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Edito : Maladie d'Alzheimer : mieux vaut prévenir que guérir !

Au cours des 50 prochaines années, le nombre de personnes de plus de 60 ans augmentera de 9 millions. Dans tous les cas, la part des sexagénaires dans la population totale augmentera de manière significative. De 20,6 % de la population totale en 2000, elle passera à 35 % en 2050. Aujourd'hui, près de 10 millions de Français ont 65 ans ou plus, ils pourraient être 18,7 millions en 2050, soit 29,2 % de la population en 2050 (18,1 % pour les 75 ans ou plus et encore 7,5 % pour les 85 ans ou plus). Quant aux personnes âgées de plus de 85 ans, au nombre de 1,3 million en 2005, elles seront 2,1 millions dès 2020.

L'allongement de la durée de vie (9 ans en trente-cinq ans) s'est traduit essentiellement par des gains de vie en bonne santé, résume l'Insee, tout en dressant la liste des maux qui menacent les « vieux ». A 65 ans, les hommes peuvent espérer vivre encore plus de 17 ans et les femmes plus de 21 ans. L'espérance de vie sans incapacité a augmenté plus vite que l'espérance de vie générale (9 ans depuis 1970) mais, selon des chiffres de 1991, les hommes doivent affronter la perspective de vivre 5,6 ans en moyenne avec incapacité et les femmes, 8 ans. Par exemple, 5 % des 70-79 ans ont besoin d'aide pour la toilette, 19 % des 80-89 ans et 44 % des 90 ans ou plus. En outre, à partir de 60 ans, 75 % des personnes déclarent une ou plusieurs déficiences de gravité très variable et 22,6 %, plusieurs déficiences physiques. On compte aujourd'hui 1,3 million de personnes dépendantes, dont plus de 700 000 sont atteintes de dépendance lourde de plus en plus souvent liée aux maladies neurodégénératives et notamment à la maladie d'Alzheimer.

En France, la maladie d'Alzheimer et les syndromes apparentés frappent environ 855 000 personnes et l'on estime à plus de 225 000 le nombre de nouveaux cas chaque année. Si l'on inclut l'entourage familial, ce sont ainsi près de trois millions de personnes qui sont directement touchées par la maladie d'Alzheimer. Entraînant une diminution de l'espérance de vie qui s'accroît avec l'âge des personnes atteintes, la durée de survie moyenne est estimée à cinq ans à partir de l'établissement du diagnostic. La démence touche également davantage les femmes et constitue la principale cause d'entrée en institution. (Voir rapport de l'OPECST)

Or, du fait principalement du vieillissement de la population et de l'amélioration du diagnostic, les projections pour les années à venir sont très inquiétantes. Ainsi, si les choses n'évoluent pas, notamment au niveau de la recherche, 1,3 million de personnes en seraient atteintes dès 2020, soit une personne de plus de 65 ans sur quatre, comme vient de le rappeler l'association France Alzheimer le 21 septembre 2005, à l'occasion de la 12e journée mondiale consacrée à cette maladie.

En matière de prévention de la maladie d'Alzheimer, on sait depuis plusieurs années, grâce à plusieurs études convergentes, que l'exercice physique et les activités sociales jouent un rôle déterminant dans le bon maintien des facultés cognitives. On sait également que la prise régulière d'anti-inflammatoires semble exercer un effet protecteur sensible contre cette affection redoutable.

Mais selon une vaste étude franco-australienne que nous évoquions dans notre lettre 350, la semaine dernière, diminuer la pression artérielle chez les personnes âgées permet de réduire le nombre de lésions qui touchent la substance blanche du cerveau et qui, à terme, pourraient augmenter le risque de problèmes cognitifs ou de démence.

Des chercheurs de l'Inserm ont en effet réalisé une passionnante expérimentation sur 192 patients à trois ans d'intervalle afin de mesurer l'évolution des lésions cérébrales. Un groupe de patients a reçu un traitement contre l'hypertension, un autre groupe a pris un placebo. Les résultats, publiés dans la revue Circulation, montrent que les personnes sous hypertenseurs développaient deux fois moins de lésions que les autres. Par ailleurs le volume des nouvelles lésions était cinq fois moins important parmi les sujets sous anti-hypertenseur. Ces résultats confortent donc la notion selon laquelle le traitement de l'hypertension artérielle protège le cerveau. Le traitement était d'autant plus efficace que les patients avaient une importante quantité d'hypersignaux au début de l'étude. Les auteurs estiment donc que l'abaissement de l'hypertension doit être pris en compte en tant que facteur important dans la prévention des troubles cognitifs liés au vieillissement, sachant que 80 % des gens de plus de 65 ans sont concernés par l'hypertension.

Par ailleurs, de récentes études américaines viennent de montrer que certains acides gras, et notamment les oméga-3 contenus dans certains poissons, exerçaient un puissant effet protecteur sur les neurones en empêchant le déclenchement de la maladie d'Alzheimer ou en ralentissant sa progression.

Sur le plan médical, on sait à présent, grâce à des autopsies de personnes asymptomatiques, que les premiers signes de la maladie d'Alzheimer peuvent être détectés dans le cerveau avant l'âge de 40 ans, comme le souligne le professeur Bruno Dubois, neurologue à l'hôpital de la Salpêtrière (Paris) et président du comité scientifique de l'association France-Alzheimer. Tous les chercheurs tentent aujourd'hui d'identifier les cas de pré-Alzheimer, car les traitements actuels sont d'autant plus efficaces qu'ils sont prescrits tôt. Le diagnostic très précoce pourrait, selon les travaux de l'équipe de Bruno Dubois, reposer sur l'étude de la mémoire des faits récents.

Si nous voulons mettre en place dans notre pays une ambitieuse politique de prévention de la maladie d'Alzheimer, nous devons donc actionner simultanément plusieurs leviers : prise en charge précoce et généralisée de l'hypertension, éducation alimentaire, promotion d'une bonne hygiène de vie et d'un exercice physique régulier, encouragement des activités sociales cognitives pour les seniors, et tests cognitifs généralisés dès 40 ans. Une telle politique globale de prévention pourrait prévenir ou retarder de manière très importante l'apparition de la maladie d'Alzheimer et son cortège de conséquences désastreuses sur le plan humain, social et économique. Malheureusement, nous restons en France dans une logique de « primauté thérapeutique ». Convaincu par la toute puissance de la science, nous comptons d'abord sur les progrès de la médecine pour parvenir à soigner et à guérir cette terrible maladie.

Il serait pourtant possible, pour un coût raisonnable, de mettre en place sur le long terme une politique efficace de prévention de la maladie d'Alzheimer, en nous appuyant sur les récentes découvertes des facteurs qui protègent le cerveau de cette pathologie destructrice. Bien entendu, une telle prévention active et généralisée n'est concevable qu'en synergie avec un effort accru en matière de recherche fondamentale pour mieux comprendre les mécanismes intimes de cette maladie complexe et multifactorielle.

Comme en matière de cancer et de maladies cardio-vasculaires, nous devons changer notre conception de la santé et de la médecine et faire de la prévention et de l'éducation sanitaire non des outils subsidiaires et mineurs d'action mais des leviers majeurs de lutte contre les grandes pathologies qui affectent nos sociétés modernes. Dans cette perspective, l'Etat doit jouer un rôle déterminant d'impulsion et de mise en oeuvre sur le long terme de grandes politiques de prévention et de dépistage précoce afin que notre collectivité puisse relever les défis sociaux du vieillissement à l'horizon 2050.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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