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Edito : L’intelligence artificielle ouvre une nouvelle ère dans l’histoire de la médecine

Nous sommes le 3 juillet 2026. Jean Dubart, 65 ans, sait depuis quelques semaines qu’il souffre d’une valvulopathie, nécessitant un acte chirurgical : la pose d’une valve mitrale. Une semaine avant son arrivée dans le nouveau service de cardiologie du CHU de Lyon-Sud, il a transmis, par Internet sécurisé et crypté, au secrétariat médical du service qui doit réaliser son intervention, tout le contenu de son dossier médical personnel (issu de la fusion en 2020 du dossier médical partagé et du dossier pharmaceutique), qui contient sur une carte à puce et sur un serveur sécurisé la totalité de ses bilans médicaux, comptes rendus, traitements médicamenteux et examens d’imagerie.

Arrivé à 17 heures dans le secrétariat du service de cardiologie, Jean Dubart procède avec l’hôtesse d’accueil à son identification biométrique, qui combine différents paramètres, dont l’empreinte vocale, la carte de l’iris, et l’arbre veineux de la paume de la main. Le robot assistant qui réalise en quelques secondes cette identification en profite pour effectuer dans la foulée, sans même  que Jean Dubart n’y prête attention, toute une série d’examens médicaux : tension artérielle, rythme cardiaque, analyse chimique de la transpiration, prise de sang, grâce à une micro aiguille, analyse de la démarche spécifique et de l’intonation vocale. Immédiatement convertis en données numériques, ces examens viennent s’ajouter à son dossier médical pour le compléter.

Jean Dubart est ensuite amené directement dans sa chambre par un robot accompagnateur qui lui rappelle que l’intervention aura lieu le lendemain matin à sept heures et que son chirurgien le contactera dans une heure par téléconférence, pour faire le point avec lui sur le déroulé de cette opération.

Effectivement, 1h15 plus tard, alors qu’il lit son journal sur son Smartphone à écran enroulable, Jean Dubart reçoit sur la tablette mise à sa disposition l’appel en visiophonie de son chirurgien, le professeur Janry. Celui-ci lui indique qu’il vient de procéder à un nouvel examen approfondi de ses antécédents et de son dossier médical, et lui confirme que l’intervention aura bien lieu comme prévu le lendemain matin. Il lui indique également qu’il a procédé la veille à une répétition complète de cette intervention sur son « double numérique » et que la valve mitrale qui sera implantée à bien entendu été réalisée sur mesure, par impression 3D, de manière à s’adapter parfaitement à ses caractéristiques anatomiques et physiologiques.

Le lendemain matin, le professeur Janry réalise comme prévu, en un peu moins d’une heure, cette intervention en pilotant son robot chirurgien de dernière génération, à immersion virtuelle. Jean Dubart rentrera chez lui le lendemain de l’opération et sera alors conseillé et surveillé pendant plusieurs semaines en permanence par son chatbot personnalisé, qui pourra non seulement lui rappeler par téléphone de bien prendre son traitement, mais lui donnera également des conseils individualisés en matière d’alimentation et de remise en forme. Son chatbot sera également en mesure d’analyser à distance, grâce à son puissant algorithme d’IA, une multitude de paramètres biologiques et physiologiques transmis sous forme numérique depuis le domicile de Jean Dubart, grâce à de nombreux capteurs portables intégrés dans son Smartphone et sa montre communicante. À la moindre alerte ou anomalie, le chatbot enverra immédiatement un message d’urgence au professeur Jean Janry, accompagné d’un compte rendu médical de synthèse.

Vous pourriez croire que ce scénario relève encore pour longtemps de la science-fiction. Et pourtant, il n’en est rien. Tous les outils et technologies que je viens d’évoquer existent déjà, soit au stade commercial, soit à un niveau expérimental avancé, et ils seront très probablement utilisés de manière routinière en 2026.

L’algorithme de Deep Learning développé par Google, baptisé LYNA, peut par exemple repérer les métastases d’un cancer du sein avec une fiabilité de 99 %. En observant des diapositives de mammographies, cette IA est capable de détecter des métastases extrêmement petites que les humains risquent de rater. Pour parvenir à cette prouesse, Google a entraîné son algorithme LYNA (Lymp Node Assistant) à reconnaître les caractéristiques des tumeurs en utilisant deux ensembles de diapositives pathologiques. Ainsi, l’algorithme est en mesure de repérer les métastases dans une grande variété de conditions. Bien entendu, LYNA se révèle encore plus efficace lorsqu’il est utilisé comme un assistant par les pathologistes. Ceux-ci ne tarissent d’ailleurs pas d’éloges sur cet outil extraordinaire qui leur permet non seulement de réduire de moitié le nombre de micro-métastases non détectées, mais divise également par deux le temps nécessaire à cette investigation.

En France, des médecins de l’hôpital Cochin, à Paris, expérimentent un outil d’intelligence artificielle développé par la start-up Therapixel pour reconnaître un cancer du sein sur une imagerie médicale. Ce système a d’abord digéré une très grande quantité d’images puis a appris à repérer une grande diversité d’anomalies. Après plusieurs mois d’apprentissage, cet outil a permis de réduire le nombre de "faux positifs" – c’est-à-dire de suspicions de cancer qui s’avèrent fausses – de 25 % à 4 % …

L'intelligence artificielle est également en train de devenir une arme redoutable dans la détection des lésions précancéreuses du col de l'utérus. Il faut rappeler que le cancer du col de l'utérus est le quatrième cancer le plus fréquent dans le monde, avec 570.000 cas par an en 2018 selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS). L’amélioration des traitements et la prévention ont heureusement permis d’abaisser de manière spectaculaire le niveau de mortalité de ce cancer dans les pays développés. Mais il n’en va pas de même dans les pays pauvres ou émergents, qui concentrent à présent plus de 90 % des décès. Pour changer cette situation, le professeur Schiffman, qui travaille à l'Institut national du cancer près de Washington depuis 35 ans, cherche à mettre au point des outils fiables, simples et bon marché, pouvant détecter ces lésions précancéreuses.

Avec son équipe, il a développé un algorithme à partir d'une archive de 60.000 images de cols de l'utérus prises au Costa Rica dans les années 1990. Au total, 9.400 femmes ont participé et ont été suivies pendant plusieurs années, pendant 18 ans pour certaines - ce qui a permis de relier chaque cancer apparu parmi elles à l'image du col avant l'apparition de la maladie. L’algorithme mis au point par ces chercheurs est à présent capable, en exploitant cette base de données, de repérer visuellement des cellules précancéreuses dans 91 % des cas, alors que ce taux de reconnaissance est de 70 % pour un expert humain. « Nous sommes parvenus à un outil d’intelligence artificielle bien plus précis que le meilleur des praticiens, y compris moi-même », souligne Mark Schiffman. À présent, cette même équipe veut adapter cette technologie d’ici cinq ans, de manière à ce qu’elle puisse être utilisée par des personnels soignants sans formation particulière, simplement en prenant une photo qui sera analysée par l'algorithme. « Nous allons enfin bientôt disposer d'un outil fiable et peu coûteux, potentiellement utilisable partout, et qui ne sacrifie pas la qualité scientifique », ajoute cet éminent chercheur.

En mai 2018, une autre équipe franco-germano-américaine a testé son nouvel algorithme de diagnostic du mélanome avec 58 praticiens expérimentés. Les chercheurs ont ainsi appris à un algorithme de vision artificielle à distinguer des lésions de la peau et grains de beauté, en lui proposant plus de 100.000 images. Puis les performances de la machine (un réseau neuronal convolutif) ont été comparées à celles de 58 médecins spécialistes, originaires de 17 pays différents (Voir Annals of Oncology). Ces derniers ont testé leur intelligence artificielle, en lui présentant 100 photos représentant des cas jugés compliqués. Ces images ont également été présentées, en parallèle, aux 58 médecins. Résultat : les dermatologues ont correctement identifié 89 % des mélanomes qui leur étaient présentés. Mais la machine a fait mieux, avec 95 % de mélanomes détectés directement à partir de la première série de photos, et sans avoir besoin, comme les praticiens humains, d’informations cliniques et biologiques complémentaires.

En août 2018, une autre étude, dirigée par Andrew Steele, chercheur au Laboratoire de bioinformatique et de biologie computationnelle de l’Institut Francis Crick, à Londres a montré que l’intelligence artificielle est désormais capable de prédire, mieux que ne pourrait le faire un médecin, les risques de décès dus aux pathologies cardiovasculaires. Ce chercheur a conçu un système de modélisation informatique capable de prédire les conséquences d’une pathologie en particulier : l’insuffisance coronarienne, une maladie très fréquente des artères coronaires qui est devenue la première cause de décès au Royaume-Uni.

Pour mettre au point leur algorithme, ces chercheurs ont exploité, en utilisant plus de 600 facteurs différents, les données de santé de plus de 80.000 patients. Cet outil parvient à présent, non seulement à surpasser n’importe quel médecin en matière de diagnostic, mais même aussi à identifier des paramètres auxquels les spécialistes n’avaient pas pensé. « Bien que notre outil en soit encore à un stade expérimental, il est si puissant et si fiable qu’il ne faudra pas attendre longtemps avant que les médecins ne l’utilisent de manière systématique dans les établissements de santé afin d’établir de meilleurs diagnostics et de meilleurs pronostics", souligne Andrew Steele.

Des chercheurs de l'Institut Gustave Roussy, de l'Inserm, de l'Université Paris Sud et de la start-up TheraPanacea, issue de Centrale Supélec, sont allés encore plus loin récemment. Ils ont en effet développé un algorithme d'intelligence artificielle qui parvient, à partir d'images scanner d'une tumeur cancéreuse, à estimer si un patient va réagir favorablement à un traitement qui consiste à stimuler le système immunitaire pour combattre son cancer (Voir The Lancet).

Dans ces recherches, les chercheurs ont constaté que la présence dans la tumeur de certaines cellules du système immunitaire était associée à une meilleure réponse du patient à l'immunothérapie. Mais pour la mettre en évidence, il fallait jusqu'alors réaliser une biopsie. Or, grâce à ce nouvel outil, il devient à présent possible de se passer du séquençage génétique souvent réalisé grâce à une biopsie (excision d'une partie de la tumeur afin de pouvoir l'analyser en laboratoire), un acte qui n’est pas dénué de risques pour certains malades. Cette nouvelle approche pourrait permettre à la fois d'améliorer significativement la sélection des candidats à l'immunothérapie, et d'éviter d'y soumettre certains patients pour lesquels cette immunothérapie risquerait au contraire d’avoir des effets néfastes.

Dans ce cas de figure, l'algorithme développé a été « nourri » par les données biologiques génétiques et médicales provenant de 135 patients ayant bénéficié d’une immunothérapie. Ce nouvel outil a permis d’établir une « signature radiomique », indicateur construit à partir de caractéristiques extraites des images par l'IA. « Cette signature a finalement été associée à un profil génomique donné, ce qui permet de modéliser par les chances de succès de l'immunothérapie », précise Nikos Paragios, qui dirige ces recherches.  Il est important de souligner que l’outil d’intelligence artificielle développé pour réaliser cette application prédictive ne repose pas sur l’apprentissage profond (deep learning), qui présente l’inconvénient de nécessiter une base d'apprentissage considérable afin de déterminer les critères à prendre en compte pour aboutir à une prédiction exacte.

Nikos Paragios et son équipe ont préféré utiliser un modèle qui calcule un score à partir d'un nombre restreint mais judicieusement choisi de critères mesurables à l'imagerie scanner : pour l’instant, cet outil parvient déjà à déterminer correctement le profil immunitaire de la tumeur à partir de l'image dans environ 60 % des cas, et ce score devrait pouvoir être encore sensiblement amélioré dans les mois qui viennent, selon ces chercheurs.

Mais si l’intelligence artificielle est devenue indispensable pour accélérer les recherches et améliorer les soins dans des domaines comme la cancérologie ou les maladies cardio-vasculaires, elle est également en train de s’imposer pour avancer plus vite dans la recherche de nouvelles solutions thérapeutiques pour les principales pathologies neurologiques et neurodégénératives. En Californie, Jae Ho Sohn, chercheur au département de radiologie et d’imagerie biomédicale de l’Université de San Francisco, a par exemple développé un nouvel outil d’intelligence artificielle qui permet de repérer très précocement les premiers symptômes de la maladie d’Alzheimer.

Pour obtenir ce résultat, ces scientifiques ont exploité les données provenant des PET scans des patients. Ils ont ainsi pu mesurer et suivre les fluctuations du niveau de glucose traversant le cerveau. Sachant que lorsqu’une cellule est malade, elle consomme plus de glucose, ces chercheurs ont ainsi pu construire un indicateur prédictif très fiable d’apparition de la maladie d’Alzheimer. Le taux de précision de l’algorithme créé par l’équipe de Jae Ho Sohn a atteint 92 % lors du premier test, et 98 % lors du second, et grâce à ce nouvel outil, la détection d’Alzheimer peut se faire six ans avant un diagnostic clinique.

En Suisse, une autre équipe de recherches de l’Université de Zurich a montré à la fin de l’année dernière qu’il était possible de diagnostiquer cette maladie par le biais d’un smartphone muni d’un logiciel d’intelligence artificielle. Ces chercheurs ont utilisé une base de données concernant 1853 personnes impactées par la maladie de Parkinson.

Ils ont ensuite défini un protocole en quatre phases. Dans un premier temps, ils demandent à un patient de faire un trajet à pied et de revenir sur ses pas, alors que le smartphone placé dans sa poche sert de balise. Ensuite, les capacités vocales de ce patient sont analysées via un micro. Dans un troisième temps, une analyse du doigté est pratiquée, durant laquelle le patient doit appuyer sur des boutons tactiles. Enfin, le dernier test évalue la mémoire du patient. Finalement, l’ensemble des données ainsi recueillies est traité par un algorithme baptisé Evidence Agrégation Model (EAM), qui détermine le diagnostic final. Cet outil permet déjà de diagnostiquer précocement la maladie de Parkinson dans 85 % des cas, ce qui constitue un progrès majeur, quand on sait que les traitements au cette maladie sont d’autant plus efficaces qu’ils sont mis en œuvre le plus tôt possible.

Mais l’IA, complétée par la réalité virtuelle est également en train de transformer radicalement la chirurgie. L’Institut Hospitalo-Universitaire (IHU) de Strasbourg est, par exemple, en train d’intégrer des techniques d’IA aux opérations chirurgicales. Grâce au projet Visible Patient : virtual and augmented reality, les chirurgiens commencent à disposer de solutions assistées par ordinateur, de réaliser une modélisation 3D et personnalisée du patient avant l’opération. Cette technologie simplifie l’intervention chirurgicale, car le chirurgien peut planifier son opération à l’avance. Ces informations 3D sont ensuite stockées afin de créer une importante base de données, très utile pour le développement de technologies d’IA en chirurgie.

Si l’intelligence artificielle, comme on vient de le voir, révolutionne les outils de diagnostic et accélère l’avènement d’une médecine de précision adaptée à chaque individu, elle permet également, d’une manière encore plus large, de modifier et d’élargir le concept même de santé publique. Dans un pays comme la France, caractérisé par de grandes zones rurales connaissant un vieillissement de la population, l’intelligence artificielle est en train de devenir un outil décisif pour lutter contre la désertification médicale et se substituer de manière efficace à la fermeture de certains établissements hospitaliers qui ne parviennent plus à conserver un niveau d’activité ou de compétences médicales compatibles avec une qualité de soins et une sécurité suffisante pour les malades.

Combinés avec les nouveaux réseaux et moyens de communication à très haut débit, qui devraient être accessibles sur l’ensemble du territoire d’ici cinq ans, ces outils de plus en plus puissants et polyvalents d’intelligence artificielle vont permettre une généralisation bien plus rapide que prévu de la télémédecine, de la téléconsultation et de la télésurveillance médicale, tant à domicile qu'en établissement. Portés par des vecteurs, comme les robots de soins, les Chatbots d’assistance, qui peuvent dialoguer avec les malades, et les capteurs communicants, qui seront bientôt présents partout (au domicile, mais également dans les vêtements, les véhicules, l’espace public) ces outils d’intelligence artificielle a visée médicale vont révolutionner, j’en suis convaincu, la prise en charge des pathologies lourdes et chroniques, mais également la prévention, avant la fin de la prochaine décennie. Avec la généralisation de ces extraordinaires outils, dont le coût va baisser très rapidement, c’est toute la médecine, et le système de santé qui l’entoure, qui vont s’adapter à chaque patient pour lui proposer un parcours de soins personnalisé.

Paradoxalement, ces nouveaux outils vont permettre aux médecins et à l’ensemble des personnels de santé de dégager un temps précieux pour recentrer leurs missions sur les relations personnelles avec les malades, et je crois que cette nouvelle médecine numérique, si elle est utilisée dans un cadre social et éthique approprié, peut contribuer de manière puissante à rendre notre système de santé, non seulement bien plus performant, mais également plus égalitaire et plus humain.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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