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Edito : Peut-on vaincre le cancer ?

Le dernier colloque de prospective du Sénat, que j'ai eu l'honneur de présider le 19 juin, a fait le point sur les avancées dans la lutte contre le cancer. Le cancer touche la quasi-totalité des êtres vivants et c'est une maladie aussi ancienne que la médecine elle-même. En 1802, Xavier BICHAT, puis LAENNEC, furent à l'origine de la théorie cellulaire moderne du cancer mais il faudra attendre l'avènement de la génétique et de la biologie moléculaire dans les années 60 et 70 pour que l'on commence enfin à comprendre les causes fondamentales du cancer et ses mécanismes intimes de développement. Avec l'allongement sans précédent de la durée de la vie depuis un siècle, qui est passée en France de 48 ans à 78 ans, et alors que la médecine faisait reculer de manière spectaculaire, grâce aux antibiotiques et aux vaccins, la mortalité des grandes maladies infectieuses, le cancer est devenu, au cours du siècle dernier un véritable fléau médical et social et il représente aujourd'hui, dans l'ensemble des pays développés, la 2e cause de mortalité, juste derrière les maladies cardio-vasculaires. Le rapport sur le cancer dans le monde publié le 3 avril dernier par l'OMS constitue l'état des lieux le plus complet à ce jour au niveau mondial pour cette maladie. Actuellement, 10 millions de personnes dans le monde sont touchées par le cancer chaque année. La fréquence des cancers dans le monde pourrait encore augmenter de 50 % et il y aurait alors 15 millions de nouveaux cas par an en 2020, selon ce Rapport Mondial sur le Cancer. En 2000, les tumeurs malignes ont été à l'origine de 12 % des quelque 56 millions de décès dans le monde, toutes causes confondues, soit plus de 6,5 millions de morts. Le rapport souligne qu'il est aujourd'hui possible d'éviter un tiers des cancers, guérir un deuxième tiers et assurer des soins palliatifs de qualité pour le dernier tiers. Ce rapport confirme que la consommation de tabac reste le plus grand risque évitable de cancer. Au vingtième siècle, environ 100 millions de personnes sont mortes dans le monde de maladies liées au tabagisme, plus que le total des victimes des deux guerres mondiales. Une récente étude prospective épidémiologique américaine montre que si aucune mesure n'était prise par les états et la communauté internationale, le tabac pourrait tuer un milliard de personnes au cours de ce siècle ! Il faut en effet rappeler inlassablement que le cancer du poumon est le plus fréquent et celui qui fait le plus de morts (17,8 % des décès par cancer), devant les cancers de l'estomac (10,4 %) et du foie (8,8 %). Face à un tel fléau de société, nous devons nous réjouir de l'avancée historique que représente la signature de la première convention internationale de lutte contre le tabagisme, le 21 mai dernier, par les 192 membres de l'OMS. L'objectif de cette convention est de faire diminuer de moitié la mortalité due au tabagisme: 4,9 millions de morts par an en 2002. Outre le tabac, la qualité des modes de vie et de l'alimentation joue un rôle essentiel en matière de prévention des cancers. La consommation fréquente de fruits et légumes et l'exercice physique ont de réels effets. L'OMS souligne avec force qu'il faut agir simultanément et vigoureusement sur les trois principaux facteurs de risque, le tabac, l'alimentation et les infections. Au niveau mondial, Ces 3 grands facteurs sont à l'origine de 43% de tous les décès imputables au cancer en 2000, soit 2,7 millions de morts, et de 40 % des nouveaux cas, soit 4 millions. Après le tabac, l'alimentation constitue le 2e axe de la prévention. Une vaste étude épidémiologique portant sur plus de 30.000 personnes, menée en Grande Bretagne, vient de confirmer que la consommation régulière de fruits peut prévenir le déclenchement de certains cancers. Selon cette étude, il suffirait que les personnes qui consomment peu de fruits et légumes mangent simplement une pomme ou une orange par jour pour voir leur risque de mortalité par cancer diminuer de 20 %. Troisième axe de la prévention : les agents infectieux (VHB, VHC, papillomavirus, Helicobacter pilori) qui, dans les pays en développement, peuvent représenter jusqu'à 23 % des causes de cancer. Mais si le nombre global de nouveaux cas de cancer augmente dans le monde, notamment à cause du vieillissement et d'un meilleur dépistage, il faut souligner le début du déclin de la mortalité par cancer du sein en Amérique du Nord et en Europe de l'Ouest, grâce aux progrès des traitements. Cette diminution tendancielle est observée aux Etats-Unis où la mortalité par cancer s'est stabilisée depuis 1997, après avoir régulièrement augmenté entre 1987 et 1997, et le nombre de nouveaux cas est stable. En Grande Bretagne, depuis 30 ans, de 1970 à 2000, la fréquence des cancers a diminué de 20 % chez les hommes et 30 % chez les femmes. Grâce aux progrès thérapeutiques, on observe en Europe une baisse importante de la mortalité par cancer. Près d'un million de citoyens européens, soit environ une personne sur quatre en Europe, meurt chaque année du cancer. Mais entre 1987 et 2000, la mortalité annuelle due au cancer a baissé de 10 % en Europe, ce qui équivaut à environ 92 000 vies sauvées. En France, en 2000, exactement 278.000 nouveaux cas de cancers ont été recensés en France, contre 170.000 en 1975. Tous types de tumeurs confondus, l'effectif des patients à prendre en charge a augmenté de 63 % en vingt ans. Malgré cette forte augmentation, le taux de mortalité est resté stable. Autrement dit, il y a beaucoup plus de malades, mais ils survivent mieux et plus longtemps. Responsables de cette augmentation de la maladie, le vieillissement de la population, bien sûr, mais aussi le tabagisme, l'abus d'alcool et les mauvaises habitudes de vie. Le cancer tue 150.000 personnes par an et progresse à raison de 160.000 nouveaux cas tous les douze mois. Selon les données officielles, 800.000 personnes vivent avec un cancer et 2 millions en ont déjà eu un. La situation française en matière de lutte contre le cancer est contrastée et assez paradoxale : d'une part, avec 41.000 décès par an survenant avant 65 ans, "la France a la plus mauvaise mortalité prématurée d'Europe due au cancer". Ce très mauvais résultat s'explique essentiellement par la consommation de tabac et d'alcool, par "la faiblesse de la prévention" et les risques professionnels. Mais d'autre part, la France est le pays d'Europe avec la Suède où le diagnostic du cancer s'effectue le plus précocement, notamment grâce à la participation des médecins libéraux, généralistes et spécialistes. Aujourd'hui, la médecine et la chirurgie permettent de guérir plus de 50 % des cancers. Pour pratiquement tous les cancers, il faut noter que la France obtient une meilleure survie à 5 ans que les pays voisins de démographie comparable (Allemagne, Royaume-Uni, Italie, Espagne). Mais notre effort de recherche publique, dotée d'un "budget par habitant 5 fois inférieur en France à celui des Etats-Unis (3 euros contre 14)", reste très insuffisant. Le coût du cancer pour le système de santé est de près de 15 milliards d'euros en 2002. Il faut par ailleurs déplorer que notre parc d'appareils de diagnostic et de suivi des cancers (scanner, IRM, PET) reste inférieur à celui de nos voisins européens. Face à la situation qui vient d'être évoquée et pour donner à la lutte contre le cancer une impulsion nouvelle, Jacques Chirac a présenté le 24 mars dernier, un plan de lutte contre le cancer d'une ampleur sans précédent. Ce plan se fixe un objectif ambitieux : diminuer la mortalité par cancer de 20 % d'ici cinq ans, ce qui représente au moins 30 000 vies sauvées chaque année. Ce plan s'organise autour de 3 grands axes : - rattraper le retard en matière de prévention et de dépistage - offrir à chaque malade la qualité des soins et d'accompagnement humain auxquels il a droit - donner une impulsion décisive à la recherche. De nombreux spécialistes sont d'accord pour dire que si l'on combinait efficacement prévention et dépistage, et sans autre progrès fondamental, on pourrait espérer, à terme, réduire d'au moins un tiers la mortalité par cancer, soit 45000 morts évités par an dans notre pays. En matière de prévention, l'exemple du cancer du sein est particulièrement révélateur : on sait à présent que la pratique régulière de mammographies permet de réduire de 28 % le risque de mort chez les femmes atteintes de cancer du sein. S'agissant du tabac, Jacques Chirac s'est engagé en priorité à "faire la guerre au tabac", un poison qui tue "30.000 personnes chaque année, si on ajoute les cancers des voies aéro-digestives aux cancers du poumon". Ainsi, le risque d'un de ces cancers pour quelqu'un qui fume un paquet par jour est huit fois supérieur au risque pour un non-fumeur. Dans le domaine de l'imagerie médicale, la France disposera "d'ici cinq ans d'au moins un pet-scann par million d'habitants, et d'une augmentation de 20 % du nombre de scanners et d'IRM (imagerie par résonance magnétique). Au chapitre de la recherche, Jacques Chirac entend encourager "la constitution de cancéropôles" dans lesquels les chercheurs des grands instituts et des centres hospitalo-universitaires pourront "associer leurs compétences et leurs moyens sur une base régionale ou dans le cadre de grands projets nationaux". Enfin, un Institut national du cancer doit aussi être créé. Sa mission : piloter ces priorités que sont la prévention, le dépistage, le traitement et la recherche. La mise en place de ce plan - qui prévoit la création d'un Institut national du cancer destiné à coordonner le combat et d'éviter l'émiettement de l'information et des responsabilités - disposera d'un investissement de 100 millions d'euros dès 2003, pour atteindre 640 millions d'euros à fin 2007. Ce plan anti-cancer présenté par Jacques Chirac va donc donner un nouveau souffle à la recherche qui a fait des progrès remarquables depuis 20 ans. On sait à présent qu'une bonne hygiène de vie reposant sur une alimentation saine (beaucoup de fruits et légumes, de fibres, de céréales), une activité physique régulière modérée, la suppression du tabac et la diminution de l'alcool peuvent réduire de manière considérable (de 30 % à 40 %) le risque global de cancer. A plus long terme, on peut imaginer d'aller encore plus loin en matière de prévention alimentaire en consommant de manière individualisée, en fonction de son profil génétique, certains aliments contenant des substances très actives prévenant l'apparition de certains cancers. Le PET SCANN, toute nouvelle arme de lutte contre le cancer, permet de déterminer l'extension éventuelle de la maladie grâce à des images d'une précision inégalée. Une quarantaine d'exemplaires de cet appareil de haute précision devraient être installés en France dans les deux années à venir. l'Institut Gustave Roussy, premier centre européen de lutte contre le cancer, a inauguré, il y a quelques semaines, sa nouvelle plate-forme génomique, un outil de recherche de pointe qui marque une nouvelle étape en matière de détection. Cette plate-forme génomique de l'IGR s'est fixé pour objectif, d'ici à cinq ans, de pouvoir prendre en charge chaque patient à travers l'analyse des molécules de ses tissus, grâce à la technologie dite des puces à ADN associée à l'informatique. Il sera alors possible, grâce à la pharmacogénomique, de choisir le meilleur traitement pour chaque tumeur. Cette découverte pourrait ouvrir la voie à un traitement individualisé en cancérologie. Les traitements contre le cancer vivent actuellement une véritable révolution. Grâce aux progrès de la génétique et de la biologie moléculaire, la médecine dispose aujourd'hui de composés inimaginables il y a dix ans. Aujourd'hui, le traitement phare de nombreux cancers continue d'être la chimiothérapie, en association bien sûr à la radiothérapie et à la chirurgie. Nouveauté essentielle, certaines de ces molécules ont une action plus ciblée. Une de ces nouvelles techniques très prometteuses de "ciblage moléculaire" consiste à bloquer le signal de prolifération que reçoit la cellule cancéreuse en déréglant ou en stimulant continuellement un de ses récepteurs membranaires ou l'une de ses enzymes. Depuis 2 ou 3 ans, cette approche débouche sur de nouveaux médicaments. C'est ainsi que le fameux Gleevec, disponible depuis un an en France, s'est avéré capable de neutraliser l'une de ces enzymes, la tyrosine kinase. Des résultats très significatifs ont ainsi pu être obtenus dans la leucémie myéloïde chronique, une forme de cancer du sang. Autre moyen thérapeutique, "affamer" les tumeurs en limitant leurs circuits d'alimentation, c'est l'anti-angiogenèse, qui a été imaginé il y a 30 ans par le Docteur Judah Folkman. Les recherches sur l'anti angiogenèse tentent de ralentir le processus cancéreux en s'opposant à la formation des nouveaux vaisseaux formés en périphérie de la tumeur qui contribuent à sa croissance en l'irriguant. Ces recherches commencent enfin à déboucher sur une nouvelle classe de médicaments anti-cancéreux, comme l'Avastine actuellement expérimenté avec succès contre les cancers avancés du colon. Autre piste très prometteuse, le vaccin thérapeutique anti-cancer. Le vaccin GVAX actuellement à l'essai semble très prometteur : son principe consiste à prélever les propres cellules cancéreuses des malades, les manipuler afin de les inciter à fabriquer un facteur de croissance activant le système immunitaire. Ce vaccin a démontré une activité dans des cancers aussi variés que ceux de la prostate, du rein, du poumon et de la peau. Les chercheurs de l'Institut Pasteur ont également mis au point un composé synthétique capable de provoquer chez la souris le rejet des tumeurs ! Ce vaccin anti-cancer, totalement synthétique et baptisé MAG (Multiple Antigenic Glycopeptide), parvient à stimuler de manière puissante les réponses immunitaires chez la souris. MAG protège les souris contre l'apparition d'une tumeur dans 70 à 90 % des cas, selon la dose administrée. Mais plus étonnant encore, le traitement de souris déjà atteintes de tumeurs a permis à 80 % d'entre elles de se débarrasser de leurs tumeurs et de survivre à la maladie ! Ce nouveau vaccin mis au point par l'Institut Pasteur constitue une avancée majeure dans la lutte contre le cancer. La thérapie génique constitue également une nouvelle arme anti-cancer pleine de promesses. Des chercheurs américains utilisant un virus génétiquement modifié font état d'essais thérapeutiques très encourageants conduits sur des malades souffrant d'un cancer des voies aérodigestives supérieures (langue, gorge, larynx, oesophage,...). Cette voie thérapeutique utilisant des virus génétiquement modifiés pour détruire sélectivement les cellules cancéreuses se révèle très prometteuse : il y a quelques semaines, le 7 mai, des chercheurs américains de l'Université du Texas à Houston ont en effet annoncé avoir réussi à modifier génétiquement un virus également de la famille des adénovirus de façon à lui faire prendre pour cible des tumeurs cérébrales. Ils sont parvenus à éliminer entièrement ces tumeurs chez des souris, ce qui ouvre de grands espoirs car ce type de tumeurs cérébrales est presque toujours mortel chez l'homme. A plus long terme, on devrait disposer, d'ici 10 ans, de toute une famille de nouveaux médicaments permettant le contrôle génétique de la plupart des cancers. Pourra-t-on un jour guérir le cancer ? A cette question que chacun, malade ou bien portant, se pose, nous pouvons aujourd'hui répondre oui, sans aucun doute, le cancer sera vaincu avant la moitié de ce siècle. Cela ne signifie pas que le cancer va disparaître ou sera systématiquement guéri mais il pourra être contenu et mis sous contrôle et n'entraînera plus la mort des malades. Un tel optimisme n'est-il pas excessif et imprudent ? Je ne le pense pas si l'on tient compte des extraordinaires progrès de la recherche au cours des deux dernières décennies. A mesure que nous approfondissons nos connaissances sur le cancer, nous nous rapprochons du jour où le cancer deviendra une maladie chronique qui pourra être soit éliminée, soit durablement contenue et contrôlée, comme c'est aujourd'hui le cas du diabète et de l'asthme. Aujourd'hui, on guérit globalement 55 % des cancers. Lors du congrès Eurocancer de juin 2002, la plupart des chercheurs étaient d'accord pour prévoir que huit cancers sur dix seront vaincus ou sous contrôle dans vingt ans, en combinant les extraordinaires avancées réalisées en matière de détection et de traitements. En m'appuyant sur les recherches les plus récentes, j'irai encore plus loin, même si toute prévision à long terme comporte de grands risques. J'ai la conviction qu'avant d'avoir atteint la moitié de ce siècle il sera possible de guérir ou de contrôler la quasi-totalité des cancers et parallèlement de réduire, en dépit du vieillissement de la population, le nombre de nouveaux malades du cancer, grâce à des modifications profondes de nos modes de vie et notamment à une prévention alimentaire individualisée. La déroutante diversité et la redoutable complexité du cancer tiennent au fait que cette maladie est intimement liée aux processus fondamentaux de la vie elle-même, prolifération et communication cellulaires, contrôle et expression génétique, reconnaissance par l'organisme du "soi" et du "non-soi". Comprendre et maîtriser le cancer revient finalement à comprendre et à maîtriser les mécanismes les plus intimes du vivant et c'est bien pour cela que ce défi est si difficile à relever et constitue l'une des plus extraordinaires aventures humaine et scientifique de tous les temps.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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