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Edito : Loi sur l'économie numérique : soyons réalistes !

La vie de nos grands-parents avait totalement été bouleversée par l'arrivée de l'électricité. Celle de nos parents le fut par le téléphone. La nôtre, et surtout celles de nos enfants, le sera bien plus encore par Internet. En effet, à la fin de cette première décennie du 21e siècle, plus d'un milliard d'êtres humains et des centaines de milliards de machines, d'objets et d'entités virtuelles devraient, grâce à une nouvelle version d'Internet, appelée IPV6, être reliés les uns aux autres grâce à ce protocole universel de communication. Il est difficile d'imaginer et surtout de faire partager à des contemporains souvent incrédules toutes les conséquences que vont avoir, sur chaque instant de notre vie, le déploiement, sans précédent dans l'histoire de l'Homme, d'un tissu aussi dense de réseaux tous reliés les uns aux autres. Notre vie professionnelle, notre vie privée, nos loisirs, les relations avec notre famille et nos amis, mais aussi le fonctionnement même de nos Démocraties, il faut bien en prendre conscience, seront profondément bouleversés par la généralisation de ces nouveaux accès à l'information et à la communication qui vont, non seulement, révolutionner notre accès au savoir, mais aussi nos façons de décider et d'agir. L'activité humaine, la plus répandue dans quelques courtes années, sera d'enrichir un signal par son savoir. La première condition de vie d'un être humain, dans quelques courtes années, sera l'obligation, pour lui, d'avoir accès au signal, c'est-à-dire d'être connecté au reste de l'humanité. C'est pourquoi toutes les Démocraties vont devoir, sans retard, placer parmi leurs priorités, la nécessité de tout entreprendre pour que chacun de leur citoyen, même le plus humble ou le plus isolé, puisse accéder dans des conditions de parfaite égalité à ce réseau mondial qui, seul, lui permettra de disposer de ce signal dont dépendra demain sa survie, non seulement économique, mais aussi sociale et culturelle. Soit nous saurons donner à ceux, nombreux, qui nous observent, la certitude que nous comprenons ce monde nouveau qui arrive, et alors nous serons qualifiés pour préparer l'avenir, soit nous nous accrochons désespérément à de vieilles lunes, et alors nous ne ferons plus partie de cet avenir. La première règle de bon sens qu'il nous faut savoir respecter, dans ces temps de forts bouleversements, est de voter des lois qui favoriseront le développement de cette société nouvelle, de mettre notre Pays, la France, dans de bonnes conditions de compétitivité avec le reste du Monde, et d'avoir la certitude qu'elles seront appliquées. Ainsi, à quoi serviraient des règles contraignantes et irréalistes si, à la vitesse de la lumière, les acteurs concernés pouvaient délocaliser leur activité pour l'exercer au-delà des frontières ? Ainsi, pourquoi vouloir donner des missions exorbitantes aux hébergeurs de sites ou aux fournisseurs d'accès, si nous savons qu'ils ne pourront pas les remplir et que cela ne pourrait que les obliger à partir dans d'autres pays pour ceux qui en ont les moyens ou à disparaître pour ceux qui ne les ont pas. Il serait injurieux de laisser croire que je veux laisser se développer les sites pédophiles ou racistes ou favoriser le piratage en préconisant une telle mesure de bon sens. Le temps est maintenant venu, alors que notre Pays, enfin, est en train d'entrer avec détermination dans ce monde nouveau (la croissance exponentielle des abonnés au haut débit nous en apportant la confirmation !) de tout entreprendre pour que chaque internaute, demain donc, chaque citoyen, prenne conscience de la part de responsabilité qu'il doit personnellement prendre en charge dans cette nouvelle Société. Ainsi, en plus de tout l'arsenal juridique qu'il faut conforter partout où cela est nécessaire, il faut faire en sorte que chacun apprenne à mieux se préserver et éventuellement à mieux se défendre de tous ces contenus intolérables. Il est inadmissible, si nous nous en référons à des études très sérieuses, que tant d'enfants ayant moins de 10 ans, aient déjà vu un ou plusieurs films pornographiques sur la télévision ou l'ordinateur familial. Il en va indubitablement du Bonheur de notre Société, demain, que la cellule familiale, avec un réel sens des responsabilités, retrouve son rôle central, et irremplaçable. Dans le domaine qui nous préoccupe aujourd'hui, celui d'Internet, les professionnels incontournables de ce secteur que sont les fournisseurs d'accès et les hébergeurs doivent prendre l'engagement solennel, et il me semble qu'il serait prêt à le prendre au travers d'une charte, de tout mettre oeuvre non seulement pour informer, mais aussi pour aider tous les internautes à utiliser tous les outils qui pourraient leur permettre d'interdire la consultation de sites aux contenus intolérables. Toutefois, comme je le dis depuis plusieurs années déjà, les Pouvoirs Publics ne pourront pas faire l'économie, dans des temps maintenant proches, de demander à la Communauté Internet de prendre l'initiative de constituer en son sein un comité de régulation et de bon sens qui pourra être saisi par les internautes de tout différend, de tout conflit potentiel, avant que ne soit saisi, en dernière extrémité, le juge. Pour ce qui est du problème de piratage, le problème est plus complexe. Il est inutile de demander aux hébergeurs de s'ériger en gardiens contre le piratage puisque la plus grande partie du piratage se réalise en « peer to peer » c'est-à-dire de l'ordinateur d'un internaute à l'ordinateur d'un autre internaute, sans passer par les serveurs d'un hébergeur. Il serait tout aussi irréaliste de demander à un fournisseur d'accès de surveiller tous les contenus qui transitent sur les réseaux sur lesquels il opère tant la tâche serait démesurée et peu fiable. La aussi, au-delà du nécessaire ensemble juridique qu'il faut rendre plus opérationnel encore, c'est au niveau des usages qu'il nous faut savoir intervenir avec intelligence. Tout d'abord, il faut clairement et longuement expliquer aux internautes qu'il n'est pas dans leur intérêt de disposer gratuitement d'oeuvres, telles que la musique ou des films, qui ont demandé de la création intellectuelle. Si cet accès gratuit se généralisait ce serait alors les compositeurs, les chanteurs, les acteurs, en un mot tous les artistes qui ne pourraient plus gagner d'argent et qui donc disparaîtraient. En contrepartie, les maisons d'éditions dans le domaine de la musique ou du cinéma doivent comprendre, sans retard, car il en va de leur survie que les supports appropriés pour stocker et écouter des morceaux de musique ou voir des films ne soient plus des CD-Rom ou des DVD, mais bien les centaines de millions de disques durs de plusieurs dizaines (et demain de plusieurs centaines) de gigaoctets qui se trouvent dans tous les ordinateurs personnels dans le Monde. Au lieu d'assister impuissants, comme ils le sont actuellement, au développement exponentiel des téléchargements illicites, les éditeurs, en lien étroit avec les auteurs, devraient prendre l'initiative et être très offensifs pour inciter les internautes à télécharger de la musique ou des films à des prix modiques, accessibles à ces internautes souvent impécunieux. Si techniquement, et cela est tout à fait possible, ils permettaient aux internautes de charger de la musique et surtout des films dans des conditions bien meilleures et surtout bien plus rapide qu'avec Divx, sur le « peer to peer », ils retiendraient déjà l'attention de beaucoup d'internautes. Si, par ailleurs, ils offraient des services complémentaires telles que réductions à des places de cinéma ou possibilités de pouvoir assister à des concerts, ils seraient beaucoup plus séduisants. Mais tout reposera, au final, sur le coût que devra réellement payer l'internaute pour disposer de ces produits. Aux Etats-Unis, le « single » de musique est descendu en dessous du dollar. Il faut très vite qu'en France les éditeurs suivent la même voie et aillent même plus loin s'ils veulent reconquérir une clientèle qui est en train de s'éloigner d'eux. Pour conclure, je voudrais attirer votre attention sur le nécessaire déploiement d'une concurrence réelle pour accéder au très haut débit quel que soit l'endroit où nous résidons en France. J'espère très sincèrement que le Sénat acceptera la rédaction de l'article L 1425 du Code Général des Collectivités Territoriales telle qu'elle nous a été transmise par l'Assemblée nationale. Par cet amendement, j'espère que le Parlement incitera, enfin, les collectivités locales à prendre conscience de l'importance et de l'urgence qu'il y a à développer, sur l'ensemble de notre territoire, des réseaux complémentaires ou alternatifs à ceux déjà déployés par France Télécom. L'intense campagne menée depuis quelques mois par l'opérateur national pour faire adhérer un grand nombre de Conseils Généraux à leur charte « Département Innovant » met bien en évidence toutes les craintes éprouvées par cet industriel détenteur d'un monopole de fait sur les réseaux physiques de télécommunications de voir s'instaurer une réelle concurrence sur ces réseaux. Comme j'ai eu l'occasion de l'écrire, il y a quelques semaines dans l'éditorial de @RT Flash, (http://www.tregouet.org/lettres/ rtflashtxt.asp?theLettre=311#Lettre)

France Télécom a tort de laisser croire aux collectivités signataires que la paire de cuivre et la technologie ADSL seront capables, à moyen terme, d'apporter dans toutes les entreprises et dans tous les foyers le très haut débit qui sera, alors, exigé par les utilisateurs. La grande crainte que j'éprouve, en cet instant, serait de constater que beaucoup de départements signataires de cette charte avec France Télécom reporterait, parfois sine die, la réalisation de construction de réseaux optiques, ou courants porteurs, Wi-Fi, BLR, satellitaires ou autres, sur lesquels ils travaillaient pourtant depuis de longues années. Ce serait alors un vrai gâchis car, inexorablement, comme la locomotive à vapeur dû le faire face à la locomotive électrique, le cuivre devra laisser sa place au verre pour que le photon puisse enfin remplacer l'électron. Nier cette évidence serait une terrible erreur. C'est pourquoi, alors que nous ne sommes encore qu'à la préhistoire de cette ère nouvelle, il nous faut avoir bien conscience qu'il nous faudra beaucoup entreprendre pour construire ce monde nouveau, et que nous ne pourrons pas abandonner à un seul industriel, aussi entreprenant et compétent puisse t-il être, l'exclusivité de la construction de cet avenir. N'oublions pas ce que je vous disais ci-dessus : « Les démocraties vont devoir tout entreprendre pour que chacun de leur citoyen, même le plus humble ou le plus isolé, puisse accéder, dans des conditions de parfaite égalité, à ce réseau mondial Internet qui seul lui permettra une survie économique, mais aussi, sociale et culturelle ». Or, chacun doit bien avoir conscience : Ce n'est qu'en instaurant de réelles conditions de concurrence sur les réseaux physiques de télécommunication, que nous pourrons atteindre ce louable et nécessaire objectif d'équité pour permettre à chacun de disposer d'un meilleur avenir.

Nota : Cet éditorial reprend l'essentiel de l'intervention de René Trégouët devant le Sénat le 8 Avril 2004, lors du débat sur la Loi sur la Confiance dans l'Economie Numérique (LCEN).

( voir http://www.senat.fr/cra/seances.html)

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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