centrales solaires spatiales géantes pourraient, selon certains scientifiques, produire au moins 20 % de la consommation mondiale totale d’électricité prévue en 2050 (de l’ordre de 36 000 Twh par an). Combinée à l’éolien marin de nouvelle génération, au solaire terrestre et à la fusion contrôlée, qui fait des pas de géants depuis quelques mois et sera probablement opérationnelle à cette échéance, le solaire spatial pourrait donc permettre à l’Humanité de satisfaire ses besoins croissants en énergie propre et décarbonée. Mais le développement à grande échelle de ce mode de production d’énergie doit également être envisagé comme un formidable moteur d’innovations technologiques de rupture dans une multitude de domaine, matériaux, électronique, robotique, informatique, chimie, propulsion spatiale…

Les deux géants américain et chinois ne s’y sont pas trompés et ont pris une avance considérable dans ce concept technologique clé pour notre avenir. Si l’Europe et la France veulent rester dans cette course scientifique, mais aussi stratégique majeure, tout en confortant leur avance dans la lutte contre le réchauffement climatique et la sortie des énergies fossiles, elles doivent, elles aussi, lancer sans tarder un grand projet sur les trente prochaines années, fédérant toutes les compétences et moyens de la recherche publique et de l’industrie afin de disposer également, au tournant du siècle, de cette technologie globale, alliant l’Espace, l’énergie et l’intelligence artificielle…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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