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Edito : Graisses contre sucres : faut-il revoir nos habitudes alimentaires ?

Depuis deux ans, un vif débat s’est ouvert au sein de la communauté scientifique sur le rôle exact des graisses et des sucres en matière de santé et de mortalité. Il est vrai que plusieurs études importantes, aux résultats parfois contradictoires et ayant donné lieu à des interprétations diverses, sont venues ébranler quelques-unes des certitudes scientifiques les mieux établies dans ce domaine complexe et passionnel des liens entre alimentation et santé.

En juin 2015, une équipe de recherche internationale a publié la première étude rigoureuse portant sur l’impact, au niveau mondial, de la consommation de boissons sucrées sur la mortalité. Selon ces recherches, réalisées à partir de 62 enquêtes diététiques ayant porté sur 611.971 personnes entre 1980 et 2010 dans 51 pays, la consommation de ces boissons aurait provoqué 133.000 morts pour des causes de diabète, 45.000 pour des causes de maladies cardiovasculaires et 6450 pour des causes de cancers, soit au total environ 184 000 décès pour la seule année 2004 (Voir Circulation).

L’année dernière, une vaste étude réalisée par la faculté d'Harvard a montré comment le type de graisses consommées influence la mortalité. Ces travaux confirment les bienfaits importants des graisses insaturées, surtout quand elles remplacent des graisses saturées et des acides gras trans.

Cette étude a porté sur 126 233 participants (83 349 femmes et 42 884 hommes) suivis pendant 32 ans, période au cours de laquelle 33 304 décès ont été enregistrés. L'étude analyse le lien entre la consommation des différents types de graisses et la mortalité. Selon ces travaux, une simple augmentation de 2 % des acides gras saturés est associée à un risque accru de 16 % de la mortalité prématurée.

Cette analyse a montré qu'une plus forte consommation de graisses saturées (par rapport aux hydrates de carbone) augmente de 8 % le risque de décès par rapport à une consommation plus faible de graisses saturées. Selon ces recherches, la réduction de la mortalité la plus importante a été observée chez les personnes remplaçant les graisses saturées par des graisses polyinsaturées qui se trouvent dans les végétaux (fruits à coques, huiles végétales et certains poissons) et réduisent le mauvais cholestérol. Cette étude montre enfin que remplacer seulement 5 % de son apport énergétique en graisses saturées par des acides gras polyinsaturés permettrait de réduire de 27 % le risque de décès prématuré.

Mais il y a quelques semaines, l’étude PURE (Prospective Urban Rural Epidemiological), incluant plus de 135 000 personnes (entre 35 et 70 ans) issues de milieux socio-économiques variés et provenant de dix-huit pays différents sur les cinq continents, est venue jeter le trouble dans les esprits (Voir étude).

Cette étude conduite par Mahshid Dehghan, de l'Université d'Hamilton, a été présentée lors du Congrès européen de cardiologie à Barcelone fin août, et le moins que l’on puisse dire est qu’elle a fait grand bruit. Elle montre en effet, contre toute attente, que les personnes qui limitent leurs apports en graisse ont une moins bonne santé que celles qui en consomment beaucoup. Toujours selon ces recherches, il semblerait en outre que les sujets qui ont une consommation importante de graisses – quelles qu’elles soient – aient une mortalité plus faible et une réduction de leurs risques cardiovasculaires. Enfin, l’étude souligne qu’une alimentation riche en hydrates de carbone (les fameux sucres lents, comme les féculents) semble entraîner un risque de  mortalité supérieure, par rapport aux personnes qui consomment peu de ces sucres lents mais plus de graisses.

Autre surprise : l'analyse par type de matières grasses montre que les saturées (présentes dans le beurre, le fromage, la charcuterie) sont associées à une baisse du risque de mortalité, certes plus faible que pour les personnes consommant le plus de graisses insaturées (poissons, huiles végétales), mais néanmoins sensible. En revanche, l’étude montre qu’une forte consommation de sucre augmente jusqu’à 28 % le risque de mortalité, par rapport à ceux qui en consomment le moins.

Ces travaux remettent donc fortement en cause un dogme médical solide voulant que les matières grasses, et plus particulièrement les graisses saturées, favorisent d’une manière générale les maladies cardiovasculaires. Les conclusions de cette étude considèrent que les recommandations actuelles, visant à limiter à 30 % l'apport calorique venant de matières grasses et à 10 % la part de cet apport issue des graisses saturées, n’ont plus de fondements scientifiques assez solides et sont à corriger. Mahshid Dehghan estime même que, si l'on remplaçait 5 % de l'apport calorique venant des glucides par des acides gras polyinsaturés, on diminuerait la mortalité d'environ 12 %.

A première vue, l’affaire semble entendue : pendant des décennies, médecins et scientifiques se seraient trop focalisés sur les supposés effets nocifs des graisses pour le cœur et, se concentrant sur cet « arbre » des graisses, ils n’auraient pas vu ou pas voulu voir la forêt, autrement plus dangereuse pour notre santé, que représente une consommation excessive des différents types de sucre.

Mais les choses ne sont peut-être pas aussi simples. Certains scientifiques, dont le Docteur Hansel, font notamment valoir que cette étude PURE concerne principalement des sujets vivant dans des pays de faible niveau économique. Ces chercheurs soulignent que l’étude PURE ne prend pas suffisamment en compte le poids et la diversité des cadres socio-culturels dans lesquels s’inscrivent les habitudes alimentaires très variées des participants à cette étude.

Le Docteur Hansel rappelle que « Si la plupart des participants de cette étude ont une alimentation pauvre en graisses saturées, et riche en glucides, c’est, de manière logique, parce qu’ils disposent de faibles revenus et mangent peu de viande et beaucoup de féculents ». Le Docteur Hansel souligne également que cette étude ne prend pas en compte un facteur pourtant très important : l’indice de masse corporelle des participants, qui varie évidemment de manière considérable d’un pays à l’autre.

Sans nier l’intérêt de ce travail et le fait qu’il a le mérite d’enrichir le débat scientifique sur la question complexe des effets de l’alimentation sur la santé, le Docteur Hansel considère qu’il est tout à fait prématuré d’abandonner toutes les recommandations actuelles concernant les effets néfastes d’une consommation excessive de graisses. Selon lui, il convient de rester prudent, surtout sur le rôle des graisses saturées et se situer dans un cadre de réflexion plus vaste pour interpréter de manière correcte les résultats de cette étude polémique. Toutefois, cet éminent chercheur admet qu’il faut probablement aller vers une réduction de la part des hydrates de carbone dans l’apport calorique total à moins de 60 %, au profit des graisses insaturées.

Le Docteur Hansel souligne également qu’un autre volet de l’étude PURE, intitulé « Impact de la consommation de fruits et légumes sur la santé cardiovasculaire et la mortalité dans 18 pays » montre de manière solide qu’une consommation de seulement 3 à 4 portions de fruits et légumes par jour suffisait à réduire le risque de mortalité globale de 22 % . Il conviendrait donc, selon lui, de réévaluer le rôle protecteur des fruits et légumes qui peuvent sans doute compenser, chez certaines populations présentant un profil génétique particulier, les effets néfastes d’une forte consommation de graisses, y compris saturées…

Pour ajouter encore un peu plus de confusion au sein de ce débat de plus en plus vif sur le rôle réel des graisses en matière de santé, une étude danoise récente s’est penchée sur les personnes ayant un taux très élevé de HDL, le « bon cholestérol » (Voir étude dans l'EHJ). Ces chercheurs ont étudié pendant 6 ans plus de 116 000 personnes âgées de 20 à 100 ans. Au cours de l’étude, 10 500 hommes et femmes sont décédés.

Mais, à leur grande surprise, ces chercheurs ont observé que les sujets ayant les taux les plus élevés de HDL ont un risque de mortalité (toutes causes confondues) nettement plus grand : dans ce cas de figure, ce risque est en effet doublé pour les hommes et majoré de 68 % pour les femmes. Mais ces travaux montrent également que les sujets ayant des taux extrêmement bas de cholestérol HDL ont aussi un risque de mortalité nettement plus important et qu’il est préférable de se situer au milieu de la « fourchette », en ce qui concerne le « bon » cholestérol.

Il faut enfin évoquer deux autres études très intéressantes portant sur les effets surprenants du régime cétogène en matière de longévité et de protection cognitive. La première a été réalisée par des chercheurs du Buck Institute for Research on Aging. Ces scientifiques ont étudié sur des souris les effets du régime cétogène, qui consiste à privilégier la consommation de lipides (matières grasses) et de  protéines mais à supprimer la consommation de sucres.

Dans cette étude, des souris ont été soumises pendant deux ans à trois régimes distincts. Le premier comportait une alimentation à haute teneur en glucides, le deuxième était un régime cétogène, et donc sans glucides, et le troisième un régime à haute teneur en matières grasses et faible en glucides. Conclusions : les souris soumises au régime cétogène avaient un risque de mortalité plus faible que celles soumises au deux autres régimes.

Mais, de manière plus inattendue, les souris soumises au régime cétogène connaissaient un déclin cognitif sensiblement plus faible en vieillissant et réussissaient mieux les différents tests d’orientation et de mémorisation. Selon ces chercheurs, ces bonnes performances cognitives pourraient s’expliquer  par le fait que le régime cétogène modifie l'expression de certains gènes afin que le corps métabolise plus efficacement la graisse. Fort de ces résultats, la même équipe de recherche a commencé une nouvelle étude visant à évaluer l’impact du régime cétogène sur le cerveau de souris atteintes de la maladie d'Alzheimer.

La seconde étude, intitulée « Le régime cétogène réduit la mortalité et améliore la mémoire chez les souris âgées » a été menée par des chercheurs de l'Université de Californie à Davis a confirmé cette découverte. Ces recherches ont montré que des souris bénéficiant du régime cétogène ont vu leur déclin cognitif sensiblement réduit en vieillissant et leur durée de vie augmentée de 13 %, soit un gain d’une dizaine d’années à l’échelle d’une vie humaine. « Bien que nous espérions des effets positifs avec cette expérience, les résultats obtenus dépassent toutes nos attentes » souligne le Professeur Ramsey, qui a dirigé ces travaux.

Ces différentes études et recherches, malgré leurs lacunes et leurs contradictions, ont le mérite très salutaire de remettre en cause des dogmes et certitudes bien établis et d’ouvrir de nouveaux et passionnants champs d’investigation pour mieux comprendre les liens intriqués, complexes et subtils qui relient nos habitudes alimentaires et notre santé, liens qui doivent toujours être considérés globalement, dans leurs dimensions sociales et culturelles. Il convient cependant, tout en poursuivant les recherches dans ce domaine, de rester prudent dans l'interprétation de ces études et de ne pas balayer d'un revers de main l'ensemble des acquis de plusieurs décennies de travaux.

A cet égard, l'affaire des statines mérite réflexion. Ces médicaments, largement utilisés dans le monde, forment une classe d'hypolipémiants, utilisés comme médicaments pour baisser la cholestérolémie. Mais depuis quelques mois, certains scientifiques multiplient les affirmations péremptoires et très médiatisées, pour nous expliquer que les statines n'auraient en réalité aucune efficacité et ne réduiraient absolument pas la mortalité cardiovasculaire. Ces dénonciations ont trouvé, comme toujours, un large écho auprès du grand public, jusqu'à ce qu'une vaste et rigoureuse étude portant sur 5 500 personnes suivies pendant 20 ans, publiée il y a quelques jours et réalisée par des chercheurs anglais dirigés par le professeur Kausik Ray (Imperial College de Londres) n'établisse que ces statines avaient bel et bien permis une baisse de la mortalité de 28 % chez les patients étudiés...

Nous pouvons en outre espérer que demain, les progrès d’une jeune et prometteuse discipline, la nutrigénomique, nous permettront d’accorder nos habitudes alimentaires à nos caractéristiques génétiques personnelles, ce qui nous permettra, non seulement d’éviter de nombreuses maladies, y compris les redoutables pathologies neurodégénératives, mais peut-être également de faire sauter cette fameuse barrière de longévité maximale, que certains scientifiques, depuis deux siècles, prétendent insurmontable…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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