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Edito : Peut-on être certain qu'il y a de la vie quelque part, ailleurs, dans l'Univers ?
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Depuis une dizaine d’années, astrophysiciens et cosmobiologies vont de surprises en surprises : après avoir été longtemps convaincu que la formation de molécules organiques complexes dans l’espace était un phénomène possible mais rare, presque accidentel, ils ont été conduits à changer radicalement de position et admettent à présent, observations à l’appui, que partout dans l’Univers, y compris dans les zones cosmiques les plus hostiles à la vie, on assiste à une production massive de nombreuses molécules, plus complexes les unes que les autres.
En 2010, l’équipe de Philippe Schmitt-Kopplin, du Helmholtz Centre de Munich, et leurs collègues français et autrichiens, ont utilisé la nouvelle technique de spectrométrie de masse par résonance cyclotronique ionique à transformée de Fourier, connue sous l’acronyme anglais FT-ICR / MS. Cet instrument permet de peser les masses des molécules ionisées à la précision de celle d’un électron, soit 1 836 fois moins que la masse d’un atome d’hydrogène. Ces scientifiques ont pu réaliser l’analyse complète de fragments de la météorite Murchison. Ils ont ainsi détecté plus de 14 000 molécules organiques différentes impliquant les 6 éléments principaux associés à la Vie, C, H, O, N, S et P.
Tombée en Australie en 1969, la météorite Murchison appartient à la famille très recherchée des chondrites carbonées. En outre, elle a été mise à l’isolement très rapidement après sa découverte, ce qui réduit considérablement les risques de contamination terrestre. Les chercheurs ont rapidement découvert que cette météorite contenait de nombreuses molécules organiques constituant les bases des protéines, de l’ADN et de l’ARN. Parmi celles-ci, on a trouvé des purines, des pyrimidines et plus de 70 acides aminés, dont certains n’existent pas sur notre planète. La météorite de Murchison abriterait en fait des millions de molécules organiques différentes, ce qui tend à prouver que la diversité et la complexité des espèces chimiques extraterrestres, lors de la formation du Système Solaire, était bien plus élevée que sur Terre ! (Voir PNAS).
En 2014, Une équipe germano-américaine (Institut Max Planck de Bonn, université de Cologne et université Cornell aux États-Unis) a repéré, en quantité abondante, une molécule carbonée avec une structure jusqu'ici jamais observée dans le vide interstellaire (Voir Science). En effet les 180 molécules carbonées identifiées dans l'espace avaient jusqu'à présent soit une forme de ballon de foot (fullerènes), soit celle d'un collier de perles sur lequel les atomes de carbone sont rangés les uns derrière les autres comme les maillons d'une chaîne. Mais la molécule découverte par ces chercheurs, grâce au radiotélescope géant ALMA (Atacama Large Millimeter/submillimeter Array) basé au Chili, est différente. Dans cette molécule d'iso-propyl cyanide, les atomes de carbone ne sont plus disposés en file indienne, mais forment une ramification très particulière, en "patte d'oie". Ce type d’arrangement est très intéressant car il représente une structure sur laquelle pourraient venir s'assembler d'autres atomes pour former des molécules organiques beaucoup plus complexes, comme des acides aminés, les éléments qui constituent les briques essentielles de l'ADN et de la vie.
Ce type de molécules pourraient être le chaînon manquant entre les molécules plus simples produites naturellement dans les zones où se forment les étoiles, et les molécules complexes que sont les acides aminés, et que l'on retrouve dans certaines météorites tombées sur Terre. En effet, une étude de 2007 a montré que l'on pouvait trouver plus de 80 acides aminés au sein de météorites qui se sont écrasées sur notre planète. Cette étude conforte donc l’hypothèse selon laquelle ces acides aminés ont bien été formés dans l'espace.
Fin 2021, des chercheurs de l’Université de Leeds (GB) ont utilisé à leur tour toutes les ressources du télescope Alma -- l'Atacama Large Millimeter/Submillineter Array (Chili) --, capable de détecter les signaux très faibles en provenance de molécules situées dans des régions froides de l'Univers. Les astronomes ont étudié la composition chimique de cinq disques protoplanétaires situés entre 300 et 500 années-lumière de la Terre. Ils ont ainsi identifié, dans les régions du disque où se forment traditionnellement les planètes rocheuses, comme notre Terre, des molécules organiques simples comme le cyanure d'hydrogène (HCN), le l'éthynyl (C2H) ou le formaldéhyde (H2CO). Mais les chercheurs ont surtout trouvé trois molécules plus complexes : le cyanoacétylène (HC3N), l'acétonitrile (CH3CN) et le cyclopropénylidène (c-C3H2). « Notre analyse montre que ces molécules sont aussi principalement situées dans ces régions internes de ces disques, à des échelles de taille similaires à notre Système solaire, avec des abondances entre 10 et 100 fois supérieures à ce que les modèles prédisaient », précise John Ilee. Et l’étude souligne que c'est précisément dans ces régions cosmiques que se forment les astéroïdes et les comètes, de plus en plus fortement soupçonnés d’avoir activement participé à l’ensemencement de notre Terre par les premières molécules prébiotiques. Selon ces astronomes, il est très probable qu'un processus semblable à celui qui a participé à l'éclosion de la vie sur notre Planète puisse également se produire dans ces disques protoplanétaires (Voir University of Leeds).
En avril dernier, des chercheurs de l'Université d'Hokkaido au Japon ont analysé trois corps venus de l'espace et tombés sur Terre, dont la célèbre météorite de Murchison, déjà évoquée. Deux autres météorites ont aussi été étudiées : celle de Murray qui a atterri dans le Kentucky en 1950 et celle du lac Tagish, trouvée en 2000 en Colombie-Britannique. Dans ces trois météorites, les chercheurs ont trouvé deux types de bases azotées nécessaires pour former l'ADN et l'ARN. D’une part, les pyrimidines, qui comprennent la cytosine, l'uracile et la thymine. D’autre part, les purines comme la guanine, l'adénine ou la xanthine. Or, s’il était admis que des pyrimidines pouvaient se former dans l'espace, ces composants organiques n’avaient jamais été formellement identifiés dans une météorite.
En utilisant des techniques analytiques de pointe, les chercheurs japonais ont identifié pour la première fois dans ces météorites des bases pyrimidiques (cytosine et thymine), à des niveaux de concentration importants. Selon ces travaux, ces éléments auraient été en partie produits dans l’espace, par des réactions photochimiques, puis se seraient intégrés dans des astéroïdes lors de la formation du système solaire. Or, on sait qu’au cours du premier milliard d’années de l’histoire de la Terre (entre 4,5 et 3,5 milliards d’années), notre planète a connu un bombardement météorique d’une ampleur sans précédent, estimé à 10 puissance 9. Cet apport gigantesque de matière venue de l’espace aurait très bien pu permettre d’apporter suffisamment de molécules prébiotiques, fabriquées dans l'espace sur Terre, fournissant ainsi l’impulsion décisive à l'apparition de la Vie.
En juillet dernier, des chercheurs de l’Université de Berne dirigés par la chimiste Nora Hänni, ont montré que la comète "Tchouri" abritait un ensemble hétéroclite de molécules organiques complexes. Ces scientifiques ont trouvé plusieurs types de molécules qui ont pu être détectées pour la première fois dans une comète. Le rôle joué par les comètes dans l’apparition de la vie sur Terre était au cœur de la mission Rosetta sur la comète 67P/Tchourioumov-Guérassimenko. Le spectromètre de masse fourni par l’Université de Berne, et embarqué à bord de Rosetta, a révélé que les impacts de comètes sur la Terre étaient des fournisseurs essentiels de matière organique et pouvaient avoir contribué à l’émergence de la vie à base de carbone (Voir Science Daily). Cette étude a détecté une abondance de molécules organiques diverses, jusqu’à présent restées invisibles dans la poussière de comète. « Nous avons trouvé du naphtalène, de l’acide benzoïque, un composant naturel de l’encens, du benzaldéhyde, largement utilisé pour donner un arôme d’amande aux aliments, ainsi que de nombreuses autres molécules », souligne Nora Hänni.
Au même moment, des chercheurs de l’Université de Virginie ont mis en lumière pour la première fois la présence d’un composé chimique d’isopropanol (d’alcool) dans l’espace interstellaire. Cette découverte a été réalisée grâce aux observations du télescope ALMA situé dans le désert chilien d’Atacama. Ces chercheurs ont observé une région particulièrement fertile de notre Voie lactée, considérée comme une véritable pouponnière d’étoiles, Sagittarius B2, située à proximité du fameux trou noir supermassif Sagittarius A*. Ces travaux ont permis d’identifier du propanol, une molécule qui existe sous deux formes (deux isomères) : le propanol classique, et l’isopropanol. Or, les deux isomères ont été retrouvés dans cette région stellaire.
Il y a quelques jours, des scientifiques travaillant avec le télescope James Webb ont annoncé la découverte exceptionnelle d’un ensemble étonnant de molécules glacées cachées dans le nuage (Voir Nature Astronomy). En plus d’éléments tels que le dioxyde de carbone, l'ammoniac et l'eau gelés, James-Webb a également réussi à détecter des preuves de ce que l'on appelle des molécules prébiotiques dans le froid absolu du Cosmos interstellaire. « Notre identification de molécules organiques complexes, comme le méthanol et potentiellement l'éthanol, suggère également que les nombreux systèmes d'étoiles et de planètes qui se développent dans ce nuage particulier hériteront de molécules dans un état chimique assez avancé », a déclaré Will Rocha, astronome à l'Observatoire de Leiden. Celui-ci ajoute que « Cela pourrait signifier que la présence de molécules prébiotiques dans les systèmes planétaires est un résultat commun de la formation des étoiles, plutôt qu'une caractéristique unique de notre propre système solaire ».
En fait, la lumière émise par une étoile à l'arrière-plan du nuage a traversé tout ce qui se trouvait sur son chemin jusqu’à ce qu’elle parvienne au télescope James-Webb. Lorsque cette lumière a traversé le nuage lui-même, elle est entrée en contact avec toutes ces molécules glacées qui flottent à l'intérieur. Une partie de la lumière des étoiles a été absorbée par ces molécules glacées, laissant dans son sillage une empreinte caractéristique, le spectre d'absorption, qui a permis ensuite aux chercheurs de remonter jusqu’à la source de cette lumière, des molécules de glace interstellaires. Comme le souligne Klaus Pontoppidan, scientifique du projet Webb au Space Telescope Science Institute, « Sans le James Web télescope, nous n'aurions tout simplement pas pu observer ces glaces sans le projet Webb. Dans les régions aussi froides et denses, une grande partie de la lumière de l'étoile de fond est bloquée et seule l’incroyable sensibilité du JWST nous a permis de pouvoir détecter la lumière de l'étoile et donc identifier les glaces dans le nuage moléculaire ».
Cette nouvelle découverte du télescope spatial James Webb est absolument cruciale, car elle a permis, pour la première fois à ce degré de précision, d’identifier, dans un nuage de gaz ultra-froid situé à 500 années-lumière, de grandes quantités de molécules de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d'azote et de soufre. Ces éléments sont repris régulièrement sous l’acronyme CHONS. Il s’agit des cinq éléments chimiques que l’on retrouve en grande quantité chez les êtres vivants (Voir NASA). Mais en plus, à côté de ces éléments chimiques, le télescope a également identifié des molécules congelées complexes. Il s’agit, notamment, de l’eau (H2O), du méthane (CH4), de l’ammoniac (NH3), de l’oxysulfure de carbone (COS) et du méthanol (CH3OH).
Il y a quelques semaines, des astrophysiciens de l’Université de Boulder (Colorado) ont pu identifier, grâce au télescope Yebes en Espagne, dans un nuage précurseur d’étoiles situé à 44 années-lumière de la Terre, une molécule complexe, l'ortho-benzyne, ou C6H4, composée d'un anneau de six atomes de carbone avec quatre atomes d'hydrogène. Selon eux, elle a la particularité de pouvoir interagir avec de nombreux autres composés, permettant d'en former de plus en plus complexes. Et ce, sans apport de chaleur. A la surface de ces nuages, la température oscille en effet autour de -263°C, soit seulement 10 degrés au-dessus du zéro absolu. En théorie aucune réaction chimique ne peut avoir lieu, dans un tel froid, et pourtant, les réactions ont bien lieu !
Enfin, il y a seulement quelques jours, des chercheurs dirigés par les Professeurs Michel Farizon de l'Université Claude Bernard Lyon 1 et Tilmann Märk de l'Université d'Innsbruck ont confirmé, contre toute attente, l’existence d’une nouvelle voie abiotique (normalement incompatible avec la vie) pour la formation de chaînes peptidiques à partir d'acides aminés, une étape chimique clé dans l'origine de la vie (Voir CNRS). « Cette étude montre que de petits agrégats de molécules de glycine se polymérisent lorsqu'ils reçoivent de l'énergie. Notre étude met en lumière le scénario unimoléculaire pour la formation de telles chaînes d'acides aminés dans les conditions extrêmes de l'espace », explique Michel Farizon. « Alors qu’une diversité croissante de molécules complexes est observée dans l’espace, nos travaux apportent la preuve que la première étape vers l'origine de la vie peut se produire dans ces conditions extrêmes, qui sont normalement totalement incompatibles avec la vie », souligne ce chercheur.
Celui-ci rappelle que l'une des conditions préalables à l'émergence de la vie est la polymérisation abiotique – c’est-à-dire non provoquées par les êtres vivants – des acides aminés, les "briques" du vivant. L’étude rappelle que deux scénarios sont évoqués pour l'émergence de la vie sur Terre : d'une part, la formation de chaînes d'acides aminés sur Terre, et d'autre part, l'afflux de ces molécules depuis l'espace. Le second scenario suppose la production de chaînes d'acides aminés dans les conditions très défavorables et inhospitalières de l'espace. Ces travaux confirment de manière remarquable la possibilité de ce deuxième scénario, c’est-à-dire la formation de chaînes peptidiques à partir d'acides aminés en conditions abiotiques, y compris dans le cas du petit acide aminé existant, la glycine, une molécule par ailleurs déjà détectée au cours de ces dernières années dans plusieurs objets extraterrestres.
Cette étude montre que de petits agrégats de molécules de glycine se polymérisent lorsqu'ils reçoivent de l'énergie. Contre toute attente, les chercheurs on pu observer qu'une réaction se produisait au sein d'un agrégat composé de seulement deux molécules de glycine. La formation d'un dipeptide en un tripeptide au sein d'un agrégat a également été mise en évidence par les chercheurs. « Notre étude met en lumière le scénario unimoléculaire pour la formation de telles chaînes d'acides aminés dans les conditions extrêmes de l'espace », explique Michel Farizon. Fait étonnant, cette production de la chaîne peptidique peut se produire par le biais de réactions unimoléculaires dans des petits agrégats moléculaires excités, sans qu’ils aient besoin d'entrer en contact avec un partenaire supplémentaire comme la glace ou les poussières interstellaires. Ces travaux apportent une nouvelle preuve très solide que la première étape vers l'apparition de la vie peut se produire dans ces conditions extrêmes.
L’ensemble convergent de toutes ces récentes observations et découvertes a plusieurs conséquences absolument majeures sur les différents scénarios d’apparition de la vie sur Terre. Il semble en effet de plus en plus probable que la "panspermie", ou apport extraterrestre quantitatif et qualitatif de molécules organiques complexes sur Terre, ait pu jouer un rôle-clé dans l’apparition et la formation des premiers êtres vivants rudimentaires sur notre planète, il y a environ 4,8 milliards d’années. Mais, plus largement, il semble également que le Cosmos produise spontanément un peu partout, y compris dans ses régions les plus inhospitalières de très nombreuse molécules complexes qui forment les "briques" du vivant.
Comme l’explique de manière magistrale le grand scientifique anglais Sir Martin Rees, dans son essai "Seulement 6 nombres", les six constantes fondamentales de la physique, pour des raisons que l’on ignore totalement, semblent réglées de manière tout à fait improbable sur des valeurs très particulières qui sont toutes compatibles avec l’apparition de la vie, telle que nous la connaissons, c’est-à-dire basée sur la chimie du carbone. Martin Rees insiste sur le fait, incontestable, qu’il suffirait qu’une seule de ces constantes ait une valeur très légèrement différente, pour que l’apparition de la vie devienne strictement impossible. Cette troublante découverte scientifique est d’ailleurs pleinement reprise et développée par le grand astrophysicien franco-vietnamien Trinh Xuan Thuan, notamment dans son bel essai, "Vertiges du Cosmos".
Loin d’être indépendantes, même si elles possèdent leur niveau d’autonomie dans leurs différents champ d’action et à leurs différentes échelles spatio-temporelles, les grandes lois de la nature, qu’il s’agisse de la mécanique quantique, de la thermodynamique, de la relativité générale, de l’évolution des espèces, de la constitution de l’ARM et de de l’ADN, ou de la théorie de l’information, s’articulent parfaitement dans un ensemble de principes universaux plus vaste, cohérent et opérationnel, qui permet l’évolution du simple vers le complexe, puis du complexe vers le conscient et enfin du conscient passif vers le conscient réflexif, dont la plus haute expression est notre espèce…
Quand on sait qu'il y a au moins 300 millions de planètes habitables dans notre seule Voie Lactée et au moins 2000 milliards de galaxies dans l'univers observable, il est plus que probable que la vie soit apparue ailleurs que sur Terre et il est également raisonnable de faire le pari pascalien qu’il doit exister de nombreuses civilisations intelligentes dans le vaste univers...
Toute la question est de savoir si ces civilisations extraterrestres, que nous espérons tant identifier, voire rencontrer, ont envie de se manifester et d’entrer en contact avec nous. Si elles observent, depuis plusieurs millénaires, avec quelle constance et quelle efficacité nous sommes capables de nous entretuer et de détruire notre environnement, alors que nous n'arrivons toujours pas, en dépit de notre puissance technologique, à fournir à chaque humain le minimum indispensable en matière d'alimentation, de santé et d'éducation, on peut en douter…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Exobiologie
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