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Edito : Qu'est-ce que la conscience ?

Depuis l'Antiquité, scientifiques et philosophes ont essayé de définir ce phénomène fascinant mais insaisissable de la conscience. Il faut rappeler que le mot "conscience", vient du latin "cum scientia" qui signifie «savoir avec», savoir que l’on sait. Ainsi, lorsque j’ai conscience qu'il fait chaud, j'ai également conscience de ressentir physiquement cette chaleur. La conscience de quelque chose est donc inséparable de la conscience d’en avoir conscience. Toute conscience est donc réflexive et avoir conscience, c’est à la fois s’apercevoir que l’on perçoit quelque chose et donner un sens à ces perceptions. Pour le philosophe William James, la conscience est inhérente à notre expérience personnelle de la perception, de la pensée, de l'émotion et de l'action. Pour Lionel Nacache, célèbre neuroscientifique, la conscience est la capacité d’un sujet à se rapporter à une représentation ou un état mental. Cet éminent chercheur, qui a longtemps travaillé sur la conscience avec Jean-Pierre Changeux, considère, dans le prolongement de la phénoménologie, qu’on ne peut pas séparer la conscience de son contenu et qu'être conscient, c’est toujours être conscient de quelque chose. La conscience est par nature un état subjectif qui ne peut pas être observée directement, contrairement à des paramètres biologiques objectifs et mesurables comme le taux de glucose dans le sang ou l’activité cardiaque.

C'est pourquoi les neurosciences cherchent, en utilisant des outils toujours plus performants et sensibles, à étudier et à repérer les activités et structures cérébrales spécifiques qui sont associées à la conscience. Et pour compliquer encore cette approche scientifique de la conscience, nous savons à présent, grâce à de récents travaux, comme ceux de Nathan Favre (CNRS), que ce phénomène de conscience, aussi étonnant que cela puisse paraître, ne semble pas se circonscrire au seul cerveau et à la pensée. Il a en effet été démontré que des perturbations corporelles, telles que les altérations de la perception du corps, influencent notre conscience de soi et notre capacité à traiter l’information sensorielle. Actuellement, il existe quatre principales théories de la conscience. La première est l’espace de travail global (TETG), selon laquelle des données rendues accessibles à un endroit du système vont permettre à des modules spécialisés de traiter une multitude d'informations et de les utiliser. Selon cette théorie, ce serait cette diffusion des informations aux multiples sous-systèmes cognitifs de notre cerveau (attention, mémoire de travail, planification) qui serait à la base de l'impression subjective d'avoir conscience du monde qui nous entoure.

La théorie de l’information intégrée (ITT), postule que le niveau de conscience d’un système, en l’occurrence le cerveau, est corrélé aux interconnexions que l’on retrouve dans ce réseau particulier. Plus nombreux seront les neurones à interagir les uns avec les autres, plus l’organisme aura une expérience consciente unifiée. Dans cette théorie, le niveau de conscience dépendra de la complexité du réseau et du niveau d’intégration dont il est capable. La troisième théorie est celle dite de "l’ordre supérieur" (HOTC), qui postule que la conscience phénoménale ne consiste pas en des sensations immédiates mais en une perception de ces sensations à un niveau supérieur. Enfin, la théorie du traitement récurrent (GWT) postule que le cerveau traite les informations par le biais de boucles de rétroaction. Grâce à ces boucles, le cerveau peut s'adapter à un environnement en perpétuel changement et prendre les meilleures décisions.

En 2019, des chercheurs du Ronin Institute (Montclair, US), ont proposé une hypothèse très intéressante, selon laquelle les réseaux de neurones dans le cerveau s’organisent de manière transitoire pour donner naissance à des souvenirs, à la pensée et à la conscience. Ce concept, qui repose sur les principes thermodynamiques d’énergie, de dissipation et d’équilibre, permet une nouvelle approche de la manière dont notre cerveau produit des pensées et éprouve des états de conscience. Pour maintenir ces états de conscience, le cerveau doit à la fois trier et intégrer de manière active les données apportées par nos différents sens et va donc consommer plus d'énergie que lorsqu'il est inconscient. En analysant les données d’enregistrements neuronaux des participants à l'étude, pendant l’éveil, le sommeil, le coma et les crises d’épilepsie, ces chercheurs ont observé que l’entropie (la tendance au désordre croissant), mesurée par le nombre de configurations de réseaux cérébraux synchronisés, était plus élevée pendant la conscience que pendant les états inconscients.

Ce niveau d'entropie élevé est logiquement corrélé à une dissipation plus importante de l’énergie au fur et à mesure que davantage de neurones sont connectés. Chacun de ces états majeurs, l’éveil, le sommeil, le coma et les crises d’épilepsie, est composé de plusieurs micro-états configurables. Au cours de la prise de conscience, le cerveau disposerait d’un nombre optimal de réseaux de neurones connectés. En revanche, pendant les états inconscients, ce nombre de micro-états diminuerait, ce qui réduirait l’entropie, entraînant un dysfonctionnement du cerveau. Selon cette étude, « Maintenir des états cérébraux sains ne dépend donc pas de la quantité totale d'énergie contenue dans le cerveau mais de la manière dont cette énergie est organisée, puis dissipée ».

Fin 2023, une autre équipe, associant des chercheurs de l’Université de Toronto et de l’Université de Paris Descartes, a repris et prolongé cette hypothèse entropique pour expliquer les fondements de la conscience. Cette étude a cherché à « identifier les caractéristiques globales de l’organisation du cerveau qui sont optimales pour le traitement sensoriel et qui peuvent guider l’émergence de la conscience ». Les observations de l’activité cérébrale chez l’Homme ont montré que celle-ci connaît d'importantes et permanentes variations au niveau des interactions cellulaires. Cette variabilité serait à la base des nombreux niveaux de fonctionnement du cerveau, y compris la conscience. Dans le cadre de leur analyse, les scientifiques ont utilisé la mécanique statistique, qui permet de calculer des caractéristiques thermodynamiques complexes, pour l’appliquer à la modélisation de réseaux neuronaux. Ils se sont notamment intéressés au phénomène qui permet à un ensemble de neurones d'osciller de façon synchronisée avec celle d’un autre ensemble. Cette évaluation permet de déterminer précisément comment nos cellules cérébrales organisent leurs interconnexions. Selon ces chercheurs, il existerait une multitude de façons d’organiser les connexions synaptiques en fonction de la taille de l’ensemble de neurones. Afin de tester leur hypothèse, des données d’émission de champs électriques et magnétiques provenant de 9 personnes distinctes ont été collectées. Parmi les participants, 7 souffraient d’épilepsie. Dans un premier temps, les modèles de connectivité ont été évalués et comparés lorsqu’une partie des volontaires était endormie ou éveillée. Dans un deuxième temps, la connectivité de 5 des patients épileptiques a été analysée, pendant qu'ils présentaient des crises de convulsion. Les chercheurs ont ensuite comparé ces nombreuses données afin de calculer leurs niveaux d’entropie cérébrale. De manière remarquable, les chercheurs ont constaté que, dans tous ces cas de figure, le cerveau affiche une entropie plus élevée lorsqu’il est dans un état de conscience. Face à ce constat, les chercheurs font l'hypothèse qu’en maximisant l’entropie, le cerveau optimise l’échange d’informations entre les neurones, ce qui rend notre cerveau plus efficace, à la fois pour percevoir notre environnement et agir sur lui. Dans ce contexte, la conscience pourrait être une propriété émergente découlant de cette entropie (Voir APS).

En 2024, une nouvelle étude menée par Pablo Castro, à l’Institut des Neurosciences Paris-Saclay, a essayé de déterminer si les variations des schémas de connectivité fonctionnelle cérébrale peuvent être associées aux différents états de fonctionnement du cerveau. La connectivité cérébrale se divise en trois types : structurelle, fonctionnelle et effective. La connectivité structurelle concerne les interconnexions cérébrales, la connectivité fonctionnelle, leur fonctionnement dynamique, et enfin la connectivité effective intervient lors des interactions spécifiques à une tâche donnée. Ces chercheurs ont analysé les données IRMf provenant de 34 participants sains, répartis en deux groupes. Le premier groupe, composé de 16 individus, a subi trois IRMf : une en éveil, une sous anesthésie générale et une après réveil. Le second groupe, composé de 18 participants, a effectué deux IRMf : une fois au réveil et une pendant un stade de sommeil profond. Ces scientifiques ont utilisé l’entropie de Shannon (du nom du mathématicien auteur de la célèbre théorie de l’information), une mesure permettant de quantifier la diversité des schémas d’activité cérébrale. Ces observations ont permis de montrer que durant l’éveil, l’entropie de Shannon était relativement élevée et se caractérisait par des schémas d’activité diversifiés, peu dépendants de la connectivité structurelle. En revanche, durant le repos, que ce soit en sommeil profond ou sous anesthésie, les schémas d’activité deviennent bien moins diversifiés, suggérant que le cerveau inconscient s’appuie davantage sur ses structures anatomiques (Voir Nature).

En 2022, des chercheurs de l'université de Boston ont essayé de construire une nouvelle théorie de la conscience. Dans ce nouveau cadre, « la conscience se serait développée comme un système de mémoire utilisé par notre cerveau inconscient pour nous aider à imaginer l'avenir de manière flexible et créative, et à planifier en conséquence », souligne le Professeur Andrew Budson. De précédents travaux avaient déjà montré que la conscience ne s'écoule pas de façon linéaire et bien ordonnée, allant de la perception à la décision et enfin à l'action. Cette étude confirme que nous ne percevons pas directement le monde, pas plus que nous ne prenons de décisions immédiates. « En réalité, nous faisons toutes ces choses inconsciemment et, environ une demi-seconde plus tard, nous nous rappelons consciemment de les avoir faites », souligne le Professeur Budson, qui ajoute, « Toutes nos pensées semblent bien relever davantage de l'inconscience que de la conscience » (Voir Boston University).

En 2021, des chercheurs du Center for Consciousness Science du Michigan Medicine (États-Unis), ont publié une autre étude intéressante qui place le siège de la conscience dans une région de notre cerveau appelée le cortex insulaire antérieur (Voir Science Direct). Comme le souligne Zirui Huang, qui a dirigé ces recherches, le traitement de l'information dans le cerveau a deux dimensions : le traitement sensoriel de l'environnement sans conscience et celui qui se produit lorsqu'un stimulus atteint un certain niveau d'importance et entre dans la conscience. Nous devons cependant reconnaître que nous ne savons toujours pas pourquoi certains stimuli sensoriels sont perçus de manière consciente alors que d'autres ne le sont pas. Cette étude a montré que lorsque le cortex insulaire antérieur est éteint, la conscience l'est également». Les 26 participants de cette étude ont été soumis à des IRM fonctionnelles, qui permettent de visualiser en temps réel les zones activées du cerveau. Les chercheurs ont injecté aux participants un anesthésiant, le Propofol, pour bloquer leur cortex insulaire antérieur, et pouvoir contrôler leur niveau de conscience. En même temps, ils ont demandé à tous les participants d’imaginer des situations de la vie quotidienne, comme effectuer une promenade, faire du sport ou des courses. Alors que les participants perdaient progressivement conscience au cours de l’expérience, leur conscience est revenue après l’arrêt du produit anesthésiant. Selon ces travaux, le cortex insulaire antérieur semble agir comme une espèce de filtre qui ne laisse passer vers la conscience que les informations les plus importantes. La conclusion de l'étude est donc que le cortex insulaire antérieur pourrait être, sinon la porte, du moins une région-clé pour l'émergence de la conscience.

Il y a quelques semaines, une équipe chinoise de l'université de Pékin a, quant à elle, révélé le rôle important que semble jouer le thalamus dans la manifestation de la conscience. Ces chercheurs ont inclus cinq patients qui avaient des électrodes à la fois dans le cortex préfrontal (dans la partie extérieure du cerveau, près du front) et dans le thalamus (au centre du cerveau). C'est la première fois que des chercheurs réussissent à accéder à des données fines dans cette région profonde de notre cerveau. Grâce à ces recherches, les auteurs ont remarqué une activité spécifique de certaines parties du thalamus quand les participants prenaient conscience de l'apparition du stimulus. Comme le souligne Claire Sergent, professeure en neurosciences cognitives à l'Université Paris-Cité et au CNRS, « Ces études récentes tendent à montrer que la prise de conscience ne peut sans doute pas être réduite et circonscrite à une aire cérébrale particulière, mais résulte probablement de la coopération et du dialogue entre différentes aires cérébrales qui permettent de maintenir cette information vivante dans le réseau et de la rendre opérationnelle pour effectuer de nombreuses fonctions cognitives » (Voir Science).

Cette hypothèse d'une conscience réticulaire et globale a été renforcée l'année dernière, quand des chercheurs du Massachusetts General Hospital et du Boston Children's Hospital, aux États-Unis, ont réussi à cartographier un réseau cérébral sous-cortical crucial dans l'intégration de l'éveil et de la conscience humaine. Ce réseau, baptisé « réseau d’éveil ascendant par défaut (DAAN), semble capital pour maintenir l’état d’éveil et la conscience. Il relie des structures sous-corticales comme le tronc cérébral, le thalamus et le cortex cérébral. Ces connexions permettent de maintenir le cerveau en alerte et en interaction avec l’environnement, même dans les états de repos. Cette découverte importante montre que, plus le cerveau est capable de traiter de l’information de manière coordonnée, plus l’expérience consciente devient riche et complexe. Elle explique également pourquoi, même en état de repos, certaines régions de notre cerveau continuent d'avoir une activité intense, comme ce fameux réseau par défaut, impliqué dans la réflexion et la conscience de soi (Voir Science Translational Medicine).

Pour Lionel Nacache, toutes ces découvertes récentes confirment que notre perception du monde n'a rien de passif et relève bien d'une construction active et constante du sujet. Dans le cadre de ses travaux sur la conscience avec ses collègues Jean-Pierre Changeux et Stanislas Dehaene, ce chercheur a proposé un modèle dit de "l'espace de travail global", considéré comme l'un des modèles d'explication de la conscience les plus convaincants. Cette théorie repose notamment sur l'hypothèse que la conscience est formée par un enchaînement d'états mentaux séparés, ou “discrets”, comme disent les mathématiciens. Lionel Nacache est persuadé que la dynamique cérébrale qui forme le flux de notre conscience est en fait constituée d'une succession d'états distincts les uns des autres, dont certains seulement présentent les caractéristiques d'états conscients. Mais le fonctionnement de notre cerveau nous donne l'impression, très convaincante, que notre conscience est un flux mental continu.

Lionel Nacache évoque souvent une fascinante expérience réalisée en 1975 par les Américains George McConkie et Keith Rayner (Voir Springer Nature). Les participants devaient regarder un écran sur lequel était affichée une page de texte. Ils étaient équipés d'électrodes qui mesuraient à chaque instant la position de leur regard. Les chercheurs pouvaient ainsi savoir en temps réel quelle partie de la page de texte se projette sur la rétine. Ces scientifiques étaient donc capables de modifier très rapidement le contenu affiché à l'écran, en fonction de la position du regard des participants. C'est là que l'expérience devient passionnante car, seule la partie de l'écran que les participants fixaient contenait bien les phrases censées s'y trouver. Les autres parties de l'écran n'affichent en réalité qu'une série de X. Pourtant les participants ont tous été persuadés d'avoir bien lu une page complète ! En fait, les chercheurs mettaient immédiatement à jour l’affichage de l’écran en remplaçant les X par la suite du texte dès que les participants faisaient une saccade oculaire pour déplacer leur regard et poursuivre leur lecture. Mais comment ces scientifiques peuvent-ils changer l’affichage à l’insu des participants ? Simplement parce qu'à chaque fois que nous effectuons une saccade oculaire, les informations qui s’impriment sur nos rétines durant ces déplacements brefs ne sont pas enregistrées par notre conscience pendant environ deux dixièmes de seconde… Lionel Nacache aime souligner que cette célèbre expérience scientifique montre que notre perception correspond bien à une reconstruction active et anticipatrice du réel, par laquelle nous co-produisons, et, d'une certaine façon, nous reconstituons en permanence le monde qui nous entoure.

On le voit, si les recherches et découvertes concernant la conscience sont foisonnantes et progressent à grand pas, le mystère demeure quant à la nature exacte et aux mécanismes d'émergence de cette fascinante et insaisissable faculté de notre cerveau. Force est de constater, et c'est ce qui fait toute la rigueur de la science, que, pour l'instant, aucune des théories principales concernant la conscience n'est vraiment parvenue à faire l’unanimité au sein de la communauté scientifique et à s'imposer définitivement. Les récentes études et observations expérimentales semblent vérifier certains aspects de chacune de ces théories... et en infirmer d'autres. Mais en attendant qu'un nouveau cadre conceptuel plus vaste et plus riche ne puisse rendre compte de manière plus convaincante de la conscience dans toutes ses dimensions, il est tout de même frappant de constater que, comme pour l’émergence de la vie, le surgissement de la conscience chez l'homme semble également corrélé aux lois de la thermodynamique, à l'entropie et à la théorie de l'information. Il est également important de souligner à quel point les mécanismes cérébraux et cognitifs inconscients, comme Freud l'a bien montré, semblent jouer un rôle-clé dans le fonctionnement global de notre cerveau et dans l'émergence de la conscience. Enfin, nous devons également admettre, ce qui est une troublante découverte, que « Rome n'est plus dans Rome » et que la conscience ne peut plus être entièrement circonscrite dans le cerveau, mais semble également dépendante, tant dans son apparition que dans son altération, du fonctionnement global de notre corps...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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