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Edito : La Mer : un prodigieux et inépuisable réservoir de richesses matérielles et énergétiques

La soif d’énergie de l’Humanité ne cesse de croître et aujourd’hui, le monde consomme chaque année 13,5 gigatonnes d’équivalent-pétrole, dix fois plus d’énergie qu’il y a un siècle. Et malgré les progrès considérables attendus dans le domaine de l’efficacité énergétique, cette consommation mondiale d’énergie devrait, selon les estimations les plus prudentes, au moins doubler d’ici 2050, pour atteindre les 27 Gteps. Quant à la consommation mondiale d’électricité, elle progresse encore plus vite que la consommation globale d’énergie et a été multipliée par trois depuis 1975 (contre un doublement pour la consommation globale d’énergie), pour atteindre le chiffre colossal de 24 000 TWh en 2015, c’est-à-dire 24 000 milliards de kWh ! Cette consommation électrique mondiale devrait, selon la plupart des prévisions, encore doubler d’ici 2050 pour atteindre les 50 000 TWh, ce qui devrait représenter une consommation moyenne par terrien (tous usages confondus) de plus de 5000 kWh par an…

Aujourd’hui, encore les deux tiers de l’électricité consommée dans le monde sont issus des énergies fossiles et cette production électrique galopante est responsable de plus du tiers des émissions humaines de CO2 (au total 40 gigatonnes par an). Or, l’explosion attendue de la consommation électrique mondiale d’ici 2050  risque d’être encore plus fort que prévue, notamment à cause de la montée en puissance du transport électrique. Il n’est en effet pas exclu que 20 % du parc automobile mondial qui roulera en 2050 soit propulsé à l’électricité, ce qui représentera plus de 200 millions de véhicules composés de véhicules électriques qui consommeront plus près de 400 TWH par an, c’est-à-dire l’équivalent de la production électronucléaire de la France… Il n’est pas besoin d’être polytechnicien pour comprendre que si nous voulons respecter nos engagements internationaux de réduction d’émissions de CO2 et éviter une accélération insupportable du rythme du réchauffement climatique, la production électrique mondiale, qui va encore doubler d’ici 2050, devra absolument être décarbonée à 70 ou 80 % pour ne pas aggraver nos émissions de CO2.

Concrètement, cela signifie, sur une base de consommation prévisionnelle de 50 000 TWh par an en 2050, que le monde va devoir produire à cet horizon environ 37 500 TWh par an en recourant uniquement à des énergies renouvelables et faiblement émettrices de CO2, principalement le solaire et l’éolien, tant sur terre que sur mer. Si nous retenons l’hypothèse prudente d’une production de 20 % de l’électricité mondiale par l’éolien (terrestre et maritime) en 2050 (30 % de cette électricité étant produite par l’énergie solaire), cela veut dire qu’il va falloir mettre en service d’ici le milieu du siècle environ 50 000 « mégaéoliennes » de 8 à 10MW de puissance, produisant chacune 20 à 30 millions de kWh par an.

Un tel développement de l’éolien mondial n’est pas envisageable sur terre, compte tenu de la taille gigantesque des machines et de leur impact. En revanche, il est tout à fait possible de réaliser de nombreuses fermes éoliennes marines et d’implanter des milliers d’éoliennes géantes sur les mers et les océans, sans impact majeur sur les populations et l’environnement. A cet égard, il faut rappeler que le potentiel énergétique renouvelable de l’océan mondial est énorme, de l’ordre de 100 000 TWh, dont 20 000 sont exploitables, soit sous forme éolienne, pour 12 000 milliards de kWh, soit en tirant l’énergie de la houle, des courants, de l’énergie thermique des mers, ou de l’énergie osmotique pour le solde énergétique (8000 TWh).

On distingue 6 ressources marines valorisables technologiquement en électricité : l'énergie marémotrice (différence de hauteur entre marée haute et marée basse), l’éolien marin, l’hydrolien (courants sous-marins), l’énergie houlomotrice (énergie des vagues et de la houle), l'énergie thermique des mers (valorisation de la différence de température entre des eaux de surface et de profondeur) et enfin l'énergie osmotique (différence de salinité entre eau douce et eau salée).

Selon Maxime Bousseaud, chercheur à Grenoble Energie, les différents potentiels techniquement exploitables (PTE) de ces énergies marines sont pour notre pays d’environ 100 TWh pour l’énergie marémotrice, 90 TWh pour l’éolien offshore, 40 TWh pour le houlomoteur, 10 TWh pour l’hydrolien, 7 TWh pour l’ETM, soit au total près de 250 TWh, c'est-à-dire 45 % de la production totale d'électricité en France !

Il y a quelques semaines, l’exploitation de l’énergie des courants marins est entrée dans sa phase active, avec la mise en eau, par EDF et DCNS-OpenHydro, de la deuxième hydrolienne qui va constituer le premier parc au monde à produire de l’électricité issue de cette forme d’énergie marine. Après avoir expérimenté depuis 2014 la productivité des courants au large de Paimpol-Bréhat, les acteurs de cette nouvelle filière énergétique viennent de franchir un nouveau pas vers l’exploitation industrielle à grande échelle de cette source d’énergie prometteuse. La première turbine de 16 mètres de haut a été installée en début d’année par 40m de profondeur. Elle devrait être bientôt rejointe par une seconde machine du même type. Ces hydroliennes seront reliées à un convertisseur sous-marin commun élaboré par General Electric qui va transformer l’énergie en courant continu et l’acheminer jusqu’à la côte sur la commune de Ploubazlanec. Ce site breton de Paimpol-Bréhat devient ainsi le premier au monde à exploiter à une large échelle l’énergie issue des courants marins. Un deuxième parc devrait entrer en service prochainement dans la baie de Fundy au Canada, un site qui présente la particularité d’avoir des marées de très grande amplitude (jusqu’à 21m).

DCNS a par ailleurs décidé de réaliser son atelier de construction d’hydroliennes sur un site de 25 hectares appartenant au port de Cherbourg. Cette unité de production sera achevée en 2017 et devrait produire sept hydroliennes de 14 MégaWatts (MW) de puissance programmées sur le Raz Blanchard à l’horizon 2018. À l’horizon 2020, cette usine assemblera 25 puis 50 hydroliennes par an qui iront équiper les futures fermes hydroliennes d’Aurigny et Raz Blanchard.

Cette nouvelle aventure technologique et industrielle s’accompagne également d’une évolution de notre cadre réglementaire. L’arrêté du 24 avril dernier sur les investissements en matière d’énergie renouvelable devrait faciliter et accélérer les investissements dans ce domaine stratégique des énergies marines. L’État a par ailleurs décidé que la puissance installée des parcs d’éoliennes marines devra atteindre 6000 MW (l’équivalent de quatre EPR) à l’horizon 2023.

Mais à ces énergies marines renouvelables « classiques », bien qu’encore très sous-exploitées (marémotrice, thermique, houlomotrice, hydrolienne, éolienne et osmotique) pourrait s’ajouter l’énergie thermochimique intrinsèque contenue dans l’eau de mer et que les scientifiques apprennent à récupérer. Au Japon, une équipe de l'université d'Osaka vient ainsi de mettre au point un nouveau procédé photocatalytique permettant de transformer - grâce à la lumière du soleil - de l'eau salée en peroxyde d'hydrogène (H2O2). Un composé chimique qui permet ensuite de produire de l’électricité. Ces chercheurs, dirigés par le professeur Shunichi Fukuzumi, sont parvenus à mettre au point une nouvelle cellule photoélectrochimique qui, sous l’effet de la lumière solaire, absorbe les photons. Cette énergie est ensuite utilisée pour amorcer une réaction chimique qui transforme l’eau salée en eau oxygénée (H2O2), un composé que le professeur Fukuzumi qualifie de véritable "combustible solaire" et qui présente l’avantage d’être, sous sa forme gazeuse ou liquide, moins dangereux à stocker et à manipuler que l’hydrogène.

Mais en attendant que cette énergie marine du futur tienne toutes ses promesses, les choses avancent à grands pas dans le domaine stratégique de l’éolien marin : l'Allemagne, la Belgique, le Danemark, la France, l'Irlande, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède se sont engagés, le 6 juin dernier, à renforcer leur coopération dans l'énergie éolienne offshore. Ils ont signé, avec les commissaires européens en charge de l'Union de l'énergie et du climat, un plan d'action spécifique aux "mers du nord du continent". Cette coopération va permettre une exploitation coordonnée, tant sur le plan technologique que réglementaire, du potentiel éolien considérable des mers qui bordent le Nord de l’Europe. L’enjeu économique, technologique et environnemental est considérable quand on sait que l’association européenne de l’énergie éolienne prévoit une production d’électricité provenant de l’éolien marin de l’ordre de 562 TWh à l’horizon 2030, ce qui pourrait couvrir environ 15 % des besoins en électricité de l’Union européenne à cette échéance, tout en réduisant de 300 millions de tonnes par an les émissions européennes de CO2.

Parallèlement, les principaux acteurs industriels de l'éolien en mer, dont E.ON, General Electric, Vattenfall, RWE, Adwen et Siemens, se sont fixé l’objectif de ramener le coût de production moyen en-dessous de 8 centimes d’euros le kWh, un seuil à partir duquel cette forme d’énergie deviendra compétitive par rapport aux énergies fossiles, surtout si l’on intègre dans la fiscalité  le « coût-carbone » de ces dernières.

Et parmi les facteurs qui peuvent permettre d’atteindre plus rapidement le seuil de compétitivité pour l’éolien marin, il y a naturellement l’efficacité énergétique des machines. Dans ce domaine, il n’est pas exagéré de dire qu’une véritable rupture est en cours avec l’arrivée d’éoliennes géantes extrêmement performantes. La société Adwen, coentreprise fondée par Areva et Gamesa, teste actuellement à Bremerhaven (Allemagne), sa turbine géante d'une puissance de 8 MW, pour 205 m de haut. Cette éolienne géante AD 8-180 est destinée à équiper le parc éolien de Saint-Brieuc en 2020 et ceux de Dieppe-Le-Tréport et Yeu-Noirmoutier en 2021.

Mais d’ici la fin de cette décennie, une nouvelle génération d’éoliennes marines va peut-être venir complètement bouleverser les perspectives de production énergétique marine au niveau mondial. Des chercheurs américains de l’université de Virginie travaillent en effet sur une éolienne marine d’un nouveau type qui pourrait permettre à terme de produire jusqu’à 6 fois plus d’électricité que les plus puissantes et les plus grandes éoliennes marines en activité, qui affichent déjà une puissance de 8 MW et possèdent des pales de 80 mètres de long. La machine que préparent ces chercheurs devrait avoir des pales de plus de 200 mètres de long et une puissance de 50 mégawatts (MW). Pour parvenir à une telle puissance, ces « mégaéoliennes » auront des pales révolutionnaires en structure composite qui pourront plier vers l’avant, comme le font les palmiers et absorber ainsi l’énorme quantité d’énergie cinétique frappant leur surface.

Avec l’arrivée de ces monstres de puissance, l’exploitation de l’énergie du vent sur les océans changera de dimension puisque chacune de ces machines pourra produire, sur les sites marins plus favorables, jusqu’à 150 millions de kilowatts heure par an, de quoi couvrir les besoins en électricité de 50 000 foyers…

Il faut également évoquer les perspectives très prometteuses de développement des éoliennes marines flottantes qui n’ont plus besoin d’être implantées à proximité des côtes et peuvent être installées en haute mer. La première éolienne flottante française devrait entrer en service d'ici mi-2017 au large du Croisic. Après trois ans d'études, les différents éléments pour le montage de cette éolienne de deux mégawatts, baptisée « Floatgen », viennent d’être présentés à Saint-Nazaire, début juin. Ce projet Floatgen réunit Bouygues TP et Centrale Nantes et a le soutien d’investisseurs privés et publics (Région Pays-de-la-Loire, Ademe, Banque publique d'investissement, fonds européens). Il devrait permettre d’étendre considérablement les zones potentielles d’implantations des éoliennes marines, tout en réduisant les conflits d’usage entre usagers de la mer et en exploitant de manière optimale les vents plus forts et plus réguliers du grand large.

Mais une autre source d’énergie marine beaucoup moins connue que l’éolien marin ou même l’énergie des courants et des vagues, pourrait venir faire son entrée dans le paysage énergétique mondial d’ici 20 ans : l’énergie osmotique. Cette énergie, découverte par le chimiste néerlandais et Nobel van't Hoff en 1886, provient de la différence de pression qui se manifeste entre un milieu moins salé et un autre plus salé, ce qui se traduit par la transformation de l’énergie chimique présente en énergie mécanique.

Depuis des décennies, chercheurs et ingénieurs tentent d’exploiter la différence de salinité entre l'eau douce et l'eau de mer pour produire de l'énergie renouvelable. Néanmoins, les faibles rendements des techniques actuelles, de l’ordre de 3 watts du m2, constituent un frein à son utilisation. La première centrale osmotique au monde a été mise en service à Hurum en Norvège fin 2009. D’une surface de 2000 m2, elle produit environ 1 MW par an. Au niveau mondial, le potentiel exploitable de cette énergie osmotique a été évalué à au moins 1 600 TWh par an, ce qui est considérable et représente 15 % de la production mondiale d’électricité ou encore trois fois la production électrique totale de la France.

Reste que les surfaces très importantes nécessaires – de l’ordre de 250 000 m2 pour produire seulement un MWh par an constituent un sérieux frein au développement à grande échelle de cette énergie peu connue. Mais cet obstacle pourrait être levé grâce aux remarquables travaux d’une équipe de physiciens de l'Institut Lumière Matière (CNRS / Université Claude Bernard Lyon 1), en collaboration avec l'Institut Néel (CNRS). Ces chercheurs explorent une nouvelle voie pour récupérer cette énergie : l'écoulement osmotique à travers des nanotubes de Bore-Azote permet de générer un courant électrique géant avec une efficacité plus de 1 000 fois supérieure à celle atteinte jusqu'ici. En février 2013, cette équipe a présenté dans la prestigieuse revue Nature son dispositif expérimental de transport osmotique des fluides à travers un nanotube unique (Voir Nature) qui montre que l’'intensité du courant traversant le nanotube de Bore-Azote est de l'ordre du nanoampère, soit plus de mille fois celui produit par les autres méthodes cherchant à récupérer l'énergie osmotique.

Les nanotubes de Bore-Azote permettent donc de réaliser une conversion extrêmement efficace de l'énergie contenue dans les gradients salins en énergie électrique directement utilisable. En extrapolant ces résultats à une plus grande échelle, une membrane de 1 mètre carré de nanotubes de Bore-Azote aurait une capacité d'environ 4 kW et pourrait alors produire 30 MWheure par an, c’est-à-dire 1000 fois plus d’énergie que les centrales osmotiques en service aujourd'hui. Avec un tel rendement, il suffirait alors d’une centrale d’environ 250 000 m2 pour produire chaque année autant d’électricité qu’un réacteur nucléaire moyen actuel (7 TWh par an).

Une autre source considérable d’énergie est présente dans les océans sous forme d’énergie thermique qu’il est possible d’exploiter et de récupérer dans certaines zones marines tropicales qui se caractérisent par une très grande différence de température entre les eaux de surface et les eaux profondes. Le potentiel global de production de l’énergie thermique des mers dans le monde pourrait atteindre 10 000 TWh/an selon une étude de l’AIE-OES, soit plus de 40 % de la consommation mondiale actuelle d’électricité.

Il était impossible de faire ce rapide tour d’horizon des énergies marines sans évoquer également l’énergie marémotrice qui utilise le mouvement de l’eau provoquée par les marées pour produire de l’électricité. La France, avec la célèbre usine marémotrice de la Rance, mise en service en 1966, est en effet pionnière dans ce domaine. Mais en dépit d’un potentiel énergétique récupérable important (de 100 à 400 Twh par an selon les études), cette forme d’énergie reste complexe à utiliser au niveau industriel car les sites rentables et exploitables sont assez peu nombreux dans le monde et nécessitent en outre des centrales de très grande dimension ayant un impact non négligeable sur l’environnement.

On le voit, les mers et les océans recèlent, sous différentes formes renouvelables, des quantités absolument phénoménales d’énergie que l’homme commence à peine à apprivoiser. À ce défi que représentent l’ampleur et le rythme de la transition énergétique que le monde va devoir réaliser pour parvenir à maîtriser le changement climatique en cours, nous devons élargir notre vision et comprendre que l’avenir énergétique et économique de la planète se jouera aussi sur les mers. Les grandes puissances, qu’il s’agisse des États-Unis, de la Russie du Japon et surtout de la Chine, sont d’ailleurs parfaitement conscientes de cet enjeu maritime majeur et s’affrontent de manière de plus en plus rude depuis quelques années dans le but avoué d’étendre leur espace maritime souverain et d'en exploiter toutes les ressources.

Après avoir pendant des millénaires permis la circulation des hommes et des marchandises, la mer deviendra au cours de ce siècle un prodigieux et inépuisable réservoir de richesses matérielles et énergétiques et se transformera également en lieu de travail et de vie pour des dizaines et peut-être des centaines de millions d’hommes. Notre pays, avec son domaine maritime tout à fait exceptionnel de plus de 11 millions de kilomètres carrés et son savoir-faire technologique et industriel, ne doit pas laisser passer cette opportunité unique et doit prendre la tête de cette mutation de civilisation qui aura le grand large comme nouvel horizon.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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  • Jack Teste-Sert

    24/06/2016

    Que de bonnes nouvelles....!

    Pour les usines marémotrices, rien n'empêcherait de reproduire des pénétrations de mer "type Rance" en bordures des déserts, comme au Sahara, en Namibie, en Russie de l'Est et en Australie ou en Patagonie, au Nord du Chili pour amoindrir EL Nino...

    Ces pénétrations auraient déjà le mérite de faire baisser légèrement le niveau des mers !

    Et, de favoriser des micro-climats PLUS HUMIDES en bordure de région arides, avec repeuplement de celles-ci..., pour les paysans tentés par "l'immigration sans issue" en raison de la sécheresse et la famine.

    Qu'attend donc l'ONU pour réclamer ces grands travaux plus propres et sains, avec reforestations massives absorbant le CO2 en trop ?
    Comme l'Europe, elle n'agit jamais que contrainte et pour faire armée inutile en trop, puis de dire manquer d'argent pour faire mieux, propre et durable !§!

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