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Edito : Le potentiel réel de notre Pays en énergies renouvelables est important mais la France traîne...

L’Union européenne, comme la France, ont décidé, dans le cadre du tout nouveau "paquet énergie-climat", et du nouvel agenda “Fit for 55”, de réduire d’au moins 55 % les émissions de gaz à effet de serre de l’Union Européenne, par rapport à 1990 qui est toujours l’année de référence. Il y a un mois, la Commission européenne a annoncé un vaste plan – REPpowerUE – qui va mobiliser 300 milliards d'euros d'ici 2030, essentiellement consacrés à l'accélération de la transition écologique. Concrètement, la Commission propose de fixer un objectif de réduction de 13 % de la consommation d'énergie d'ici 2030, contre 9 % fixés dans un précédent projet de directive. Elle propose aussi un plan d'économies d'énergie et souhaite relever les objectifs de la consommation d'énergie renouvelable à 45 % d'ici 2030, contre 40 % fixés en 2021. Ce plan fixe l'objectif d'installer 300 GW d'énergie solaire d'ici 2028, ce qui est plus du double du niveau actuel. Il recommande aussi d'accélérer le développement de l'hydrogène et de la biomasse. En outre, l’exécutif européen envisage de rendre l’installation de panneaux solaires sur les toits obligatoire pour tous les nouveaux bâtiments, ce qui va permettre un formidable coup d’accélérateur pour le solaire photovoltaïque, surtout avec l'arrivée prochaine d'une nouvelle génération de cellules à très haut rendement (30 %).

La France, en cohérence avec les nouveaux objectifs européens, envisage de réduire très fortement la consommation d’énergie finale et ce dans tous les secteurs mais plus particulièrement dans le secteur des transports et celui de l’habitat. Les scénarios du Réseau de Transport d'Electricité (RTE) prévoient par exemple que l’énergie finale consommée en France passerait de 1600 TWh (1 TWh = 1 milliard de kWh) en 2019 à 930 TWh en 2050, soit une réduction de 40 % de l’énergie finale consommée. Mais dans le même temps, EDF et Enedis prévoient une forte montée en puissance de l’électrification des usages énergétiques : l’électricité, qui représente aujourd’hui 25 % de la consommation d’énergie finale, devrait atteindre 55 % en 2050. Le problème, c’est que la part des énergies renouvelables intermittentes (solaire et éolien) va considérablement s’accroître d’ici 30 ans, ce qui va nécessiter une refonte complète du tryptique production, distribution et stockage d’énergie, pour parvenir à ajuster en temps réel l’offre et la demande d’électricité.

La part des énergies renouvelables dans la consommation d'énergie de la France représente 19,3 % de la consommation finale brute d'énergie, selon les dernières données gouvernementales publiées le 20 juin, soit une hausse de 10 points par rapport à 2005. Ce développement a notamment été tiré par l'éolien, les pompes à chaleur et les biocarburants. Entre 2019 et 2021, la part des énergies renouvelables a même augmenté de deux points, la reprise économique ayant stimulé la demande dans des secteurs comme les transports, l'industrie et le tertiaire. En parallèle, la consommation finale brute d'énergie a diminué, à un rythme d'environ 0,5 % par an.

Reste que notre pays doit atteindre 33 % d'énergies renouvelables en 2030 pour respecter les objectifs de la loi Climat. En 2020, la France avait été le seul pays de l'Union européenne à ne pas se conformer à son objectif européen de 23 %. Aujourd'hui, la biomasse reste la première des énergies renouvelables avec 7,1 % de la consommation énergétique finale, suivie de l'hydraulique (3,4 %) et des pompes à chaleur (2,4 %). L'éolien fournit 2,2 % du total, les biocarburants 2,1 % et le solaire 1,5 %.

Selon le groupe de travail “éolien”, réunissant parlementaires, associations d’élus, ONG, professionnels de l’éolien et de l’électricité, juristes et enfin administrations des ministères concernés, il faut deux fois plus de temps pour faire aboutir un projet d’énergie renouvelable en France que chez nos voisins européens, pas moins de huit ans, en moyenne, contre quatre ans en Allemagne, en Italie ou en Espagne. Cette exception française s’explique notamment par un taux de contestations en justice de 70 % des projets d’installations éoliennes. Autre facteur qui explique cet allongement excessif des délais d’installation, le régime d’autorisations complexes qui allonge considérablement les délais d’instruction des dossiers éoliens.

Pendant ce temps, la société chinoise MingYang Smart Energy travaille sur la mise au point de la plus grande éolienne marine au monde. Selon le constructeur, elle sera opérationnelle en 2024 et aurait une puissance de 16 MW, supérieure à celle de ses concurrentes directes, la Haliade-X de General Electric et la Gamesa de Siemens. Cette machine chinoise mesurera 242 mètres de haut et sera équipée de trois pales de 118 m chacune, qui seront capables de balayer une surface équivalente à 6 terrains de foot (46000 m²). Chaque éolienne de ce type produira annuellement pas moins de 80 millions de kWh, de quoi alimenter environ 20 000 foyers. Ces machines ont été conçues pour pouvoir résister aux typhons, de plus en plus nombreux et violents dans cette région du globe. Pour l’instant, c’est toujours General Electric qui possède la plus grande éolienne du monde, l’ Haliade X, qui atteint 14 MW de puissance. Son concurrent, Siemens Gamesa, n’entend pas se laisser distancer et va commercialiser une éolienne géante de 15 MW annuels. Certes, l’éolien marin reste deux fois plus cher que l’éolien terrestre, mais selon une étude réalisée par le réputé Laboratoire Lawrence, à Berkeley (Californie), les coûts de production de l’éolien marin devraient baisser de 49 % d’ici 2050 (Voir Nature Energy).

En France, l’énergie éolienne représente plus de 8 % de la production nette d’électricité et, après une bonne décennie de retard sur ses principaux voisins, notre pays vient enfin de produire ses premiers kWh marins, issus de la centrale située au large de Saint-Nazaire, qui comptera à terme 80 éoliennes. Cinq autres parcs éoliens en mer sont en cours de construction en France, dont trois sur la façade atlantique (Fécamp, Saint-Brieuc et Courseulles-sur-Mer), et deux en Méditerranée (Port-la-Nouvelle et Fos-sur-Mer). Le constructeur danois Vestas vient également d’installer cinq éoliennes flottantes de 9,5 MW à 15 km au large des côtes écossaises. Ces machines de 190 mètres de haut formeront le parc de Kincardine au large d’Aberdeen et fourniront de l’électricité propre à 55.000 foyers en électricité.

Une étude de l'Université de Fribourg montre qu'en dépit du changement climatique qui diminue globalement les ressources éoliennes, les avancées techniques des machines devaient permettre une amélioration de 23,5 % de leur efficacité énergétique moyenne d'ici 2035 (Voir EurekAlert). A partir de 2025, on devrait également voir arriver de nouvelles éoliennes marines géantes de 20 MW, capables chacune de produire 100 millions de KWh par an (de quoi alimenter 25 000 foyers en électricité), en exploitant des vents au large plus forts et plus réguliers. Le grand défi sera toutefois de parvenir à stocker massivement, et à un coût acceptable, l'électricité excédentaire ainsi produite, pour pouvoir ajuster en temps réel l'offre et la demande. Cela passera sans doute par des électrolyseurs à hydrogène directement couplés à ces éoliennes et par le recours à l'IA pour anticiper les capacités de production et les besoins de consommation...

Du côté du solaire, les progrès techniques ne sont pas moins impressionnants. Des scientifiques de l’EPFL ont mis au point un nouveau type de cellule solaire tandem capable de fournir une efficacité certifiée de 29,2 %. Cette prouesse a été possible en combinant une cellule solaire en pérovskite à une cellule solaire en silicium texturé. Les actuelles cellules solaires en silicium sont intrinsèquement limitées à des rendements de 27 % en raison des contraintes thermodynamiques propres à leur fabrication. Mais l’EPFL a montré que ces limites du rendement peuvent être surmontées en utilisant des matériaux comme les pérovskites à base d’halogénure et en associant le silicium à une deuxième cellule solaire qui absorbe les radiations bleues et vertes du spectre solaire. 

En 2018, Pierre Escudié a accueilli sur son domaine de Tresserre, près de Perpignan, une centrale agrivoltaïque dynamique, développée par l’entreprise Sun’Agri. Étendue sur près de cinq hectares de parcelle, soit 17 310 plants de vigne, cette centrale d’une puissance de 2,1 MW est composée de panneaux solaires mobiles et contrôlables à distance, appelés "persiennes" solaires. Cette installation a été conçue pour amortir les effets du changement climatique tel que le gel, mais surtout les fortes chaleurs estivales. Grâce à une batterie de capteurs intelligents et au pilotage informatique sophistiqué, ces panneaux solaires s’adaptent et pivotent en fonction des conditions météo, de manière à produire de l’ombre pour les vignes en été, ce qui les protège des canicules et augmente les qualités organoleptiques du raisin. Cette centrale agrivoltaïque de Tresserre permet aussi de produire une énergie électrique verte. Une énergie qui correspondrait à la consommation de plus de 650 foyers, et qui permet, une fois vendue, d’auto-amortir le coût de l’installation. Et les perspectives de développement de l’agrivoltaïsme sont tout simplement phénoménales en France, à condition toutefois de bien associer en amont élus locaux, agriculteurs, associations et habitants, de façon à ne jamais perdre de vue la dimension essentielle de développement local qui doit porter ces projets qui modifient les modes de production agricole et supposent une intégration numérique complète sur toute la chaine de valeur. En se basant uniquement sur les technologies actuellement disponibles, il serait possible, dans l’hypothèse où seulement 10 % des superficies dévolues à la vigne et aux fruits en France (soit 1000 km2 environ) seraient équipées en agrivoltaïsme, de produire suffisamment d’électricité (plus de 50 TWh, ou 10 % de la production nationale d’électricité) verte pour alimenter 13 millions de foyers, soit 45 % de l’ensemble des ménages de notre pays… Et ces hypothèses de production sont appelées à augmenter sensiblement dans les années qui viennent, avec l’arrivée prochaine de cellules à haut rendement, capables de délivrer uniquement les parties du spectre lumineux utiles à la croissance des plantes, sans parler des panneaux bi-faciaux, qui utilisent la lumière des deux côtés et vont bientôt apparaître dans nos campagnes, sous la forme de "haies solaires"…

Une autre rupture technique va considérablement étendre l’utilisation de l’énergie solaire, il s’agit des cellules hybrides, qui permettent de rationnaliser l’utilisation de l’espace sur les toitures en produisant à la fois chaleur et électricité. Cette solution est particulièrement adaptée aux bâtiments qui ont besoin à la fois d’eau chaude sanitaire et d’électricité : logements collectifs, maisons, hôtels, industrie. La chaleur produite peut également être utilisée par des capteurs solaires thermiques basse température comme évaporateur des pompes à chaleur. Il est aussi possible d’associer capteurs thermiques comme évaporateurs et capteurs photovoltaïques en autoconsommation pour alimenter la Pac.

Une autre société, Airthium, a développé une pompe à chaleur révolutionnaire, capable de restituer l'électricité en quelques heures, comme sur plusieurs mois. Pour parvenir à restituer avec un haut rendement l'énergie stockée, la pompe développée par Airthium brûle de l'ammoniaque liquide. « Le surplus d'énergie obtenu est utilisé pour produire ce carburant de synthèse. Et puis plus tard, on peut le brûler sans produire de CO2 », précise Guillaume Maurin, cofondateur de cette société.

Cette nouvelle génération de pompes à chaleur à haut rendement capables de stocker et restituer l'électricité sur de courtes ou longues périodes va révolutionner le chauffage et la climatisation des bâtiments, sachant que ce secteur est le plus gourmand en énergie, et le plus émetteur en CO2. Il y 15 ans déjà, une remarquable étude d'EDF (publiée dans l'excellente revue Futuribles) montrait déjà qu’en combinant de manière intelligente bâtiment bioclimatique, pompes à chaleur et énergies renouvelables, il était possible, même sans ruptures techniques majeures, de se passer complètement des énergies fossiles d'ici 2050, pour les besoins énergétiques des bâtiments....

Si l’on prend en compte l’ensemble de ces innovations, on est amené à constater que l’actuelle feuille de route du Gouvernement qui vise, par un développement massif des énergies renouvelables, à produire environ 500 TWH en 2050, soit 70 % de la production électrique prévue à cette échéance (de l’ordre de 700 TWH par an, pour une consommation nette de 507 TWH par an), pourrait en fait être atteinte dès 2035, ce qui permettrait à la fois de sortir complètement des énergies fossiles dans 13 ans, comme vient de le décider l’Union européenne, de réduire progressivement, de manière souple et concertée, la part du nucléaire de fission (qu’il faut bien distinguer du nucléaire de fusion contrôlé qui devrait être opérationnel plus vite que prévu) à environ 30 % de notre mix énergétique d’ici le milieu du siècle, et enfin d’assurer l’indépendance énergétique de la France dans un monde turbulent et instable où il est à craindre que d’autres conflits comme celui de l’Ukraine ne viennent bouleverser le paysage énergétique mondial. Cette transition énergétique de grande ampleur est aussi, on l’oublie souvent, fortement créatrice d’emplois pérennes : au niveau mondial, au moins 10 millions d’emplois nouveaux seront créés dans ce secteur d’ici 2030 et en France, se sont 50 000 personnes qui pourraient travailler dans les énergies renouvelables à la fin de la décennie, contre 20 000 aujourd’hui.

Notre pays, qui a la chance de posséder à la fois un cadre géoclimatique exceptionnellement favorable aux énergies vertes, et des compétences scientifiques et technique de premier plan, doit lever sans tarder les obstacles juridiques, administratifs et culturels incompréhensibles qui freinent, de manière très dommageable pour son avenir, l’essor des énergies propres sur notre territoire. Parallèlement, la France doit investir massivement dans la recherche visant à rendre ces énergies renouvelables encore plus performantes et moins coûteuses, pour que demain, nos enfants et petits enfants puissent encore avoir la chance de continuer à vivre partout sur la planète dans des conditions dignes et acceptables…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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