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Edito : L'avenir de notre planète va se jouer à Bali

En décernant conjointement le prestigieux prix Nobel de la Paix à Al Gore, pour son action médiatique très efficace en faveur de la prise de conscience par l'opinion publique mondiale du réchauffement climatique et Au GIEC (Panel intergouvernemental de recherche sur le climat) pour son travail scientifique remarquable, les sages du Comité Nobel viennent de conférer à cette personnalité et à cet organisme encore mal connu du grand public, une autorité morale et un impact médiatique qui vont rendre encore plus efficaces leurs avertissements et leurs publications.

Coïncidence du calendrier, quelques jours avant l'annonce de ce prix Nobel, un chercheur australien de renom, Tim Flannery, a révélé à la télévision australienne que la concentration de gaz à effet de serre (GES) avait déjà dépassé les 455 parties par million (ppm) en 2005, soit dix ans plus tôt que prévu.

On mesure mieux l'ampleur de cette hausse quand on sait qu'entre le début de l'ère industrielle et les années 90, la concentration en CO2 dans l'atmosphère est passée de 270 à 380 ppm (parties par million), soit une hausse de 40 %.

Mais il a ensuite fallu moins de 20 ans pour que cette concentration en CO2 passe de 380 ppm à 455 ppm, soit une augmentation de 20 %. M. Flannery a précisé que ces nouvelles données seraient publiées le 7 novembre, dans le nouveau rapport très attendu du GIEC.

La barre des 455 ppm est considérée comme un seuil dangereux par de nombreux scientifiques. A ce niveau de concentration atmosphérique de GES, la température mondiale moyenne augmentera probablement de 2 degrés Celsius, entraînant une hausse du niveau des mers potentiellement désastreuse et d'autres catastrophes liées au climat.

Limiter le réchauffement de la planète à 2 degrés Celsius est l'objectif majeur de la politique intégrée de l'UE en matière d'énergie et de changement climatique, adoptée précédemment dans l'année. D'après M. Flannery, le rapport établit que la quantité de gaz à effet de serre dans l'atmosphère est déjà supérieure au seuil à partir duquel de dangereux changements climatiques peuvent être provoqués.

Cette hausse sans précédent de la concentration de CO2 vient pleinement confirmer les résultats d'une étude publiée cet été par l'académie des sciences américaines ( Pnas) mais malheureusement peu médiatisée. Ces travaux conduits par l'Australien Michael Raupach dans le cadre du « Global Carbon Project », chargé d'établir le cycle du carbone à l'échelle planétaire, ont constaté l'accélération foudroyante des émissions de C02 lors des cinq premières années de ce siècle. « La croissance, note cette étude à laquelle six laboratoires ont participé, a été plus grande que les scénarios liés aux énergies fossiles les plus intensifs développés par le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec). »

En 2005, le total mondial de ces émissions était sans précédent : soit, 7,9 gigatonnes de carbone liés aux combustibles fossiles (gaz, pétrole, charbon) et 1,5 gigatonne lié à la déforestation. Alors que l'augmentation du CO2 était de 1 % par an auparavant, elle est passée à plus de 3 % par an depuis le début de ce siècle. Selon Raupach « Il est clair que nous sommes dans la fourchette la plus haute des scénarios du Giec. Soit entre quatre et six degrés d'augmentation de température moyenne".

Autre observation concordante et très inquiétante, celle faite il y a quelques semaines par le Dr Scott Lamoureux, dans le cadre d'une expédition polaire. Cette expédition, qui fait partie d'une des 44 initiatives canadiennes de recherches prévues pour une durée de quatre ans, est conduite par le Dr Lamoureux sur l'île de Melville, dans le nord-ouest de l'Arctique, et rassemble des scientifiques de trois universités canadiennes ainsi que du Nunavut. Un de leurs objectifs est d'évaluer la modification de la qualité de l'eau sous l'effet du réchauffement, et d'en déterminer l'impact sur l'écosystème sachant que l'ensemble de la population et des industries en dépendent étroitement.

Alors que la température moyenne d'un mois de juillet au camp de Melville est de 5° C, ce sont des pics dépassant nettement les 20° C qui ont été enregistrés cette année durant la même période. Les membres de l'équipe ont aussi observé avec stupéfaction que l'eau contenue dans le pergélisol se mettait à fondre, lubrifiant la couverture végétale qui se mettait à glisser en bas des pentes, balayant tout sur son passage.

D'autres recherches menées par une équipe de chercheurs gallois et norvégiens montrent que l'épaisseur des glaciers de l'archipel norvégien du Svalbard diminue de plus en plus vite. Les résultats de cette étude sont publiés dans la revue Geophysical Research Letters. L'archipel du Svalbard se situe dans l'océan Arctique, à mi-chemin entre le nord de la Norvège et le pôle Nord. Environ 60 % de la surface de l'archipel est recouverte par les glaces. Dans le cadre de l'étude considérée, les chercheurs ont utilisé des données de scanners laser aéroportés et fait appel à la photogrammétrie numérique pour étudier les glaciers de la région.

Ils ont constaté, à l'ouest de l'archipel du Svalbard, une accélération de la fonte de plusieurs glaciers de tailles variant entre 5 et 1 000 kilomètres. «Cette accélération dramatique de la fonte des glaciers est due au réchauffement climatique, lequel s'est traduit par une augmentation des températures et une baisse des chutes de neige», a expliqué la professeur Tavi Murray, chef du groupe de glaciologie de l'université Swansea. Les taux d'amincissement du glacier Midtre Lovénbreen, le mieux documenté en données, ne cessent de croître depuis 1936.

Pour la période 2003-2005, ils sont plus de quatre fois supérieurs au taux d'amincissement moyen pour la période 1936-1962. De 1990 à 2003, le Slakbreen affichait pour sa part des taux d'amincissement quatre fois supérieurs à ceux enregistrés pour la période de 1961 à 1977. «Les petits glaciers comme ceux-ci ne couvrent qu'une surface minuscule de la Terre», a déclaré la professeur Murray. «Toutefois, beaucoup fondent à un rythme accéléré, ce qui en fait un des principaux contributeurs de l'élévation du niveau des mers.

A la lumière de ces récentes observations, il ne fait plus doute que le réchauffement climatique planétaire est non seulement une réalité incontestable mais qu'il progresse plus vite que les prévisions les plus pessimistes. Sans entrer dans les détails du cycle du carbone, les raisons de ce réchauffement peuvent s'expliquer assez simplement. L'homme, du fait de ses activités, envoie à présent chaque année 8 gigatonnes de CO2 dans l'atmosphère ; or la Terre (océans et biomasse réunis) ne peut au maximum en absorber que la moitié (environ 4 gigatonnes pas an).

Le surplus va donc grossir le stock de carbone atmosphérique (CTA), évalué à environ 750 gigatonnes, et aggraver de plus en plus vite l'effet de serre qui, à son tour, accélère le réchauffement de notre planète. L'équation climatique à résoudre est donc assez simple. Si nous ne prenons pas des mesures radicales tout de suite, et que nous continuons sur notre lancée (+ 3 % par an de CO2), nous multiplierons par quatre nos émissions de CO2 d'ici 2050 et le réchauffement climatique, ainsi que toutes ses conséquences désastreuses, deviendront incontrôlables.

La seule façon, non pas de stopper ce réchauffement mais d'avoir une chance de le limiter à 2 degrés, ce qui est déjà considérable dans l'intervalle de temps qui nous sépare de 2050, est de diviser par deux nos émissions de CO2 au niveau mondial, pour les ramener à ce que la Terre est capable de supporter.

L'Humanité est donc confrontée, n'en déplaisent aux esprits irresponsables ou mal informés qui continuent à nier l'évidence, au plus grand défi de son histoire car si nous ne prenons pas tout de suite toute la mesure de cette menace, nous serons confrontés, avant la fin de ce siècle, à une série de catastrophes et de cataclysmes climatiques que nous pouvons à peine imaginer.

Face à cette situation, il faut bien comprendre que, ni la technologie, ni les énergies renouvelables ne parviendront à résoudre le gigantesque problème qui nous attend. Seule une réduction massive "à la source" de notre consommation d'énergie dans tous les domaines d'activités parviendra peut être à limiter les dommages qui nous attendent.

Cela suppose un changement de civilisation en deux générations et une réinvention complète des concepts d'urbanisme, de production et de transports qui fondent nos sociétés.

Certains diront peut-être que je pêche par excès de pessimisme ou que je cultive le catastrophisme. il n'en n'est rien et mes convictions s'appuient sur les meilleures études scientifiques mondiales publiées depuis 20 ans. William Arthur Ward a écrit "Le pessimiste se plaint du vent, l'optimiste espère qu'il va changer, le réaliste ajuste ses voiles."

L'heure est venue pour l'espèce humaine "d'ajuster ses voiles" et de prendre enfin les mesures difficiles mais indispensables à sa survie qu'impose la situation de la planète.

Le sommet extraordinaire de l'ONU sur le climat, qui s'est tenu à New York il y a quelques semaines a marqué un tournant dans la prise de conscience de nos dirigeants que le temps des mesures draconiennes était venu. Espérons que le sommet décisif qui se tiendra en décembre à Bali et doit définir les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour après Kyoto (2012) sera à la hauteur des enjeux qui nous attendent car ce sommet sera sans doute celui de la dernière chance si nous voulons laisser un monde vivable aux futures générations.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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