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Edito : L'arthrose, un fléau sanitaire mondial méconnu...
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Selon l'OMS, plus de 600 millions de personnes souffrent d'arthrose dans le monde (toutes localisations confondues), soit 8 % de la population mondiale, et le nombre de malades aurait triplé depuis 40 ans. Les femmes ont nettement plus de risques supplémentaires d'être touchées par cette pathologie qui peut devenir très invalidante et douloureuse. L'arthrose du genou est la plus répandue au niveau mondial. En 2050, on estime qu'il y aura plus d'un milliard de personnes dans le monde qui seront atteintes par cette maladie. Le nombre de personnes souffrant d'arthrose du genou, de la hanche ou de la main, sera respectivement de 642 millions, 62 millions et 279 millions. En France, l’arthrose touche 10 millions de personnes (un adulte sur 5), dont les deux tiers ont plus de 65 ans. L’arthrose est devenue la plus courante des affections chroniques touchant les articulations et entraîne des douleurs chroniques pour les trois quarts des patients. Il faut également souligner que l'incidence de l'arthrose a doublé depuis 25 ans. Quand à son coût pour la collectivité, il a plus que doublé en 20 ans, passant de 1,6 à 3,5 milliards d'euros.
L'arthrose reste une maladie complexe et multifactorielle, dont les causes multiples ne sont pas encore clairement connues. Elle se caractérise par une destruction progressive du cartilage, ce qui engendre une production accrue de liquide synovial, le liquide qui se trouve au niveau des espaces articulaires et qui est sécrété par les cellules du tissu tapissant l'articulation. Cela entraîne un gonflement et des crises inflammatoires. Contrairement aux idées reçues, l’arthrose ne constitue pas une usure normale des articulations. C’est une pathologie à part entière, liée à des phénomènes et processus mécaniques, biologiques et génétiques qui déstabilisent l’équilibre entre la synthèse et la dégradation du cartilage. Grâce aux récents progrès de la recherche, on sait désormais qu’il s’agit d'une maladie systémique, qui affecte toute l’articulation, c'est-à-dire le cartilage, l’os, le tissu synovial et le tissu adipeux. Cette maladie revêt de nombreuses formes et certaines arthroses évoluent beaucoup plus rapidement que d’autres mais sans que l’on en comprenne très bien les raisons. Toutes les articulations peuvent être atteintes par l’arthrose. La maladie peut ainsi toucher la colonne vertébrale, le genou (gonarthrose), la hanche (coxarthrose), le pouce (rhizarthrose), l’épaule, la main, la cheville, le pied. Les arthroses du genou et de la hanche concernent respectivement 30 % et 10 % des personnes de 65 à 75 ans. Elles sont plus invalidantes car elles touchent des articulations importantes qui portent le poids du corps. Les facteurs de risque de développement de la maladie sont le vieillissement, les anomalies métaboliques (obésité, diabète, hyperglycémie, hypertension artérielle), et les surcharges mécaniques liées au surpoids.
Si la médecine ne sait toujours pas guérir cette maladie, la recherche avance à grands pas et de nombreuses avancées ont été annoncées au cours de ces dernières années, tant sur le plan fondamental que pour une meilleure prise en charge des symptômes, notamment les douleurs chroniques qui accompagnent cette pathologie. En matière de nouveaux traitements, plusieurs médicaments prometteurs sont en cours d'expérimentation. Le repositionnement d’un antidiabétique bien connu pourrait avoir un intérêt dans l’arthrose du genou. Injecté en intra-articulaire, le liraglutide, un régulateur de glycémie, « présente un effet anti-inflammatoire important, ainsi qu’un effet antalgique et régénératif pour le cartilage », se félicite le Professeur Berenbaum, à l’origine de ce programme de recherche, dont les premiers résultats sont très encourageants. Il y a quelques mois, des rhumatologues de l’Université Monash ont découvert qu’un médicament bien connu, le méthotrexate (utilisé notamment en cancérologie) permet de réduire de moitié, après six mois de traitement, les symptômes douloureux de l’arthrose et notamment de l’arthrose de la main. Ces recherches menées auprès de 97 participants, souffrant d'arthrose symptomatique de la main, montrent que le repositionnement du méthotrexate pourrait constituer un nouveau traitement efficace et peu coûteux pour les affections articulaires inflammatoires (Voir The Lancet).
Un autre médicament suscite de grands espoirs, la résinéfératoxine (en essai clinique de phase 3), indiquée pour les patients atteints d’une arthrose du genou modérée à sévère. Injectée tous les 6 mois en intra-articulaire, la résinéfératoxine permet d'endormir les nerfs présents dans l’articulation et ainsi atténuer la douleur. La protéine LNA043, expérimentée dans des essais de phase 2 par des chercheurs de l’hôpital Lariboisière, à Paris, semble augmenter les capacités de réparation des chondrocytes, les cellules du cartilage. Elle a été injectée sur des patients qui avaient une très forte arthrose de genou, au stade terminal, et qui étaient donc candidats à une prothèse. Ce nouveau traitement pourrait permettre une véritable réparation du cartilage (Voir Nature Medicine).
Une récente étude menée par des chercheurs américains de l’université de Californie du Sud (Voir Science Translational Medicine) a également montré qu'il était possible de provoquer une régénération du cartilage dégradé par l’arthrose. Ces scientifiques ont identifié une protéine clé de la voie de signalisation de l’inflammation dans les cellules du cartilage et trouvé un petit peptide de quatre acides aminés capable de bloquer son activation. Chez l'animal, l’infiltration du peptide dans la cavité synoviale qui entoure le genou a induit un renouvellement du cartilage et corrigé une arthrose provoquée artificiellement. Ce traitement a aussi nettement réduit la douleur et le boitement des animaux traités. Une autre approche prometteuse vise à stimuler directement la formation de nouveau cartilage dans l’articulation, grâce à deux nouvelles molécules, le TPX-100 et le lorecivivint, en cours d’essais chez des patients.
Autre étude prometteuse, celle dirigée par le Professeur Christian Jorgensen, rhumatologue au CHU de Montpellier et directeur de l’Institut de médecine régénératrice et de biothérapies. Baptisée Adipoa, elle repose sur le prélèvement des cellules souches d’origine adipeuse (CSA) chez un patient atteint de gonarthrose. Ces cellules sont ensuite réinjectées dans le genou du malade. Un an après le début des essais sur l'homme, « la thérapie cellulaire a une action anti-inflammatoire, qui se traduit par une amélioration de la douleur et de la mobilité», souligne le Professeur Jorgensen. L’Inserm et le CHRU de Strasbourg développent, pour leur part, un patch composé de biomatériaux sur lequel sont insérées les cellules mésenchymateuses qui sont appliquées directement dans l’articulation. « Pour mettre au point nos futures prothèses biologiques d'ici 2030, nous imprimons en 3D une partie du cartilage lésé avec une bio encre dans laquelle on intègre les cellules souches », souligne le Professeur Jorgensen.
Nadia Jessel, directrice de l’unité Inserm UMR 1260 / Laboratoire RNM (Nano Médecine Régénérative) à Strasbourg travaille sur une technologie de médecine régénérative qu'elle a décidée d'exploiter dans le cadre de sa nouvelle société, Lamina Therapeutics. Cette technologie de rupture combine un pansement biodégradable contenant des nano-réservoirs de produits actifs et des cellules souches issues de la moelle osseuse du patient. Implanté grâce à une procédure chirurgicale courte et mini-invasive, cet implant permet aux os et au cartilage de se régénérer, évitant au patient la pose d’une prothèse. « Cette combinaison permet une reconstitution plus rapide et en profondeur de l’os et du cartilage », précise Nadia Jessel. Pour l’instant, cette technologie est destinée à traiter l’arthrose et les traumatismes du genou, mais elle est destinée à s'étendre à d’autres articulations, comme la hanche.
Il y a quelques mois, une méta-analyse a montré que la greffe de cellules souches issues de différentes sources était efficace dans le traitement de l'arthrose du genou, la maladie articulaire chronique la plus répandue. Cette méta-analyse a porté au total sur 875 participants, souffrant d'arthrose du genou. 441 patients ont reçu une greffe de cellules souches (groupe d’intervention), 434 ont reçu un traitement standard, sans greffe (groupe témoin). L’analyse confirme que la thérapie par cellules souches est bien associée à une réduction significative de la douleur (Voir EurekAlert).
La stimulation du nerf vague, déjà explorée pour le traitement de plusieurs types de douleurs chroniques, pourrait également constituer une nouvelle approche thérapeutique pour l'arthrose de la main. Ce nerf du système nerveux parasympathique intervient dans le fonctionnement de nombreux organes internes, et produit des effets anti-inflammatoires lorsqu’il est activé. Le Professeur Sella travaille sur une nouvelle technique de stimulation de ce nerf depuis l’oreille, pour soulager les douleurs liées à l'arthrose de la main. Les résultats de cet essai clinique seront connus d’ici la fin de l’année.
Des chercheurs américains de l’université Duke ont développé un traitement sanguin permettant de diagnostiquer la progression de l’arthrose des genoux jusqu’à 8 ans à l’avance. Pour mettre au point ce nouvel examen, les chercheurs ont identifié 24 biomarqueurs prédictifs responsables de l’arthrose du genou sur un panel de 200 femmes. Ils ont découvert que 6 de ces marqueurs permettaient d'indiquer avec une fiabilité de 77 % si une personne développera de l'arthrose du genou dans les huit années suivantes. Cette avancée majeure pourrait permettre de prédire précocement la maladie et de proposer aux malades des traitements adaptés pour freiner sa progression. Contrairement aux indices comme l'âge ou l'IMC qui sont des indicateurs généraux de santé, les biomarqueurs reflètent directement les processus biologiques spécifiques en cours dans le corps, offrant ainsi une prédiction plus précoce et ciblée de l'arthrose. « Notre test sanguin montre qu'il est possible de détecter cette maladie bien plus tôt que les méthodes de diagnostic actuelles ne le permettent. Ce qui va permettre d'intervenir très en aval et d'empêcher la progression de la maladie » souligne Virginia Kraus, co-autrice de l’étude (Voir Science Advances).
A Grenoble, Emmanuel Brun, au sein du Rayonnement Synchrotron pour la Recherche Médiale, développe, depuis cinq ans, une nouvelle technique prometteuse, dite « imagerie par contraste de phase aux rayons X » (ICP). « Comme la radiographie, l’ICP repose aussi sur la mesure de l’absorption de rayons X par les tissus traversés. Elle permet donc de bien voir les os, mais mesure également la déviation des rayons X par les tissus, que l’on appelle “réfraction” ». explique le chercheur. Ces chercheurs ont pu valider leur technique sur des genoux de souris atteintes d’arthrose. De manière remarquable, les images d’ICP ont révélé bien plus de détails que les techniques d’imagerie conventionnelles, comme un nombre plus élevé de micro-calcifications. Cette nouvelle technique d'imagerie médicale est appelée à révolutionner le diagnostic précoce de l'arthrose.
Il faut également évoquer l'étonnant bracelet connecté, conçu par Remedee Labs, une start-up française spécialisée dans la prise en charge de la douleur non-médicamenteuse. Ce bracelet, qui n'a rien d'un gadget, permet de stimuler de l’endorphine naturelle et ainsi diminuer la souffrance liée à l’arthrose. Ce point est capital quand on sait que 70 % des douleurs liées à l'arthrose ne sont toujours pas prises en charge correctement. « La solution proposée par Remedee Labs répond à ce besoin, et s’inscrit dans le cadre de l’amélioration du parcours de soins du patient », souligne le Professeur Alain Serrie, chef du service de médecine de la douleur à l’APHP. Ce bracelet utilise judicieusement des champs électromagnétiques de haute fréquence pour stimuler le système nerveux et augmenter la sécrétion d’endorphine, une hormone naturelle qui va permettre la diminution de la douleur. L’étude menée par le CHU de Grenoble sur 60 personnes souffrant d’arthrose périphérique a confirmé l’efficacité de cette neurostimulation sur les patients présentant ce type de douleur articulaire. « Les résultats de notre essai ont montré qu’une utilisation d’une à trois fois par jour du bracelet pendant 3 mois entraînait une réduction significative de la douleur chez les patients souffrant d’arthrose périphérique », indique le Docteur Laurent Grange, rhumatologue au CHU de Grenoble.
Soulignons enfin le rôle important, bien qu'encore trop négligé, de l'alimentation et de l'exercice physique adapté dans la prévention de l'arthrose. Une étude de référence publiée en 2017 a montré une corrélation entre un régime riche en fibres et le risque de développer une arthrose du genou. Cette recherche consistait en une méta-analyse examinant 2 études à long terme sur les bénéfices d’un régime riche en fibres. L’étude a été menée conjointement entre des chercheurs de l’université Tufts à Boston et des chercheurs de l’université de Manchester. Les 2 études portaient sur 4796 participants. Les chercheurs ont déterminé l’apport en fibres au début de l’étude en utilisant un questionnaire sur la fréquence alimentaire. Les participants ont été suivis pendant quatre ans et ils ont été évalués de nouveau 9 ans après (Voir BMJ). Ces patients ont consommé en moyenne 15g de fibres par jour dans la première étude et 19g dans la seconde. Dans l’ensemble, l’analyse statistique a indiqué qu’une consommation accrue de fibres était corrélée avec un risque plus faible d’arthrose douloureuse. Les participants qui ont consommé le plus de fibres ont eu un risque d’arthrose 30 % moins élevé parmi les participants de la première étude et 61 % moins élevé dans la cohorte de la seconde, comparativement à ceux qui avaient consommé le moins de fibres.
En 2022, des scientifiques de l'EPFL de Lausanne ont découvert que la combinaison d’une augmentation de la température du cartilage associée à une stimulation mécanique favorisait la production de matrice cartilagineuse par ses cellules et préservait la qualité du cartilage. Le cartilage ne contient pas de vaisseaux sanguins. Il a donc tendance à garder la chaleur lorsque l’on marche ou court. L’accumulation de chaleur dans le cartilage va induire une augmentation de sa température qui va passer de 32 degrés, lorsque le genou est au repos, à 37 degrés après qu’il soit sollicité durant un certain temps. Ces recherches ont pu montrer qu'en combinant ces deux effets, mécanique et thermique, les cellules du cartilage vont exprimer en plus grandes quantités des gènes liés au maintien du cartilage.
Ces résultats inattendus ouvrent une piste thérapeutique nouvelle pour toutes les personnes qui souffrent d’arthrose précoce. En effet, la dégradation du cartilage s'accompagne d'une perte de capacité à accumuler de la chaleur, ce qui ne permet plus une augmentation de la température dans ce tissu. Il en résulte que les cellules du cartilage ne parviennent plus à fonctionner de manière optimale. Cependant, ces recherches montrent que si l’on chauffe le cartilage conjointement à un effort physique, il est possible de stimuler les cellules pour qu’elles puissent à nouveau produire du tissu cartilagineux et éventuellement inverser la progression de la dégénérescence du cartilage. Ces chercheurs vont à présent tester sur des patients souffrant d’arthrose précoce une combinaison de séances de physiothérapie et de traitement local chauffant le genou.
On le voit, la prévention et la prise en charge de l'arthrose vont radicalement changer d'ici la fin de cette décennie, avec l’arrivée de nouvelles thérapies cellulaires, biochimiques et électromagnétiques qui pourront non seulement réduire sensiblement les douleurs chroniques inhérentes à cette maladie souvent invalidante, mais pourront également, dans un nombre croissant de cas, régénérer les cartilages et tissus détruits et restaurer ainsi la mobilité et l'autonomie perdues. Reste que, comme cela est également vrai pour le cancer, les maladies cardiovasculaires, les maladies neurodégénératives, ou les maladies métaboliques comme le diabète, la prévention de l’arthrose, comme des autres pathologies articulaires, passera également par un changement de mode de vie, associant une alimentation saine et des exercices physiques adaptés et personnalisés, tout au long de la vie...
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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- Publié dans : Médecine
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