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Edito : L'eau au XXIème siècle : un défi majeur pour l'humanité

La moitié des habitants de la planète manquera d'eau dans trente ans si rien n'est fait : tel est l'implacable constat fait lors de la conférence des Nations Unies sur le développement et l'environnement qui s'est tenue dans le cadre du sommet de la Terre de Johannesburg. Cette conférence a parfaitement éclairé l'ampleur des défis posés à l'humanité par la question de l'accès pour tous : 1,1 milliard de personnes dans le monde n'ont pas accès à l'eau potable et 2, 4 milliards ne disposent pas d'installations sanitaires décentes, selon le Programme des Nations Unies pour l'Environnement. Plus d'un milliard de personnes disposent de moins de 20 litres d'eau par jour, contre 150 litres pour un européen et 300 litres pour un américain. (source ONU). Le dernier rapport de l'ONU sur L'accès global à l'eau potable et à l'assainissement affirme que l'équilibre entre la quantité disponible d'eau douce et la demande est déjà précaire. Au cours des 70 dernières années, la population mondiale a triplé, passant de 2 à 6,1 milliards, et la consommation d'eau a sextuplé. Entre 1950 et 1990, le taux de croissance des prélèvements en eau a été plus du double de celui de la population. Corrélativement, la quantité d'eau douce renouvelable et disponible est passée, par habitant, de 17000 m3 en 1950 à 7500 m3 en 1995 et devrait tomber à 5100 m3 en 2025. La population mondiale devrait atteindre 9,3 milliards en 2050. Environ 508 millions de personnes vivent dans 31 pays qui sont déjà en état de stress ou de pénurie hydrique et la situation ne manquera pas de s'aggraver dans les prochaines décennies. L'ONU prévoit en effet qu'en 2025, 1,8 milliards d'êtres humains vivront dans des pays ou régions affectés par une pénurie totale d'eau et environ cinq milliards de personnes dans le monde vivront dans des régions où il sera difficile de répondre à tous les besoins en eau douce. L'ONU souligne que plus de cinq millions de personnes meurent chaque année de maladies liées à des problèmes d'eau, soit dix fois plus que le nombre de victimes tuées dans les conflits. Dans les pays en développement, quelque 80 % des maladies et des décès sont dus à l'inaccessibilité de l'eau salubre et à l'absence de gestion des eaux. La mauvaise qualité de l'eau pose un autre problème. Selon les évaluations de l'Organisation Mondiale de la Santé, plus d'un milliard de personnes n'ont pas accès à l'eau salubre. Dans les pays en développement, 90 % des eaux résiduaires et 70 % des déchets industriels sont rejetés sans traitement préalable dans les eaux de surface, où ils polluent la réserve d'eau utilisable. Le rapport de l'IFPRI affirme que des solutions purement technologiques à la pénurie d'eau, comme le dessalement de l'eau de mer et le transport d'icebergs, « risquent de n'avoir qu'un effet limité ». Au lieu de cela, le rapport recommande de rétablir les schémas naturels d'écoulement vers les bassins fluviaux, d'améliorer l'efficacité des modes d'utilisation de l'eau - en particulier concernant l'irrigation, qui utilise les deux tiers de l'eau douce disponible, et d'instituer des politiques efficaces de fixation des prix. Le rapport recommande que les pays inversent la tendance actuelle à la dégradation de la terre et de l'eau. Une autre recommandation clef est d'élargir l'accès à l'éducation et aux soins de santé - y compris la planification familiale et la santé en matière de reproduction - afin d'améliorer les conditions de vie et d'élargir les perspectives, surtout pour les femmes; il en résulterait un ralentissement de la croissance démographique et une atténuation de la pression exercée sur les ressources de la planète. En effet, moins de 3 % seulement des ressources mondiales en eau sont constituées d'eau douce, et l'essentiel de ces 3 % est piégé dans les glaces polaires ou enterré dans le sous-sol sous la forme de sources trop profondes pour être atteintes. Les progrès ont été maigres depuis le Sommet de Rio il y a dix ans : le nombre de personnes desservies par de véritables égouts et canalisations a seulement progressé de 4,1 milliards à 4,9 milliards. Le sommet de Johannesburg a proposé comme objectif de "réduire de moitié le nombre de personnes qui n'ont pas accès à l'assainissement d'ici 2015". Aujourd'hui, un tiers de l'humanité vit dans une situation dite de « stress hydrique », avec moins de 1 700 mètres cubes d'eau douce disponibles par habitant et par an. L'eau douce est donc une denrée rare. Pourtant, à l'échelle de la planète, elle semble ne pas manquer : environ 40 000 kilomètres cubes d'eau douce s'écoulent chaque année sur les terres émergées, lesquels, partagés entre les 6 milliards d'individus vivant sur Terre, devraient fournir 6 600 mètres cubes d'eau douce à chacun. La consommation en eau s'élève à environ 30.000 km3 par an à l'échelle de la planète. Mais si ces réserves sont globalement suffisantes pour répondre à l'ensemble des besoins, elles sont réparties de façon très inégale à la surface du globe. Neuf pays seulement se partagent 60 % des réserves mondiales d'eau douce : le Brésil, la Russie, les États-Unis, le Canada, la Chine, l'Indonésie, l'Inde, la Colombie et le Pérou. D'un pays à l'autre, les situations peuvent donc être très dissemblables. l'Asie, qui concentre près de 60 % de la population mondiale, ne dispose que de 30 % des ressources mondiales disponibles en eau douce. Le manque d'eau est structurel dans le vaste triangle qui s'étend de la Tunisie au Soudan et au Pakistan, c'est-à-dire dans plus de 20 pays d'Afrique du Nord et du Proche-Orient : chaque habitant y dispose en moyenne de moins de 1 000 mètres cubes d'eau douce par an, une situation dite de « pénurie chronique ». Le gaspillage d'eau domestique croît avec le niveau de vie des populations, les nombreux équipements qui apparaissent dans les foyers facilitant l'usage de l'eau. On le constate d'abord dans le temps : les Européens consomment aujourd'hui 8 fois plus d'eau douce que leurs grands-parents pour leur usage quotidien. On le constate aussi d'un pays à l'autre : un habitant de Sydney par exemple consomme en moyenne plus de 1 000 litres d'eau potable par jour, un Américain de 300 à 400 litres, et un Européen de 100 à 200 litres... alors que dans certains pays en développement, la consommation moyenne par habitant ne dépasse pas quelques litres par jour ! Les pertes également peuvent être très importantes. Globalement, seuls 55 % des prélèvements en eau sont réellement consommés. Les 45 % restants sont soit perdus, par drainage, fuite et évaporation lors de l'irrigation et par fuite dans les réseaux de distribution d'eau potable. Enfin, le problème de l'eau dans le monde n'est pas uniquement quantitatif, il est aussi qualitatif. Car plus la consommation d'eau augmente, plus les rejets d'eaux usées et d'effluents sont importants. La population mondiale devrait passer de 6 milliards d'individus en l'an 2000, à 8 milliards en l'an 2025. La quantité moyenne d'eau douce disponible par habitant et par an devrait donc chuter de 6 600 à 4 800 mètres cubes, une réduction de presque un tiers. Si parallèlement la tendance actuelle à l'augmentation des prélèvements en eau se poursuit, entre la moitié et les deux tiers de l'humanité devraient être en situation dite de stress hydrique en 2025 (moins de 1700 mètres cubes d'eau douce disponible par habitant et par an). L'un des problèmes majeurs en matière d'eau douce et d'alimentation humaine est posé par l'irrigation, car pour nourrir toute la population de notre planète, la productivité agricole devra fortement augmenter. Alors que l'irrigation absorbe déjà aujourd'hui 70 % des prélèvements mondiaux, une consommation jugée très excessive, celle-ci devrait encore augmenter de 17 % au cours des 20 prochaines années. Le facteur déterminant de l'approvisionnement futur de l'humanité en eau douce sera donc le taux d'expansion de l'irrigation. Un autre enjeu de taille pour les années à venir est celui de la satisfaction de l'ensemble des besoins en eau potable de l'humanité. Or, selon l'ONU, sur les 33 mégapoles de plus de 8 millions d'habitants qui existeront dans 15 ans, 27 seront situées dans les pays les moins développés, ce qui entraînera 40 % d'augmentation de la consommation domestique dans les 20 ans à venir. Pour tenter d'inverser cette tendance, diverses solutions existent qui permettent de diminuer la consommation en eau et d'en limiter les pertes : améliorer l'efficacité des techniques d'irrigation et surtout généraliser l'usage des méthodes les plus performantes, rénover les structures de production et de distribution d'eau potable et en construire de nouvelles, préserver les réserves, lutter contre la pollution, entre autres en assainissant les eaux usées, recycler l'eau... Mais toutes ces mesures demanderont d'énormes investissements et seront donc coûteuses. Ce seront donc les décisions politiques, au niveau national et international, ainsi que les priorités d'investissements des pays et des agences de financement, qui joueront un rôle déterminant dans la gestion future du risque de pénurie d'eau douce à travers le monde. Or, un pays qui manque d'eau est un pays qui ne peut ni nourrir sa population, ni se développer. La consommation en eau par habitant est désormais considérée comme un indicateur du développement économique d'un pays. Selon une étude des Nations Unies, l'eau pourrait même devenir, d'ici à 50 ans, un bien plus précieux que le pétrole. C'est dire toute l'importance de cette ressource que d'aucuns appellent déjà « l'or bleu ». Avoir accès à l'eau est donc devenu un enjeu économique et géopolitique majeur à l'échelle planétaire qui pourrait devenir, dans le siècle à venir, l'une des premières causes de tensions internationales. Il est vrai que plus de 40 % de la population mondiale est établie dans les 250 bassins fluviaux transfrontaliers du globe. Autrement dit, toutes ces populations se trouvent dans l'obligation de partager leurs ressources en eau avec les habitants d'un pays voisin. Or, une telle situation peut être à l'origine de conflits récurrents, notamment lorsqu'un cours d'eau traverse une frontière, car l'eau devient alors un véritable instrument de pouvoir aux mains du pays situé en amont. Aujourd'hui encore, les contentieux à propos de l'eau sont nombreux à travers le monde, notamment au Nord et au Sud de l'Afrique, au Proche-Orient, en Amérique centrale. Au Proche-Orient, par exemple, une dizaine de foyers de tensions existent. Ainsi l'Égypte, entièrement tributaire du Nil pour ses ressources en eau, doit néanmoins partager celles-ci avec dix autres États du bassin du Nil : Quant à l'Irak et à la Syrie, ils sont tous deux à la merci de la Turquie, où les deux fleuves qui les alimentent, le Tigre et l'Euphrate, prennent leur source. Avec l'essor démographique et l'accroissement des besoins, ces tensions pourraient se multiplier à l'avenir. Aujourd'hui, depuis le deuxième Forum mondial de l'eau, qui se tenait en mars 2000 à La Haye, le constat est unanime parmi les experts qui diagnostiquent une crise grave si les gouvernements n'améliorent pas leur gestion des ressources en eau. Sur les remèdes pour enrayer cette crise, en revanche, les avis divergent. A La Haye, la discussion a en effet essentiellement porté sur la question de la privatisation de l'eau. Celle-ci, qui ne concerne que 5 % des ressources mondiales, est préconisée par le Conseil mondial de l'eau mais les ONG condamnent cette vision « technico-économique et marchande » et prônent l'accès à l'eau comme un « droit fondamental de l'homme », gratuit ou tarifé à prix coûtant. Aujourd'hui, la principale inquiétude porte sur l'approvisionnement en eau potable des pays en développement. D'énormes investissements seront donc nécessaires pour moderniser l'existant et créer de nouveaux équipements (usines de production, réseaux de distribution, stations d'assainissement), mais aussi pour développer de nouveaux systèmes d'irrigation. Ces investissements ont été évalués par le Conseil mondial de l'eau à 180 milliards de dollars par an pour les 25 prochaines années, contre 75 milliards de dollars actuellement investis chaque année. Plus que le mode de gestion, c'est la question de la fixation du prix de l'eau qui est au coeur du problème. Beaucoup d'ONG pensent qu'effectivement le prix de l'eau devra couvrir les frais de traitement, de distribution et de dépollution, mais refusent qu'il soit fixé par le marché. Cependant, même dans ces conditions, payer l'eau restera hors de portée des populations les plus pauvres. Le défi planétaire majeur du XXIe siècle en matière d'eau sera donc double : assurer la rentabilité de la gestion de l'eau, tout en garantissant aux plus pauvres le droit d'accéder à cette ressource vitale.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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