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Edito : Lutte contre la douleur : une nouvelle ère va s’ouvrir !

Il y a deux siècles exactement, en 1818, le grand médecin et physiologiste français François Magendie fut le premier à utiliser la morphine pour soulager les souffrances d'une femme lors d’une dissection aortique. Il utilisa alors, en pratique clinique, et à la place de l’opium, cet opiacé, dont les effets sédatifs et antalgiques venaient d’être décrits l’année précédente par le pharmacien allemand Friedrich Sertüner.

Mais aujourd’hui, aux Etats-Unis, les overdoses médicamenteuses sont devenues la première cause de mortalité accidentelle, avec environ 65 000 décès en 2016. Prescrits essentiellement pour des douleurs chroniques, qui touchent 25 millions d'Américains, ces médicaments à base d’opiacés finissent en effet souvent par entraîner une forte dépendance physique et psychique qui toucherait à présent plus de deux millions d’Américains.

Le 26 octobre 2017, Donald Trump a d’ailleurs décrété « l’urgence sanitaire nationale pour lutter contre la dépendance aux produits opiacés ». Il est vrai que le médicament analgésique le plus prescrit outre-Atlantique est l’oxycontin, un opioïde très puissant, selon le classement de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et qui est prescrit normalement aux malades du cancer et à la prise en charge des douleurs post-opératoires.

Face à cette situation de crise sanitaire très grave, les recherches s’intensifient dans le monde entier pour essayer de trouver des solutions pharmacologiques alternatives à la prise en charge des douleurs chroniques et rebelles. Des chercheurs de l’University College London (Royaume-Uni), dirigés par Maria Maiarù, ont par exemple développé un nouveau composé, issu de la toxine botulique. Il s’agit d’une molécule hybride, composée, d’une part, d'une molécule botulique et, d’autre part, de dermorphine, un opioïde 40 fois plus puissant que la morphine (Voir Science Translational Medicine).

Ce composite nommé Derm-BOT est capable d’inhiber spécifiquement les neurones impliqués dans le traitement de la douleur au niveau de la moelle épinière. Les essais de cette molécule sur plus de 200 souris souffrant de douleurs chroniques ont montré qu’une injection intrathécale (dans la moelle épinière) suffisait à stopper la douleur chronique (douleur inflammatoire et neuropathique) pendant au moins un mois. Ces recherches ont également montré l'absence d'effet indésirables et de dépendance liés à la prise régulière de ce médicament. Reste à présent à réaliser les indispensables essais cliniques sur l'homme, avant de pouvoir mettre sur le marché ce nouveau médicament très attendu, sans doute vers 2023.

Aux Etats-Unis, des chercheurs du département de physiologie et pharmacologie de l’Université de Wake Forest en Caroline du Nord ont annoncé, fin août, qu’ils avaient réussi à développer et tester sur des primates un nouveau composé qu’ils ont nommé AT-121, et qui pourrait non seulement devenir une alternative aux antidouleurs actuels, mais également aider les patients devenus dépendants à ce type de médicament (Voir Wake Forest).

Ces travaux ont permis de découvrir une molécule qui peut se lier sur deux récepteurs présents dans le cerveau : les récepteurs opiacés mu (μ), que la plupart des analgésiques et opioïdes comme l’oxycodone ou la morphine ciblent, et les récepteurs nociceptifs, qui ont pour rôle de réguler l’activité du cerveau, en bloquant par exemple le sentiment d’addiction et de dépendance.

Partant de ce principe, cette molécule AT-121 est très innovante, car elle peut agir simultanément sur ces deux récepteurs clés du cerveau. Elle cible d'une part le récepteur opioïde mu, comme le font les analgésiques conventionnels, dont les produits apparentés à la morphine. Mais, d'autre part, cette molécule vise aussi le récepteur de la nociceptine, régulateur de diverses activités cérébrales, dont le sentiment de dépendance.

Les premiers essais réalisés sur des macaques rhésus ont permis de vérifier qu’avec des doses cent fois moins importantes que la morphine, AT-121 soulageait avec la même efficacité les douleurs. Les chercheurs ont également administré cette molécule à des primates ayant développé une addiction à l’oxycodone, et ils ont pu constater que ce nouveau médicament entraînait une réduction sensible de la dépendance. En outre, AT-121, contrairement aux opioïdes, ne semble pas provoquer d’effets secondaires, comme des problèmes cardiovasculaires ou des dépressions respiratoires. Cette efficacité thérapeutique devra cependant être vérifiée par de longs essais cliniques chez l’homme, avant que ce médicament puisse être mis sur le marché.

Mais la lutte contre la douleur a également connu un autre tournant majeur il y a une quinzaine d’années, quand les scientifiques ont commencé à explorer une immense mine potentielle, celle des conotoxines, issues de certains coquillages marins et possédant de remarquables propriétés antalgiques. Depuis 2004, une première conotoxine a fait son apparition dans l’arsenal thérapeutique contre les douleurs chroniques intenses aux USA et en Europe. Il s’agit du zicotinide, dont le principe actif est issu du venin du cône marin Conus magus et agit sur les canaux calciques, impliqués dans la transmission nerveuse des messages douloureux. Contrairement aux médicaments dérivés de la morphine, les conotoxines présentent l’immense avantage de réduire considérablement les risques d’addiction.

En France, une jeune start-up alsacienne a décidé en 2017 de se lancer dans l’aventure des médicaments issus des cônes marins, en créant une ferme dédiée à ces coquillages. Unique en Europe, cette start-up, baptisée « Domiconus », a pour ambition de fournir aux laboratoires de recherche médicale une solution fiable d’approvisionnement en venins rares à des fins de recherche scientifique.

On comprend mieux l’enjeu économique que représentent ces recherches sur les conotoxines quand on sait que, rien qu’en France, le marché des médicaments susceptibles d’être une alternative aux antidouleurs actuels est estimé à plusieurs milliards d’euros. Les scientifiques estiment par ailleurs que ce champ de recherche concernant les conotoxines est immense, puisque moins de 200 conotoxines ont été isolées et identifiées à travers le monde, c’est-à-dire à peine 1 % des 200 000 espèces de conotoxines qui peupleraient nos océans !

Des avancées importantes sont également en cours dans le domaine de la prise en charge des douleurs neuropathiques, qui affecteraient jusqu’à 10 % de la population mondiale. On sait notamment à présent que ce type de douleur pathologique est déclenché par une voie biologique activée par la liaison de l'émetteur excitateur glutamate à des récepteurs appelés NMDAR. Ce processus déclenche alors l'activation d'une enzyme neuronale, nNOS, qui génère du monoxyde d'azote (oxyde nitrique - NO), permettant la propagation du signal douloureux.

S’appuyant sur ces découvertes fondamentales, une équipe des Universités de l'Indiana et de Turku (Finlande) a conçu la molécule après avoir découvert que la protéine, NOS1AP, en aval de nNOS, déclenche plusieurs voies biologiques associées à cette signalisation anormale du glutamate, qui déclenche la douleur neuropathique. Ces chercheurs ont montré que cette molécule expérimentale, injectée chez les souris, réduisait sensiblement la douleur neuropathique induite par lésion nerveuse ou chimiothérapie, en bloquant la signalisation de NNOS à NOS1AP. Gros avantage : cet inhibiteur de liaison, en raison de son mode d’action spécifique, ne provoque aucun des effets secondaires moteurs typiques observés avec les molécules expérimentales qui ciblent  directement les récepteurs NMDAR.

Dans cette effervescence scientifique concernant la lutte contre la douleur, la France n’est pas en reste : en mai dernier des chercheurs français de l'Institut des neurosciences de Montpellier (Inserm/Université de Montpellier) et du Laboratoire d'innovation thérapeutique (CNRS/Université de Strasbourg) ont mis en évidence un mécanisme-clé qui semble fortement impliqué dans l'installation et le maintien de la douleur.

A partir de leur découverte, ils ont mis au point un prototype de traitement innovant qui montre, sur des modèles animaux, un effet thérapeutique immédiat et durable sur les symptômes douloureux (Voir Nature).

Dans cette étude, les chercheurs ont montré que les cellules immunitaires sanguines qui envahissent le nerf au site de la lésion synthétisent et libèrent une autre molécule, appelée FL, qui va activer le récepteur FLT3. Or ces recherches montrent également que c’est FLT3 qui est responsable du maintien de la douleur qui devient alors chronique

Grâce à de puissants outils de modélisation informatique, ces chercheurs ont pu passer au crible, parmi trois millions de configurations possibles, une molécule anti-FLT3, baptisée BDT001, qui bloque de manière ciblée FLT3, empêchant ainsi l’installation de la douleur chronique. Des essais chez l’animal ont permis de vérifier que cette molécule BDT001 pouvait réduire en seulement quelques heures les symptômes douloureux neuropathiques. Ces recherches ouvrent de toutes nouvelles perspectives pour une meilleure prise en charge des douleurs neuropathiques, souvent invalidantes, qui affectent environ 4 millions de personnes en France, et dont la moitié reste réfractaires aux traitements actuels.

Autre piste de recherche très prometteuse, celle explorée depuis plusieurs années par les chercheurs de l’Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire de Sophia-Antipolis, près de Nice. En 2012, le Docteur Eric Lingueglia et ses collaborateurs ont, en effet, découvert chez un serpent très dangereux, le mamba noir, un antidouleur très puissant qui agit directement sur les canaux ioniques et les empêchent de produire le courant électrique qui transmet le message douloureux au cerveau.

Cette équipe a ainsi repéré chez le mamba noir deux molécules, baptisées « mambalgines 1 et 2 », qui bloquent des canaux ioniques particuliers impliqués dans la détection du signal douloureux. Bien que ces substances ne soient présentes qu’en toute petite quantité dans le venin, leurs effets se sont avérés, chez l’animal, aussi puissants que ceux de la morphine pour contrer la douleur ! Les effets de ces molécules, brevetées par le CNRS, vont à présent faire l’objet d’études supplémentaires pour évaluer leur efficacité thérapeutique et leur tolérance chez l’homme.

Signalons également que des chercheurs de l’Inserm, de l’Université Grenoble Alpes et de l’Université de Sheffield ont découvert dernièrement un nouveau réseau cérébral qui relie la douleur ressentie dans la maladie de Parkinson à une région spécifique du cerveau. Ces travaux ont permis de découvrir qu’un sous-ensemble de neurones situé dans une partie du cerveau appelée noyau sous-thalamique serait une cible potentielle pour soulager la douleur non seulement dans la maladie de Parkinson, mais aussi dans d’autres maladies comme la démence, la sclérose latérale amyotrophique, la maladie de Huntington, et certaines formes de migraine (Voir eLIFE). Les premiers essais chez l’animal ont confirmé que la douleur associée à la maladie de Parkinson serait bien due à un dysfonctionnement des voies du traitement de la douleur dans le noyau sous-thalamique.

Ces recherches ont pu montrer que deux structures cérébrales connues pour leur importance dans la transmission de signaux de lésions depuis la moelle épinière : le colliculus supérieur et le noyau parabrachial, jouaient un rôle-clé dans la transmission des signaux de la douleur envoyés au noyau sous-thalamique. En agissant sur cette voie de communication, ces chercheurs espèrent pouvoir réduire sensiblement les douleurs liées à la maladie de Parkinson et à d’autres pathologies neurologiques.

Il est important de souligner que la lutte contre la douleur ne se limite plus à l’utilisation d’un arsenal chimique et médicamenteux de plus en plus fourni et ciblé, mais intègre également de nouveaux outils très prometteurs, comme certaines formes d’électrothérapie. Ainsi, une nouvelle technique de stimulation électrique a permis à 50 % de 140 patients recrutés dans neuf centres français de diminuer considérablement leurs douleurs, dues à des AVC, des lésions du nerf du visage, du nerf périphérique et d’atteintes à la moelle.

Une autre équipe de recherche israélienne, dirigée par le Professeur Yarnitsky, a récemment montré qu’un nouveau patch de stimulation électrique pourrait offrir une alternative non-médicamenteuse pour les personnes atteintes de migraine réfractaire. Pour leur étude, les chercheurs ont sélectionné 71 adultes avec des migraines épisodiques, qui ont connu une moyenne de deux à huit attaques de migraine tous les mois. Les participants n'ont pas pris de médicaments pour prévenir les crises de migraine pendant au moins 2 mois avant l'étude, précise l'équipe.

Dans ces essais en double aveugle, les patients ont été divisés en deux groupes. Le premier a reçu un traitement avec le patch de stimulation électrique, tandis que l'autre groupe a reçu un placébo. Ce patch se compose d'un brassard, d'électrodes en caoutchouc et d'une puce connectée à une application smartphone. Cette dernière génère des impulsions électriques, qui stimulent les nerfs sensoriels sous la peau, de manière à empêcher les signaux de douleur d'atteindre le cerveau. Les chercheurs ont constaté que 64 % des personnes traitées avec le patch ont signalé une réduction de la douleur migraineuse de plus de 50 % dans les 2 heures après le traitement, comparativement à seulement 26 % des sujets qui ont reçu le faux traitement.

Enfin, il y a quelques semaines, des chercheurs américains de l’Université de Californie-Los Angeles et de l’Université australienne de Nouvelles Galles du Sud ont présenté les résultats d’une étude très intéressante qui montre les pouvoirs, contre certaines douleurs, d’un gel d’acide hyaluronique doté de fines particules magnétiques (Voir Wiley). Selon ces travaux, ce gel agirait contre la douleur grâce à un effet « magnétomécanique » qui réduirait l’expression des canaux PIEZO2, généralement surexcités en cas de douleurs.

Ce gel, à base d’acide hyaluronique, un matériau gélatineux présent naturellement dans le système nerveux, contient de petites particules destinées à contrôler les protéines cellulaires réagissant à une stimulation mécanique. Il s’agit de protéines se trouvant sur la membrane plasmique de neurones, et dont la mission est de contrôler les ions à travers cette même membrane. En utilisant un champ magnétique, ces chercheurs ont pu contrôler le déplacement des particules présentes dans le gel, ce qui permet d’agir directement sur les protéines mécanosensibles présentes sur la membrane plasmique des neurones. Ces scientifiques estiment qu’à l’avenir, il sera possible d’injecter ce genre de gel dans une partie du corps où une douleur est localisée, que celle-ci soit chronique ou liée à une blessure.

On le voit, dans ce combat sans fin contre la douleur, la médecine est en train de marquer des points décisifs et d’élargir considérablement sa panoplie d’outils thérapeutiques en développant non seulement de nouvelles familles d’antalgiques chimiques bien plus efficaces et ciblées que ceux dont elle dispose aujourd’hui, mais également en explorant de nouvelles voies de recherche très prometteuses, comme la stimulation électrique et magnétique, porteuse de grands espoirs dans le traitement de certaines douleurs chroniques rebelles.

Si la médecine ne peut malheureusement pas toujours guérir, elle devrait pouvoir, d’ici quelques années, prendre en charge de manière individualisée, et avec infiniment plus d’efficacité et bien moins d’effets secondaires et de risques de dépendance, la souffrance des patients victimes de graves maladies ou d’accidents, mais également les douleurs moins sévères qui empoisonnent la vie de beaucoup d’entre nous, et dont le coût humain, social et économique est considérable dans notre pays.

Il est vital que notre pays, qui a la chance d’être en pointe mondiale dans ces travaux scientifiques dont nous bénéficierons tous un jour, continue à préparer l’avenir et à investir dans ce domaine de recherche inséparable de la quête d’une médecine qui ne doit pas perdre son humanité dans la technique et toujours se rappeler qu’elle est au service des malades et s’honore de les écouter, de comprendre leurs attentes et de les soulager autant qu’il est possible, physiquement et moralement.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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