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Edito : L'Internet ubiquitaire va ouvrir de nouvelles dimensions spatio-temporelles

Lorsque Gordon Moore, co-fondateur d'Intel, publie son article dans la revue Electronics Magazine en 1965, il ne pensait certainement pas que ses prévisions se réaliseraient sur une aussi longue période. Du premier processeur 4004 et ses quelque 2300 transistors à l'Itanium 2 à double coeur qui comprend 1,7 milliard de transistors, l'augmentation des performances des microprocesseurs a été le principal moteur du développement des technologies de l'information.

Au fil de ces quatre décennies, Intel est devenu le leader incontesté des microprocesseurs. La première version de la loi de Moore - celle formulée dans "Electronics Magazine" - prévoyait un doublement tous les ans du nombre des composants (qui incluait à l'époque des transistors et des résistors) sur chaque puce, impliquant une augmentation des performances des processeurs d'un même facteur. En 1975, Gordon Moore révisait sa loi de manière plus prudente en postulant un doublement tous les 24 mois. Il s'est montré visionnaire, bien que la réalité ait quelque peu dépassé sa pensée. En 1965, un simple transistor coûtait plus d'un dollar. Dix ans plus tard, son prix a été divisé par un facteur 100 et l'augmentation de la densité permettait d'intégrer 100 000 transistors sur une puce. De 1979 à 1999, la puissance de calcul exprimée en Mips (million d'instruction par seconde) est passée de 1,5 Mips à plus de 1000 Mips avec le Pentium III. Aujourd'hui, les processeurs Intel les plus performants délivrent 10 000 Mips et peuvent être fabriqués à un coût d'un dix-millième de centimes le transistor.

Dans le domaine connexe des télécommunications, en 1978 notre Minitel fonctionnait à la vitesse de 1275 bits/seconde en voie descendante. A la fin de cette année, l'ADSL2 devrait permettre de proposer aux citadins des débits de l'ordre de 25 Mbits/seconde ((25.000.000 de bits par seconde). En 27 ans le débit aura donc été multiplié par 2000, soit, en moyenne, un doublement tous les ans. Il semble donc bien que nos réseaux de télécommunications aient obéi, eux aussi, à cette Loi de Moore.

Mais à cette Loi de Moore il faut ajouter, pour les réseaux, la loi de Metcalf qui prévoit que l'utilité et la valeur d'un réseau progresse comme le carré du nombre des utilisateurs raccordés à ce réseau. Selon cette loi, à chaque fois que ce nombre d'utilisateurs double, l'utilité du réseau quadruple.

Or, si nous observons l'évolution technologique du point de vue historique, nous ne pouvons qu'être frappés par l'accélération conjointe du nombre d'innovations et de leur rythme de diffusion, particulièrement dans le domaine des technologies de l'information. Il a en effet fallu plus de 100 ans entre l'invention du téléphone et sa diffusion généralisée dans les foyers. Pour la radio et la télévision ce délai a encore été de 40 ans et il a fallu un demi-siècle pour que l'ordinateur se banalise chez les particuliers.

Mais l'avènement de l'Internet public a bouleversé cette évolution. Entre le premier site Web, fin 1990, et l'accès de plus de la moitié des foyers à l'Internet (prévu pour la fin 2005) il ne se sera passé que 15 ans !

Mais ce qui est radicalement nouveau dans l'Internet, ce n'est pas seulement son rythme extraordinaire de diffusion au niveau mondial -un habitant de la planète sur 6 connecté en 2005- mais le fait que le Net est à la fois une méta-technologie et un nouveau paradigme techno-économique dont la puissance est sans précédent depuis l'invention de l'imprimerie, il y a plus de cinq siècles.

En moins d'une génération, l'Internet est devenu un immense continuum numérique qui a successivement intégré -absorbé serait un mot plus juste- l'informatique, les télécommunications, la télévision et le multimédia.

Aujourd'hui le Net amorce déjà sa 2ème révolution, celle de l'ultra haut débit, de la mobilité, de l'ubiquité et de la virtualisation du monde. Nous disposons à présent d'une telle puissance de calcul et de communication que nous pouvons construire sur le Net non seulement une représentation complète de notre monde physique (en associant à chaque objet un lien et une adresse IP) mais également de nouveaux univers purement virtuels et imaginaires qui forment autant de dimensions spatio-temporelles nouvelles à notre disposition.

Dans moins d'une génération, cette mutation sera achevée, l'Internet se sera totalement dématérialisé et sera devenu à la fois transparent et omniprésent, invisible et incontournable. Nous n'aurons plus alors à aller sur le Net car nous serons en permanence dans le Net et, d'une certaine façon, nous serons le Net. Nous utiliserons en permanence, de la manière la plus naturelle et plus intuitive qui soit, par la voix, le regard, le toucher et sans doute aussi par la pensée, les prodigieuses ressources du Net et celui-ci effectuera pour nous, en temps masqué, une multitude de tâches sans même que nous nous en rendions compte et souvent avant même que nous ayons à le lui demander.

Si nous voulons que notre pays réussisse cette extraordinaire mutation vers l'internet global, ubiquitaire et virtuel, nous devons lever des obstacles qui ne sont pas d'ordre technologique mais sociaux et culturels. L'exemple du Japon ou des pays nordiques montre en effet que ce facteur culturel est déterminant pour la généralisation des TIC à l'ensemble de la société. Notre collectivité nationale doit donc consentir un effort exceptionnel, comme elle a su le faire pour les infrastructures de télécommunications, pour assurer à tous nos concitoyens, quel que soit leur âge et leur lieu de résidence, des possibilités adaptées de formation aux usages de ces nouvelles technologies de l'information. Cet effort d'éducation et de formation, de la maternelle jusqu'à la maison de retraite, doit être considéré non comme une dépense mais comme un investissement vital pour l'avenir de la France.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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