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Edito : Nos démocraties en sont restées aux idées du XVIIIe siècle

Ce qui était annoncé, est arrivé. Depuis le mercredi 30 août 2006, le moteur de recherche Google propose aux internautes de télécharger gratuitement sur Internet les grands classiques de la littérature mondiale tombés dans le domaine public.

Même si cette date sera noyée par les observateurs et demain par les historiens parmi les très nombreuses qui ont déjà bouleversé notre monde depuis 1989, il est indéniable qu'elle restera comme un moment fort de notre entrée dans la société de l'information.

Sans craindre l'erreur, nous pouvons affirmer que nous venons de quitter la galaxie de Gutenberg pour entrer dans celle de l'immatériel. Le papier, l'encre, la presse, la distribution de ces objets matériels sont dorénavant devenus obsolètes, l'instantané, l'universalité et la gratuité d'accès direct les ont remplacés.

Mais quel dommage que ce soit une société privée qui se soit emparée d'un tel flambeau et que les Démocraties n'aient pas pris conscience que c'est là qu'allait se jouer leur Destin.

En effet, l'activité humaine pouvant se résumer dorénavant, pour les siècles à venir, à sa capacité d'ajouter du savoir à un signal, les peuples ressentent, bien que certains aimeraient encore en bénéficier pendant quelques décennies, que leur avenir ne passe plus par des outils de production où le muscle et l'habileté ont joué un rôle si important depuis des siècles.

Ils prennent conscience que la phase d'acquisition des connaissances sera encore bien plus déterminante qu'à l'époque de Jules Ferry. Pour trouver sa place dans la société du futur, chacun devra certes savoir lire, écrire et compter mais, de plus, le citoyen du futur devra avoir des idées nouvelles.

Ce qui comptera dans la société du futur sera non plus de montrer de gros muscles ou de passer par le chas de l'aiguille sans trembler mais bien d'avoir la capacité permanente d'imaginer, d'innover, d'inventer.

Tous les biens matériels étant par nature en nombre limité sur notre Terre, ce n'est donc pas avec eux que nous pourrons apporter le bonheur à tous les humains, et ce d'autant plus que nous sommes de plus en plus nombreux.

Ce sont donc bien les idées, les concepts immatériels qui, eux, peuvent être produits en quantités illimitées, qui feront l'avenir de l'humanité. Cela est d'autant plus vrai que lorsque vous donnez une bonne idée à 1.000 personnes, alors vous enrichissez ces 1.000 personnes d'un savoir nouveau et ce, sans vous appauvrir vous-même.

Nos Démocraties en sont encore restées aux idées du 18e siècle. Elles pensent, pour sortir du terrible pouvoir par la violence qui dominait l'humanité depuis son origine (et qui malheureusement dans certaines parties du Monde est toujours le pouvoir dominant) que le pouvoir par l'argent apporte le bonheur aux peuples.Adam Smith et Karl Marx, en observant le Monde d'une position antagoniste, n'ont pas dit autre chose.

Mais comment pourrait-on promettre le Bonheur aux milliards d'êtres humains quand on sait pertinemment que l'argent avec lequel on promet de les récompenser est en quantité limitée et insuffisante.

Un nombre grandissant d'êtres humains ressentent que l'Humanité va devoir s'extraire de ce pouvoir par l'Argent pour qu'un nouveau pouvoir, le pouvoir par le Savoir, prenne enfin toute sa place.

Si des hommes éclairés, dans toutes les Démocraties mondiales, ont commencé à prendre conscience de cette mutation profonde, malheureusement, cette prise de conscience ne s'est pas encore fortement traduite dans les Lois, Décrets et Règlements divers édictés par les gouvernements et parlements de ces démocraties.

Alors que les idées circulent maintenant à la vitesse de la lumière, nos Démocraties, empêtrées dans la rigidité des règles, n'arrivent plus à réagir, en temps réel, aux évolutions de notre Monde.

Certes, des gouvernants, qui ont tout à fait conscience des profondes mutations de notre Monde, annoncent du haut de leur tribune qu'avec eux tout va changer et quelques mois plus tard, quand la machine étatique s'est emparée de ces belles idées, venant pourtant du sommet de la pyramide, le peuple constate qu'une fois encore la montagne n'a accouché que d'une souris.

Et pendant ce temps là, une société créée par quelques copains, il n'y a même pas 10 ans, met méthodiquement en place toutes les pièces pour damer le pion à nos Démocraties.

Et parmi toutes ces pièces, l'accès gratuit à tout le capital de connaissances acquises par l'Humanité depuis des siècles est une pièce maîtresse.

Pourquoi diable nos Démocraties n'ont-elles pas su à temps faire cela alors que la technique, avec Internet, le permet depuis une dizaine d'années ?

Votre serviteur, en 1994, est intervenu à la tribune du Sénat, en sa qualité de Président d'un groupe de travail (avec le Sénateur Pierre Laffitte) dont les conclusions allaient amener le gouvernement d'alors à créer « La Cinquième », Chaîne de télévision, la Chaîne d' « accès au Savoir » (qui oublie trop souvent, maintenant, sa mission d'origine pour tomber, comme les autres, dans des compétitions mercantilistes !).

Dans cette intervention, alors qu'allait être inaugurée quelques semaines plus tard la nouvelle Bibliothèque Nationale de France édifiée par Dominique Perrault à la demande expresse de François Mitterrand, je demandais solennellement au Gouvernement que toutes les bibliothèques, les vidéothèques, les filmathèques publiques de France aient pour obligation de numériser toutes les oeuvres qu'elles détenaient, et tombées dans le domaine public, et que ces reproductions numériques soient mises gratuitement à la disposition de tous les Français.

L'adhésion à mon idée fut unanime, que ce soit sur les bancs de Droite, du Centre ou de la Gauche du Sénat. Même le Ministre de la Culture de l'époque, M. Jacques Toubon, me dit combien il trouvait cette idée intéressante.

En quittant l'hémicycle, je pensais avoir fait du bon travail. Et pourtant, mois après mois, j'ai dû prendre conscience que les autorités en place, chacune bien au chaud dans son cocon, ne tenaient pas du tout à ouvrir leurs fenêtres pour laisser y entrer ce vent frais. Hormis une certaine considération, rien n'est sorti de cette volonté unanime...

Nous étions alors en 1994. Ce n'est qu'un an plus tard qu'est né Google. Aujourd'hui, si les Français veulent lire dans leur intégralité et gratuitement les oeuvres de Victor Hugo, de Flaubert, de Stendhal, c'est grâce à cette société privée qu'ils peuvent le faire et non grâce au gouvernement de la France. Comme c'est dommage...

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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