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Edito : Le stockage par air comprimé pourrait changer la donne pour le développement des énergies renouvelables

Face au réchauffement climatique, il est désormais admis que le monde doit accélérer une double transition énergétique : d'une part, ramener à 25 %, ou moins, la part des énergies fossiles dans le mix mondial, d'autre part, aller plus vite vers l'électrification des usages (notamment dans l'industrie et les transports) et faire passer la part de l'électricité dans la consommation mondiale d'énergie de 25 % à au moins 50 % d'ici 2050. Et s'agissant de cette seule production d'électricité, il va également falloir passer de 40 % à 80 % de renouvelables d'ici 2050. Concrètement, cela veut dire, compte tenu des dernières prévisions d'augmentation de la consommation mondiale d'électricité d'ici 2050 (+50 %), qu'il va falloir multiplier par 5 la production éolienne et par 12 la production solaire, pour que ces deux énergies renouvelables, que l'on sait exploiter aujourd'hui avec une très grande efficacité, puissent représenter 60 % de l'électricité mondiale au milieu du siècle. Mais pour pouvoir équilibrer en permanence les réseaux électriques, à partir de sources renouvelables par nature intermittentes (solaire et éolien), il sera nécessaire d'augmenter considérablement les différents moyens de stockage massif de l'énergie. À commencer par le premier d'entre eux, les Stations de Transfert d’Energie par Pompage  (STEP). Le monde compte plus de 400 stations de pompage turbinage de grande capacité mais accroître ce parc n'est pas simple car le nombre de sites exploitables est limité, les investissements à prévoir sont importants et les durées de construction très longues. C'est pourquoi l'AIE prévoit que l'essentiel des nouveaux moyens de stockage seront des batteries géantes, dont le coût d'installation a été divisé par 5 depuis 10 ans. Un rapport de Bloomberg New Energy Finance prévoit qu’à l’horizon 2030, les batteries réutilisées pourraient constituer jusqu’à 20 % de la capacité installée dans le monde, contre environ 5 % aujourd'hui. Il y a un an, le G7 a appelé à multiplier par six les capacités mondiales de stockage d'électricité d'ici 2030, par rapport à 2022. Cet objectif a été repris en novembre dernier lors de la COP29, qui s’est fixé l’objectif encore plus ambitieux d’atteindre 1 500 GW de stockage d’ici 2030, soit huit fois plus qu’en 2024...

Une autre technologie de stockage très prometteuse, à la fois plus simple et moins coûteuse à mettre en œuvre que les STEP, mais aussi que les batteries géantes, pourrait venir changer la donne énergétique mondiale, le stockage amélioré par air comprimé, encore appelé CAES en anglais (Compressed-Air Energy Storage). L'idée est d’utiliser de l’électricité issue de sources renouvelables quand elle est disponible en quantité pour comprimer de l’air et le stocker dans des réservoirs sous-terrains ou sous-marins. En cas de pic de demande d'électricité, la décompression de cet air permet de répondre rapidement aux besoins. Des chercheurs de l’université Penn State (États-Unis) ont récemment montré qu’en exploitant les nombreuses infrastructures existantes - anciens puits de pétrole et de gaz - pour stocker l’air comprimé, il est possible de réduire les coûts d'exploitation inhérents à cette technologie, tout en améliorant l’efficacité énergétique des CAES. Cette étude montre que l’installation de CAES dans les milliers de puits de pétrole ou de gaz abandonnés augmente considérablement la température de l’air dans ces systèmes. Or, la pression des gaz augmente naturellement avec la température. Selon ces scientifiques, il suffirait d’utiliser une petite partie des 4 millions de ces puits recensés aux États-Unis pour pouvoir stocker de manière efficace, rentable et sûre de grandes quantités d'énergie, en utilisant leur nouveau système de stockage par air comprimé assisté par géothermie (Voir Penn State).

Le stockage d’énergie par air comprimé (CAES) fonctionne sur deux phases. Lors du stockage, l’électricité excédentaire est utilisée pour comprimer de l’air à très haute pression (100 à 300 bars) qui est ensuite stocké dans une cavité souterraine. Pendant la phase de déstockage, l’air comprimé est extrait et injecté avec du gaz dans une chambre de combustion ; ce mélange arrive alors dans une turbine couplée à un alternateur pour produire de l’électricité. Ce système simple et peu onéreux permet de stocker l’énergie à grande échelle, mais son rendement est généralement limité à environ 50 % en raison de la perte de chaleur lors de la compression. Le concept développé par ces chercheurs consiste à améliorer ce rendement en intégrant la chaleur géothermique naturelle des formations rocheuses profondes. Cette approche permet d’atteindre le neutralité-carbone et d'obtenir une efficacité de conversion énergétique dépassant 60 %. La Chine a bien compris le potentiel remarquable de ces nouvelles solutions améliorées de stockage d'électricité par air comprimé. En décembre dernier, Le groupe Huaneng a lancé la deuxième phase de ce qui s'annonce comme le plus important projet de stockage d’énergie par air comprimé (CAES) du monde, dans les cavernes de sel de Jintan à Changzhou, province de Jiangsu (Voir Tsinghua University).

Le projet Jintan se distingue par la combinaison de nombreuses améliorations techniques comprenant notamment un système de démarrage rapide qui simplifie les opérations, réduisant les temps de démarrage de 20 minutes à seulement 5 minutes. La turbine à air peut démarrer très rapidement en cas de pics de demande, améliorant de manière décisive la stabilité du réseau. La deuxième phase du projet Jintan comprendra deux unités CAES supplémentaires de 350 MW chacune, avec une capacité de stockage combinée de 1,2 million de mètres cubes. L'ensemble de ce système hors-norme permettra de stocker jusqu’à 2,8 GWh d’électricité par charge complète, un record mondial. Cette installation pharaonique, en stockant et réutilisant de manière ingénieuse la chaleur générée lors de la compression de l’air permet à la fois d’atteindre la neutralité carbone et une efficacité de conversion énergétique dépassant 60 %. Avec ce méga-projet, la Chine entend bien devenir leader dans cette technologie d'avenir du stockage massif d'énergie par air comprimé.

Les États-Unis entendent bien, eux aussi, rester dans cette course technologique mondiale. La Californie accueillera bientôt un énorme système de stockage par air comprimé (CAES). En cours de réalisation, l’installation devrait avoir à terme une puissance de 500 GW, pour une capacité de stockage gigantesque de 4 GWh (dépassant le projet chinois de Jintan) et sera mise en service d’ici 2028. Ce projet californien, baptisé Willow Rock Energy, sera implanté à Rosamund et mis en œuvre par l'’entreprise canadienne Hydrostor (voir Hydrostor). Cette unité géante de stockage permettra de mieux équilibrer les fluctuations de la production électrique d'origine renouvelable, hors nucléaire (principalement solaire et éolienne) qui représente déjà 45 % de l'électricité californienne (soit 117 TWh sur les 206 TWH de production totale) et devrait atteindre les 60 % en 2030, puis les 100 % en 2045. Pour répondre rapidement aux fortes demandes du réseau, notamment pendant les chaudes journées d'été, quand les climatisations tournent à plein régime, l’énergie sera déstockée et alimentera les grands centres urbains, particulièrement la région densément peuplée de Los Angeles. Comme le système chinois, ce projet de stockage n’est pas un CAES classique, mais un "A-CAES", utilisant une technologie prometteuse, dite adiabatique. Cette technique utilise de l'eau qui inonde l’espace de stockage souterrain. À l’arrivée de l’air comprimé dans la cavité, l’eau remonte vers un grand réservoir supérieur. Ce déplacement est déclenché par un phénomène physique appelé "compensation hydrostatique". Grâce à cette technique, l’air comprimé est maintenu à une pression constante. L’A-CAES comporte également un système de récupération de la chaleur fatale du compresseur. Contrairement à un système CAES classique, où il est souvent nécessaire de brûler du gaz pour alimenter la turbine, ce qui dégage du CO2, la seule chaleur récupérée par ce système adiabatique suffit pour chauffer l’air.

En France, il faut citer le groupe d’ingénierie Segula Technologies qui a développé Remora, une nouvelle technologie très performante de stockage par air comprimé qui utilise un système de compression isotherme. D’abord développée pour l’éolien offshore, cette technologie repose sur un "Remora Stack", une batterie géante à air comprimé qui prend la forme d’un conteneur de 12 mètres de long. Grâce à ce système de compression isotherme, le rendement de ce système atteint un niveau d'efficacité inédit de 70 %. Avec cette technologie, la puissance de stockage est déterminée par la taille du compresseur, et la capacité de stockage est déterminée par le volume d’air comprimé. Deux projets pilotes, soutenus par l'Europe, devraient être déployés en Espagne d’ici 2026, d’une puissance de 200 kW chacun. La capacité de stockage d’un seul conteneur atteint 1 mégawattheure (MWh). Avec le Remora Stack, le groupe français vise le marché des sites industriels, des écoquartiers et des infrastructures publiques grâce à un format compact et modulable, bien adapté à ce type d’usage. Segula veut également décliner sa technologie aux particuliers. Celle-ci prendrait alors la forme et la taille d’un ballon d’eau chaude et pourrait permettre de stocker l’énergie produite par des panneaux photovoltaïques grâce à une technologie qui ne nécessite ni terre rare, ni lithium (Voir SEGULA Technologies).

Au niveau européen, le projet de recherche (RICAS 2020) vise à utiliser les nombreuses cavernes désaffectées comme sites de stockage d'énergie par air comprimé. « Plus l’air a conservé la chaleur de la compression lorsqu’il est libéré de la réserve, plus il peut travailler lorsqu’il passe dans la turbine à gaz. En réussissant à conserver une plus grande partie de cette chaleur que ne le permet la technologie de stockage actuelle, nous augmenterons l’efficacité nette des installations de stockage, tout en réduisant leur coût de fonctionnement », précise Giovanni Perillo, chef de ce projet RICAS 2020. Ce programme européen de recherche vise à utiliser de la manière la plus efficace possible l’excédent d'énergie généré par les panneaux solaires et les éoliennes pour comprimer l'air, qui serait stocké dans des cavernes. Plus la quantité d'air chaud libérée par le réservoir de chaleur est importante, plus la quantité d'électricité produite est élevée et plus l'efficacité globale du système augmente. Actuellement, la plupart des grandes installations de stockage par air comprimé perdent une grande partie de leur capacité potentielle, car elles n’intègrent pas de système de stockage de la chaleur produite lors de l’étape de compression de l’air. Le projet RICAS 2020 vise à surmonter cet obstacle et à augmenter l’efficacité du système jusqu’à 75 %, contre à peine 50 % pour les systèmes classiques. Ce projet est potentiellement adaptable aux nombreux tunnels et puits de mine désaffectés que recèle l'Europe et qui peuvent être réaménagés facilement et rendus étanches grâce à de nouvelles membranes en polymère, légères et résistantes (Voir SEGULA Technologies).

Une société israélienne, BaroMar, parie, quant à elle, sur un système original et ingénieux de stockage sous-marin d'air comprimé. Ce système se compose de grands réservoirs maintenus immergés à une profondeur allant de 200 à 700 mètres, grâce à de simples cages contenant des roches. Ils sont équipés de vannes perméables et remplis d’eau de mer. Une fois que des dispositifs tels que des éoliennes ou des panneaux photovoltaïques produisent un excédent d’énergie, celui-ci est utilisé pour activer un compresseur qui va alimenter les réservoirs avec de l’air. Pour produire de l’électricité, le dispositif laisse circuler l’air stocké à haute pression dans un tuyau jusqu’à ce qu’il atteigne une turbine d’expansion, entraînant un générateur. Grâce à ce fonctionnement et à la pression que l’eau exerce sur l’air, Jacobs, le cabinet d’ingénierie en charge de la réalisation du projet pilote, a calculé que le rendement du CAES pouvait atteindre 70 %. Outre cet excellent rendement, BaroMar veut également parvenir à produire de l’énergie à moindre coût avec son CAES sous-marin. Pour atteindre cet objectif économique, la société israélienne a opté pour des matériaux peu coûteux, tels que le béton et l’acier, dans la conception des réservoirs. Ces derniers n’ont d'ailleurs pas besoin d’être aussi solides que ceux utilisés dans les autres systèmes de CAES, car ce système permet d'atteindre un équilibre entre la pression hydrostatique et celle de l’air emmagasiné. Au final, BaroMar estime le LCOE (coût actualisé de l’énergie) à environ 93 €/MWh pour une installation de 100 MW/1 GWh fonctionnant pendant 350 jours par an, durant 20 ans. Ce coût est sensiblement moindre que celui des autres systèmes de stockage d’énergie de longue durée, qui est de l'ordre de 120 €/MWh (Voir TCD).

En Allemagne, la société Optimetron, basée à Pforzheim, a développé une éolienne, baptisée Zired, qui intègre son propre réservoir d’air comprimé. Cette solution innovante est plus efficace et moins onéreuse pour le stockage d’énergie à long terme. Là encore, l’idée consiste à pouvoir stocker à la source l’énergie sous forme d’air à haute pression. Cet air comprimé peut ensuite être utilisé pour entraîner une turbine lorsque le vent n’est pas assez fort et assurer ainsi une production suffisante d'électricité. L’air comprimé dans le réservoir est fourni par un compresseur directement intégré à l’éolienne Zired. Autre avantage de taille, ce système est en mesure de remplir le réservoir d’air, même si le vent est faible et la vitesse de rotation des pales, lente. Enfin, dernier atout, cette éolienne fonctionne de manière très souple et peut produire de l’électricité à la demande, en s'adaptant aux besoins de l’utilisateur final (Voir Optimetron). Cette éolienne à faible empreinte carbone et à entretien réduit a une capacité de stockage de 2 GW, qui pourra être doublée si nécessaire.

Je veux évoquer enfin une dernière innovation remarquable qui concerne à la fois le stockage d'énergie et les transports. Il s'agit d'un moteur révolutionnaire mis au point sur le site technologique du Madrillet près de Rouen, par la société Anthos Air Power. En 2019, l’entreprise s'est fixé l'objectif de transformer un Renault Master en remplaçant son moteur à combustion par un moteur à air comprimé, plus propre, moins bruyant et moins coûteux (Voir Anthos Air Power). AAP a montré que cette approche pouvait non seulement maintenir la performance du véhicule, mais aussi réduire sensiblement son empreinte carbone et son impact environnemental. En optimisant le système de propulsion, l’entreprise est aujourd'hui en mesure de proposer un véhicule pouvant parcourir jusqu’à 100 kilomètres avec seulement un mètre cube d’air. Et AAP compte bien doubler cette autonomie, grâce au passage à un moteur à deux temps, plus efficace et moins gourmand en carburant. Le "plein" d'air comprimé se fait en moins de 5 minutes, grâce une petite station conçue également par AAP. Cet étonnant moteur a été conçu de manière à aspirer l’air ambiant pour chauffer et augmenter le volume de l’air comprimé. Cette méthode ingénieuse permet de diminuer encore davantage l’empreinte écologique du véhicule. Mais les applications de ce moteur ne se limitent pas au secteur des transports et il pourrait aussi être utilisé pour stocker l’énergie solaire pendant la journée et alimenter, par exemple, une habitation la nuit.

Ces différents avancées et expérimentations montrent à quel point il est possible, en combinant de manière ingénieuse les récents progrès intervenus dans les domaines de la modélisation informatique, de l'électronique et des nouveaux matériaux, de donner un nouveau souffle à un concept scientifique aussi ancien que celui du stockage par air comprimé. Devenus bien plus efficaces, économiques, écologiques (aucune terre rare ou produit chimique n'est nécessaire à leur fonctionnement) et rapides à mettre en œuvre, ces nouveaux systèmes de CAES pourraient bien constituer le "chaînon manquant" décisif, dans la panoplie des outils de stockage massif de l'énergie (STEP, batteries géantes, vecteur hydrogène) qui permettront demain d'équilibrer en permanence des réseaux électriques essentiellement alimentés à partir d'énergies renouvelables intermittentes (soleil et vent). Souhaitons que notre pays, qui dispose à la fois de plusieurs milliers de puits de mines abandonnés et des compétences scientifiques et industrielles nécessaires, se donne les moyens de rester dans cette course technologique mondiale des systèmes de stockage par air comprimé de nouvelle génération, qui seront amenés à jouer un rôle important dans l’accélération de la décarbonation, de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique...

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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