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Edito : Il faut que la machine se mette au service de l'Homme

Il ne faut pas rêver : le grand public ne va pas s'approprier les nouvelles technologies à la vitesse espérée par les très nombreux acteurs de ces marchés émergents. Et ce pour une raison très simple : l'utilisation de ces nouveaux outils est encore trop complexe et pas suffisamment « naturelle ». Notre cerveau dispose de cinq sens (la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher) pour communiquer avec l'extérieur. Dans la sphère publique de communication, nous nous servons essentiellement de l'oeil (l'écriture, l'image) et de l'oreille (la parole) pour comprendre notre monde et échanger avec notre environnement. Les trois autres sens sont essentiellement réservés à la sphère privée sinon intimiste. Tant que les machines qui veulent échanger avec notre cerveau n'utiliseront pas pleinement nos sens publics (l'écriture, l'image et la parole) pour répondre à notre attente, elles ne pourront intéresser qu'une minorité des populations qui acceptent « a priori » de subir un apprentissage pour se servir d'un clavier et respecter des procédures. Ce constat, qui est celui de la situation actuelle, nous met dans la position où un être humain doit se plier aux règles édictées par la machine s'il veut pouvoir s'en servir efficacement alors que la finalité, qui marquera la réelle émergence d'une époque nouvelle, doit être celle qui mettra en évidence que la machine se mettra réellement au service de l'Homme en le comprenant naturellement quand il lui parlera, quand il lui écrira... Ce problème posé par le décalage entre l'acquisition des usages par le plus grand nombre et le développement stupéfiant des technologies qui est toujours soumis à la loi de Moore aura des conséquences majeures dans ces prochaines années si les acteurs essentiels du marché ne prennent pas, sans tarder, toutes les mesures qui s'imposent pour que toutes les machines « intelligentes » qui, demain, nous environneront sur nos lieux de travail, à notre domicile, dans notre voiture et dans tous les espaces publics sachent « naturellement » nous comprendre et échanger avec nous. Pour illustrer ce que je viens de dire, je ne prendrai qu'un seul exemple : l'UMTS. Des sociétés, souvent dominantes, de télécommunications viennent de prendre des risques majeurs en s'engageant à investir des centaines de milliards de francs dans une nouvelle technologie (l'UMTS) qui n'a pas encore fait ses preuves et surtout dont les usages n'ont pas encore été « acquis » par le grand public. Penser que l'UMTS sera une grande réussite pour la simple raison qu'indubitablement le téléphone GSM connaît le triomphe, est une erreur. Le téléphone portable se développe aussi rapidement parce qu'il n'est qu'un simple clone (sans fil) du téléphone filaire dont nous avions appris à nous servir depuis des décennies. Il est d'ailleurs instructif de constater que, dès que nous voulons donner à ce téléphone portable une autre mission que celle de porter la parole, mission qui est celle de son ancêtre depuis Graham Bell en 1876, tel que le WAP par exemple, nous ressentons immédiatement des réticences dans l'acquisition de ces usages nouveaux par les utilisateurs. Or, la tâche qui sera confiée à l'UMTS et sur laquelle repose le modèle économique qui a incité de grands opérateurs de télécommunications à prendre de tels risques n'est plus essentiellement de porter la parole mais de permettre surtout d'échanger à grande vitesse des images animées de grande qualité, c'est-à-dire de remplir des missions que nos lourds PC de bureau ne savent pas encore bien remplir. Il faut, avec réalisme, constater que l'acquisition des usages nouveaux apportés par Internet et surtout l'utilisation de l'image, ne pénètre que lentement auprès du grand public. Si les procédures d'accès à la planète Internet sont trop complexes sur les terminaux UMTS, nous allons tous vers la catastrophe car les majors qui ont engagé tout leur « crédit » dans cette nouvelle technologie ne pourront pas faire face à leurs obligations et ne pourront même pas honorer les engagements pris lors de mises aux enchères « aberrantes ». Aussi, si ces mastodontes de notre économie veulent sauver leur « peau », il leur faut tout entreprendre pour que dans quelques mois les échanges entre l'utilisateur et son terminal UMTS soient parfaitement « naturels ». Si nous pouvons naturellement naviguer sur la toile Internet en utilisant simplement la voix, alors la partie sera gagnée. Par contre, si nous devons encore utiliser le clavier et respecter des procédures complexes pour nous servir pleinement de notre terminal UMTS, alors nous allons vers un échec qui marquera le début du 21ème siècle. Ce défi technologique n'est pas impossible à relever, loin de là. La fréquence des processeurs dédiés pourrait atteindre un haut niveau nécessaire pour un prix acceptable. Les algorithmes de compression, les logiciels de reconnaissance naturelle de la parole et les agents intelligents sont autant de domaines qui sont maintenant bien maîtrisés par plusieurs équipes de recherche et développement dans le monde. Il faut que les managers des groupes de télécommunications qui ont pris de tels risques imposent à leurs fournisseurs que les terminaux UMTS aient des capacités « naturelles » d'échanges avec leurs utilisateurs. Comme j'ai souvent l'habitude de le dire, les enfants qui seront nés en cette année 2000, et dont un sur deux a des chances raisonnables de devenir centenaire, vont devoir affronter six ou sept ruptures technologiques majeures au cours de leur seule vie, alors que les objets qui entouraient le lit de mort de leurs aïeux , il y a moins de deux siècles, étaient les mêmes que ceux qui entouraient leur berceau. Depuis le début de la révolution industrielle, nos grands-parents, parents ou nous-mêmes avons disposé de plusieurs décennies, sinon de toute notre vie, pour assimiler de nouvelles techniques telles que l'électricité, le téléphone, l'automobile, la télévision ou même l'informatique. Vu le rythme effréné avec lequel vont émerger les nouvelles technologies, il sera nécessaire que celles-ci sachent se mettre au service de l'homme en utilisant ses sens naturels pour échanger avec lui. Si cette précaution n'était pas respectée, il serait à craindre que l'homme, refusant la complexité du monde technologique, sans cesse renouvelé, qui l'entourerait, entre dans un cycle de rejet qui ne pourrait avoir que des conséquences néfastes sur les évolutions de notre société.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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