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Edito : Les Prix Nobel 2022 récompensent des scientifiques qui ont changé à la fois notre vie et notre vision du monde…

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EDITORIAL :

Les Prix Nobel 2022 récompensent des scientifiques qui ont changé à la fois notre vie et notre vision du monde…

Alors que nous venons d’apprendre le nom des lauréats distingués par les différents prix Nobel scientifique de 2022, j’ai voulu cette semaine rendre hommage à la fois à la science et aux hommes et femmes remarquables, bien que peu médiatisés, qui la font patiemment, modestement mais irrésistiblement avancer.

A tout seigneur, tout honneur : le grand physicien français Alain Aspect, déjà honoré par de multiples récompenses (Médailles Einstein et Bohr, médaille du CNRS) vient de recevoir, ainsi que ses deux collègues, l’Autrichien Anton Zeilinger et l'Américain John Clauser, le prix Nobel de physique pour leur contribution majeure et décisive à la confirmation expérimentale des étranges lois de la physique quantique.

Alain Aspect a commencé son exceptionnelle carrière scientifique à l’École normale supérieure de Cachan (promotion 1965), avant de poursuivre ses études à l’Université de Paris, où il obtient une licence de physique en 1968, puis un diplôme d’optique l’année suivante. Devenu Docteur en physique en 1971, il part ensuite enseigner pendant trois ans à l’Ecole Supérieure Normale de Yaoundé, au Cameroun. C’est au cours de ce séjour africain qu’il tombe, par hasard, sur un ouvrage qui vient d’être publié, et va changer sa vie, Mécanique quantique, par Claude Cohen-Tannoudji, Bernard Diu et Franck Laloë.

En 1974, de retour à l’ENS de Cachan, Alain Aspect, qui s’est pris de passion pour la physique quantique et ses applications potentielles, découvre un article du physicien John Bell qui montre que le vieux débat sur l’existence réelle d’une intrication quantique irréductible de certaines particules peut être tranché par des expériences. Aspect n’ignore pas que l’interprétation de ce phénomène d’intrication quantique fut l’objet d’une mémorable et longue et passionnante controverse, à la fois scientifique et philosophique, entre les deux géants de la physique de l’époque, Einstein et Bohr.

En 1935, Albert Einstein et deux de ses collègues, Boris Podolsky et Nathan Rosen (E.P.R.) avaient imaginé une célèbre expérience de pensée destinée à montrer que la physique quantique devait être incomplète et contenir des "variables cachées" qui n’avaient pas encore été découvertes. Leur raisonnement était le suivant : l’hypothèse de l’existence d’états intriqués mène à un paradoxe intenable car, soit il existe une influence mystérieuse qui se déplace plus vite que la lumière (ce qui remet en cause le principe classique de causalité), soit la physique quantique est incomplète et il convient alors de découvrir les variables inconnues qui lui manquent.

En 1964, le physicien irlandais John Bell démontra qu’il existait des effets, en théorie mesurables par l’expérience, liés à une éventuelle nature quantique des particules, les fameuses "inégalités de Bell". Concrètement, cela signifiait que, si une expérimentation suffisamment précise (qui était impossible à l’époque, compte tenu de l’état de la technologie) parvenait à montrer que ces inégalités étaient violées, cela voudrait dire de façon incontestable qu’il existait bien un intrication quantique des photons (à condition qu’ils soient issus d’une même source) et que ces particules avaient l’étrange propriété de pouvoir réagir instantanément, l’une en fonction de l’autre, indépendamment de la distance qui pouvait les séparer et sans qu’il y ait la moindre transmission d’information de l’une vers l’autre…

En 1982, dans une expérimentation magnifique (à l'Institut d'optique d'Orsay), l'une des plus belles de toute l'histoire physique, Alain Aspect et son équipe parvinrent à mettre en place un dispositif expérimental très sophistiqué, s’appuyant à la fois sur une source de photons très puissante, issue d’un laser à krypton, et sur un système de polariseurs à commutation ultra-rapide et suffisamment éloignés les uns des autres, pour exclure toute transmission d’information entre les photons étudiés.

Rappelons que les photons sont des particules élémentaires de lumière (chacune étant associée à une onde) qui n'ont pas de masse et véhiculent la force électromagnétique. Les résultats de cette expérience rigoureuse furent sans appel : non seulement ces photons violaient sans aucune ambigüité les inégalités de Bell, mais ces violations étaient d’une ampleur exactement conforme à celle prévue par la théorie quantique. Il fallait donc se rendre à l’évidence, des photons issus d'une même source restaient corrélés ensuite à jamais dans leur comportement... quelle que soit la distance qui les sépare !

Cette expérimentation eut un retentissement considérable dans le monde scientifique, mais également dans la sphère philosophique et épistémologique, en montrant qu’il existait bien, dans le domaine de l’infiniment petit (et même, on le sait à présent, un peu au-delà), un principe de non-séparabilité quantique étrange qui ne résultait pas de notre ignorance mais constituait une loi fondamentale de la Nature. Sur ce point, le grand Einstein, qui avait pourtant été, il faut le rappeler, l’un des pères de la mécanique quantique, s’était trompé (une fois n’est pas coutume) et la physique devait se résoudre à abandonner le principe classique de causalité strict, inscrit dans un espace et un temps précis.

Cette propriété dite "d'intrication quantique", qui défie notre entendement, est donc bien au cœur des lois fondamentales qui régissent la Nature. Rappelons que la mécanique quantique, qui s’est élaborée entre 1900 et 1927, est l’œuvre d’une dizaine de physiciens d’exception, parmi lesquels il faut citer Planck, De Broglie, Einstein, Dirac, Heisenberg, Schrödinger, Born et Pauli, qui ont à tout jamais marqué l’histoire de la science et des idées.

Après avoir été nommé Maître de conférence à l’Ecole Polytechnique en 1984, Alain Aspect commence en 1985 une nouvelle étape de son parcours scientifique hors du commun, quand Claude Cohen-Tannoudji (Prix Nobel 1997), professeur au collège de France et spécialiste en physique quantique et physique atomique, fait appel à lui pour lancer un groupe de recherche, au sein du Laboratoire Kastler Brossel, consacré au refroidissement d’atomes par laser.

A cette époque, on pense encore qu’il existe pour chaque atome une vitesse minimale en dessous de laquelle on ne peut descendre. Cette coopération entre Aspect et Cohen-Tannoudji fait merveille et cette équipe de choc réussit l’impossible, freiner des atomes d’hélium jusqu’à un quart de leur vitesse de recul... atteignant ainsi des températures inférieures au microkelvin, soit un millionième de degré Celsius au-dessus du zéro absolu ! « Pour atteindre ce résultat, il a fallu mettre l’atome dans un état quantique où chaque atome est présent simultanément à plusieurs endroits, comme le photon dans l’interféromètre », explique Aspect.

Ces avancées fondamentales trouvent également des applications dans le domaine de la mesure, avec les horloges à atomes froids du Laboratoire national d’essai (LNE) et de l’Observatoire de Paris, qui restent à ce jour les plus précises au monde depuis trente ans. En 1998, cette équipe produit le premier condensat de rubidium et en 2001, elle parvient, pour la première fois au monde, à produire un condensat de Bose-Einstein constitué d’atomes d’hélium métastable.

Ces travaux de pointe ouvrent la voie vers de nombreuses avancée technologiques majeures, toujours en cours, comme la puce atomique, développée au sein du Laboratoire de physique et nanostructures de Marcoussis, ou l’interféromètre atomique qui devrait permettre à un avion de déterminer sa trajectoire sans aucune observation externe de façon à pouvoir faire face à une défaillance éventuelle des systèmes classiques  de localisation par radiobalise ou par satellite. Alain Aspect ne manque jamais une occasion de rappeler à quel point la physique quantique, qui est restée pendant un demi-siècle une sorte de curiosité conceptuelle et théorique,  a joué un rôle important, bien que méconnu, dans l’évolution de notre économie et de notre société : « Elle a notamment permis l’invention d’objets révolutionnaires comme le transistor, les circuits intégrés ou le laser. Elle est en quelque sorte à la base des nouvelles technologies de l’information et de la communication » souligne-t-il.

Les travaux d’Aspect, et de ses deux collègues, l'Américain John F. Clauser et l'Autrichien Anton Zeilinger sur l'intrication quantique, ont également permis l’avènement de la deuxième révolution quantique, celle qui a déjà commencé et va bouleverser, d’ici dix ans, l'informatique, les télécommunications et la cryptographie. Reste toutefois à rendre compatible, dans un nouveau cadre théorique élargi et cohérent, la physique quantique, la thermodynamique et la relativité générale, les trois grandes théories physiques qui décrivent, à des échelles différentes, le réel...

Je dois aussi vous parler du Prix Nobel de médecine 2022, amplement mérité, qui a été décerné au grand scientifique suédois Svante Pääbo, dont le père, Sune Karl Bergström (1916-2004) a lui-même obtenu le Nobel de Médecine en 1984, pour ses travaux ayant permis de découvrir les prostaglandines. Fondateur et pionnier de la paléogénétique, Svante Pääbo a réussi la prouesse de décoder le génome de notre cousin Neandertal et a ainsi pu montrer que nous avions hérité 2% de ses gènes, ce qui paraît peu mais a joué un rôle majeur dans notre évolution et la capacité d'adaptation de notre système immunitaire à notre environnement...

Svante Pääbo a travaillé pendant trente ans au développement de nouveaux outils et méthodes génétiques modernes pour étudier l'ADN des Néandertaliens. A force de persévérance et d’ingéniosité, Il a réussi à contourner des difficultés techniques que l’on pensait insurmontables, compte tenu de la dégradation dans le temps des brins de nucléotides. C’est après une thèse obtenue en 1986 auprès d'Allan Wilson (Université de Californie, Berkeley), un chercheur mondialement connu dans le domaine de la biologie de l'évolution, que Svante Pääbo a commencé à développer des méthodes pour étudier l'ADN des Néandertaliens.

Svante Pääbo est parvenu à séquencer une région de l'ADN mitochondrial d'un morceau d'os de Néandertalien vieux de 40 000 ans. Il a ensuite pu établir que les Néandertaliens constituent une espèce génétiquement distincte. En 1997, le biologiste suèdois a créé un centre de recherche en paléogénétique au sein de l'Institut Max Planck d’anthropologie évolutionniste à Leipzig. S’appuyant sur ses nouveaux outils d’analyse, il entreprend alors une nouvelle aventure scientifique majeure, le séquençage du génome, non plus mitochondrial, mais nucléaire de l'homme de Neandertal. Au terme de treize ans de recherche, Pääbo crée l’événement en 2010, en publiant la première séquence du génome de Neandertal et en confirmant, grâce à des analyses comparatives, que l’ancêtre commun des Néandertaliens et des Homo sapiens vivait il y a environ 800 000 ans.

Poursuivant ses investigations, Svante Pääbo se met à étudier l’évolution longue et complexe des relations entre les Néandertaliens (apparus il y 400 000 ans et disparus il y 30 000 ans), et les humains modernes de différentes régions du monde. Il montre notamment que les séquences d'ADN des Néandertaliens étaient plus proches de celles des humains contemporains originaires d'Europe ou d'Asie, que de celles des humains modernes originaires d'Afrique. Cette découverte considérable démontre que les Néandertaliens et les Homo sapiens se sont croisés pendant plusieurs dizaines de milliers d’années, ce qui explique pourquoi 1 à 4 % du génome des humains actuels provient des Néandertaliens.

En 2008, l'équipe de Svante Pääbo parvient à séquencer un fragment d'os de doigt vieux de 40 000 ans, découvert dans la grotte de Denisova, dans le sud de la Sibérie. Et là, c’est le coup de tonnerre : la séquence d'ADN identifiée se distingue nettement, à la fois de toutes les séquences connues de l'homme de Néandertal et de toutes celles de l'homme actuel. Pääbo vient tout simplement de découvrir une nouvelle espèce d’humains, que l’on baptise les Denisoviens. Grâce à ces nombreuses découvertes, un nouveau scenario, plus foisonnant, de l’évolution humaine se dessine. Celui-ci établit qu’après la migration d’Homo sapiens hors d'Afrique, on comptait au moins deux populations d'hominidés éteintes qui habitaient l'Eurasie. D’une part, les Néandertaliens, établis dans l'ouest de l'Eurasie ; d’autre part, les Denisoviens, qui peuplaient les régions orientales de cet immense continent. Les travaux de Pääbo montrent également que, tout au long de leur longue expansion hors d'Afrique et de leur migration vers l'est, les Homo sapiens se sont croisés non seulement avec les Néandertaliens, mais aussi avec les Denisoviens…

Enfin, nous devons à la paléogénomique d’avoir montré à quel point les séquences génétiques archaïques continuent de jouer un rôle important dans notre physiologie et notre capacité d’adaptation. Pääbo a montré qu'un transfert capital de gènes s'était produit entre ces espèces d’humains à présent éteintes et Homo sapiens, après la migration hors d'Afrique, il y a 70 000 ans. Ces gènes se sont incorporés au génome de Sapiens et ont profondément modifié les capacités de son système immunitaire face aux différents pathogènes, bactéries et virus, présent dans son nouvel environnement.

Il faut enfin dire un mot des trois lauréats récompensés du Nobel de Chimie, les Américains Carolyn R. Bertozzi et K. Barry Sharpless et le Danois Morten Meldal, pour leurs travaux remarquables sur la "Chimie-Click" et l’une de ses extensions, la chimie orthogonale, fondée en 2003, par Carolyn R. Bertozzi. La "Chimie click" est un concept introduit par Barry Sharpless en 2001, et qui lui avait déjà valu le Nobel de Chimie cette même année, pour décrire une chimie qui vise à synthétiser des produits de manière rapide et efficace en clappant des molécules entre elles, par des liaisons avec des hétéroatomes. Cette approche, dite "biosourcée", s’inspire des réactions chimiques à l’œuvre dans la nature. Elle consiste à favoriser et à maîtriser des réactions chimiques "biocompatibles", c’est-à-dire présentant à la fois un rendement élevé, une grande simplicité de mise en œuvre, une très faible empreinte environnementale et une stéréospécificité, c‘est-à-dire la formation d’un seul produit au cours de la réaction.

La Chimie click constitue aujourd’hui un outil innovant dans le domaine de la synthèse organique avec des applications dans de multiples domaines : chimie pharmaceutique, biologie, polymères, nanotechnologies... La chercheuse américaine Carolyn Bertozzi a quant à elle été la première à ouvrir la chimie "click" aux applications biologiques et médicales. Ses "réactions bioorthogonales" - qui interviennent sans perturber le fonctionnement normal de la cellule - sont à présent largement utilisées à travers le monde pour élucider le fonctionnement des cellules, et contribuent par exemple au développement de nouveaux traitements contre le cancer. Les chercheurs de l’IC2MP de Poitiers ont ainsi développé une nouvelle méthode prometteuse de lutte contre le cancer, basée sur l’utilisation de marqueurs artificiels pouvant être introduits à la surface des cellules par une réaction bioorthogonale. Grâce à ce type de marquage très ciblé, ces scientifiques ont montré qu’il était possible de guider les lymphocytes T vers les cellules malignes, pour mieux détruire ces dernières. Une autre équipe de l’Institut de physique et chimie des matériaux de Strasbourg a réussi à clipper des nanoparticules magnétiques sur des surfaces de molécules organiques.

Il est frappant de voir à quel point ces chercheuses et chercheurs, d’exception, malheureusement peu connus du grand public, ont contribué, par leur audace conceptuelle, leur incroyable persévérance et leur optimisme sans faille, à faire reculer les limites du possible, à faire avancer de manière décisive notre connaissance fondamentale des lois de la Nature, qu’il s’agisse de l’organisation de la matière, des mécanismes du vivant ou de l’évolution de notre espèce, et enfin à améliorer très concrètement notre vie, en permettant des innovations de rupture scientifiques et technologiques dans de nombreux domaines, médecine, biologie, énergie, transports, informatique, télécommunications, chimie industrielle…

Ces découvertes et avancées de la connaissance, justement récompensées par ces prix Nobel, doivent nous rendre confiants dans l’avenir et nous conforter dans la conviction que la raison et la science, lorsqu’elles sont bien conduites et mises au service du bien commun, seront plus que jamais, demain, nécessaires pour relever les immenses défis qui attendent notre planète…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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