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Microbiote intestinal : trop de propreté peut nuire à votre santé

Chaque individu héberge 10 puissance 14 bactéries dans son intestin, soit 10 à 100 fois le nombre de cellules du corps humain. Cette flore intestinale, ou microbiote intestinal, est composée d'une grande diversité d'espèces qui sont pour la plupart spécifiques à chaque individu. On peut parler d'une sorte de "code barre bactérien" propre à chaque personne. Le tube digestif du foetus est stérile et donc dépourvu de bactéries. Le processus de colonisation microbienne débute au moment de la naissance, sous la dépendance de l'exposition aux micro-organismes d'origine maternelle (fécale, vaginale et cutanée), de l'alimentation et de l'environnement. Le microbiote devient stable sur les plans structurel et fonctionnel vers l'âge de deux ans. Ces micro-organismes qui colonisent notre système digestif et établissent une symbiose qui durera toute la vie, sont indispensables pour le maintien de nombreuses fonctions essentielles à notre l'organisme. Sans eux, la digestion des aliments serait altérée, les pathogènes intestinaux pourraient nous coloniser, le métabolisme du cholestérol serait différent et notre système immunitaire serait atrophié.

  • Comment le microbiote nous protège ?

Des éléments de réponse à cette question sont donnés dans une étude publiée le 22 mars 2012 dans la revue Science. Un groupe de chercheurs américains montrent que chez la souris, l'exposition à des "microbes", en début de vie, réduit la quantité de cellules iNKT (pour "invariant natural killer T"). Les lymphocytes T Natural Killer (NKT), représentent une sous population de lymphocytes T, cellules responsables de l'immunité cellulaire. Ces cellules expriment également des marqueurs de cellules NK. Comme toutes les cellules NKT, les iNKT reconnaissent la molécule CD1d à la surface des cellules cibles (à la place du MHC reconnu par les lymphocytes T), mais le récepteur exprimé à leur surface, liant CD1d, est ""invariant". Les lymphocytes iNKT sont des cellules immunitaires qui aident à combattre les infections, mais qui peuvent également se retourner contre le corps, provoquant une variété de troubles tels que l'asthme ou une maladie intestinale inflammatoire. Ces lymphocytes exercent leurs fonctions immunorégulatrices via la production de cytokines.

Cette étude confirme la théorie "hygiéniste" postulée depuis déjà 20 ans, affirmant que l'amélioration des conditions d'hygiène dans les pays développés favorise le développement d'allergies et de maladies auto-immunes en limitant la stimulation et donc la maturation du système immunitaire des enfants. Si cette théorie fait consensus aujourd'hui, les mécanismes sous-jacents de cette protection demeurent incompris. Pour répondre à cette question, Denis Kasper, Richard Blumberg et leurs collègues de l'école de médecine de Harvard à Boston (Etats-Unis), ont observé la susceptibilité à deux maladies, l'asthme et la colite ulcéreuse (une forme de maladie inflammatoire chronique intestinale), chez des souris axéniques (i.e. dépourvues de microbiote intestinal) et des souris conventionnelles exemptes de pathogènes. Il apparaît que les souris axéniques sont beaucoup plus susceptibles de contracter l'asthme ou la colite ulcéreuse que les souris conventionnelles et ont également une plus grande quantité de cellules iNKT dans les poumons et le colon. Ces résultats suggèrent que l'exposition aux microbes diminue le niveau d'iNKT et rend les souris moins propices aux maladies inflammatoires.

L'introduction de bactéries chez les souris axéniques au stade adulte, ne change rien à la donne. En revanche, la colonisation bactérienne de l'intestin des souris axéniques en gestation peu avant la mise-bas protège leur progéniture des maladies. Cette dernière observation suggère que l'âge de l'exposition aux bactéries est primordial pour les mammifères. De même, le blocage par un antigène de l'activation des cellules iNKT en début de vie, protège les souris contres les deux maladies.

A la recherche d'un mécanisme permettant de lier les cellules iNKT et les bactéries de la flore, les chercheurs se sont penchés sur une protéine, produite par les cellules épithéliales, nommée CXCL16. Les expériences réalisées montrent que l'augmentation de l'expression de cette chimiokine entraîne une augmentation du nombre de cellules iNKT. Les scientifiques soulèvent l'hypothèse que les bactéries empêchent la production d'iNKT en bloquant l'expression de la chimiokine CKCL16. Selon Everett Meyer de l'université de médecine de Stanford en Californie, les auteurs de cette étude "ont identifié les mécanismes immunitaires fondamentaux d'un fait que nous avions identifié depuis des années mais que nous étions incapables d'expliquer".

  • Le séquençage du microbiome, notre "autre génome"

Si ces résultats sont très intéressants, il reste difficile de savoir si les humains empruntent une voie similaire. En effet comme le souligne Mitchell Kronenberg du "La Jolla Institute for Allergy and Immunology" (LIAI) à San Diego (Etats-Unis), "il n'existe pas d'humains axéniques", nous possédons tous un microbiote. La prochaine étape est donc de trouver quelles sont les espèces bactériennes de la flore qui sont favorables au système immunitaire. Pour cela une nouvelle approche de biologie moléculaire appelée métagénomique a vu le jour. Elle permet le séquençage massif et à haut débit de l'ADN bactérien et permet d'en révéler non seulement les espèces présentes et inconnues mais aussi les fonctions majeurs assurées par le microbiote. Objectif : mettre à jour des associations entre flore bactérienne et maladies chroniques.

Deux projets visant à caractériser l'ensemble du microbiome (génome du microbiote) ont vu le jour. L'un en Europe, c'est le projet MetaHIT (pour "Metagenomics of the Human Intestinal Tract") coordonné par Dusko Ehrlich, de l'unité "Génétique microbienne" de l'INRA (Jouy en Josas, France) et l'autre aux Etats-Unis, où le projet s'intitule Human Microbiome Project. MetaHIT a généré en 2010 le premier catalogue des gènes microbiens contenant plus de 3 millions de gènes soit 80 à 150 fois plus que le nombre de gènes du génome humain. Ceci illustre la diversité des fonctions et des organismes présents dans le tube digestif humain. Du 19 au 21 mars 2012 à Paris (France), s'est tenu l' "International Human Microbiome Congress" (IHMC 2012) organisé par MetaHIT, l'occasion pour les chercheurs spécialistes du domaine de se retrouver pour faire le point sur les nouvelles connaissances apportées par ces deux projets.

Les résultats de cette étude apportent une pierre de plus à l'édifice de la compréhension des mécanismes de renforcement du système immunitaire par les bactéries de la flore intestinale. Ils ouvrent la voie à des analyses complémentaires permettant d'explorer, par des techniques plus globales de caractérisation du microbiote, les hypothèses avancées. Enfin ils montrent que contrairement à ce que nos mères ont pu nous apprendre, trop de propreté peut nuire à notre santé !

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