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Edito : Energie éolienne : la France doit se réveiller

Notre pays compte aujourd'hui moins de 1000 MW de puissance électrique d'origine éolienne, ce qui représente une production d'électricité éolienne de 1 TWh en 2005. C'est à peine 0,2 % de notre consommation électrique et c'est 20 fois moins qu'en Espagne ou en Allemagne. Ce retard français en matière d'énergie éolienne est d'autant plus incompréhensible que notre pays possède tous les atouts pour développer cette énergie non polluante : compétences techniques, climat propice et grandes façades maritimes. Ce retard devient également très préoccupant si l'on observe l'évolution de l'énergie éolienne dans le monde depuis 10 ans : 32.000 MW installées sur cette période, soit deux fois plus que le nucléaire ! Aujourd'hui, l'énergie éolienne représente plus de 55.000 MW de puissance installée, 85.000 installations, un taux de croissance annuel de près de 25 % et plus de 150.000 salariés dans le monde. Rien qu'en Allemagne, 60.000 personnes travaillent directement ou indirectement pour le secteur éolien.

Au niveau mondial, la quantité de vent pourrait satisfaire, compte tenu des sites exploitables, au moins 20 % des besoins énergétiques. En admettant même qu'on se limite à l'objectif plus réaliste de 10 % d'électricité éolienne d'ici 2020 au niveau mondial cela épargnerait environ 10 milliards de tonnes d'émissions de gaz carbonique (sur un total de 60 à 70 milliards de tonnes). Pour atteindre cet objectif, il faudrait multiplier par 100 l'actuelle puissance éolienne installée. L'investissement à réaliser serait certes très lourd (de l'ordre de 200 à 300 milliards d'euros au total), mais les coûts de fonctionnement et d'entretien seraient très modestes et permettraient un amortissement rapide de ces installations, surtout si l'on intègre dans cet amortissement la réduction considérable des émissions à gaz à effet de serre.

En outre, comme les fabricants construisent des éoliennes plus grandes et plus performantes, le prix de l'énergie qu'elles produisent diminue d'environ 20 % par an depuis quatre ans. Au Danemark, au début des années 80, l'électricité d'origine éolienne revenait à près de 17 centimes d'euros le kilowatt/heure (kWh). Ce chiffre, qui comprend la totalité des coûts (équipements, main-d'oeuvre, intérêts des prêts, fonctionnement et entretien), est tombé à 6,15 centimes d'euros en 1995 et à environ 4,6 centimes d'euros aujourd'hui.

Le coût total d'investissement d'un parc éolien terrestre est de l'ordre de 1 000 ?/kW mais devrait décroître encore sensiblement avec l'expansion du marché. Le coût de production du kWh éolien a aussi fortement diminué sous l'effet conjugué, d'une part de la baisse des coûts des matériels et d'installation, d'autre part des gains de productivité dus aux progrès techniques. Pour un bon site (vitesse moyenne du vent de 7 à 8 m/s) le coût du kWh produit en France est de l'ordre de 5 centimes d'euros.

En France, l'arrêté du 8 juin 2001 fixe à 8,38 centimes d'euro (83,8 ?/MWh) le prix du rachat de l'électricité éolienne pendant 5 ans, et ensuite à un prix variable suivant le site pendant 10 ans. Depuis mars 2005, ce dispositif est limité aux parcs de plus de 20MW afin de mieux protéger les paysages d'installations anarchiques et stimuler le développement de cette énergie renouvelable, encore marginale en France.

S'agissant de l'évolution technologique, il faut en effet savoir que la dernière génération d'éoliennes n'a plus rien à voir avec les éoliennes encore artisanales d'il y a 10 ans. Alors qu'il y a 10 ans les éoliennes culminaient à 0,6 MW, ces nouvelles éoliennes, telles que celles installées en février 2005 en Allemagne, près de Hambourg, ont une puissance de 5 MW, de quoi alimenter (sur la base d'une production moyenne annuelle de 10 millions de kWh correspondant à un fonctionnement annuel de 2000 heures sur un site moyennement venté) plus de 3000 foyers, une hauteur de 120 mètres, et des pales d'un diamètre de 50 mètres. Une vingtaine de ces éoliennes pourraient, à elles seules, alimenter en électricité domestique (hors chauffage) une ville comme Montpellier ou Strasbourg !

Grâce aux extraordinaires progrès intervenus simultanément dans les matériaux composites, l'électronique de puissance (qui a permis l'adoption de l'hélice à pas variable) et la connaissance fines des vents, une éolienne actuelle peut fonctionner avec des vents allant de 9 à 120 Km/heure. Ces éoliennes fonctionnent à plein régime en moyenne 2400 heures par an, contre 1600, il y a 10 ans (leur rendement moyen annuel passant de 18,2 % à 27 ,4 %). Mais cette nouvelle génération d'éolienne est non seulement bien plus efficace et moins chère à construire, mais également bien moins onéreuse à entretenir.

Quant au bruit engendré par ces éoliennes, et souvent mis en avant comme une nuisance très importante, il a également été considérablement diminué, grâce aux progrès technologiques. Aujourd'hui, il est évalué à 44 dB à 250 mètres, soit le bruit ambiant d'une salle à manger. Nous sommes donc très loin des nuisances sonores d'un aéroport, d'une autoroute ou même d'un simple carrefour en milieu urbain.

Autre impact négatif parfois invoqué : les éoliennes seraient responsables de la mort de nombreux oiseaux. Toutes les études sérieuses montrent que cette crainte n'est pas fondée : une éolienne peut tuer entre 0 et 3 oiseaux par an alors qu'une ligne électrique haute tension en tue plusieurs dizaines par kilomètre et par an. Les études scientifiques ont démontré notamment au Danemark, que la plupart des oiseaux identifient et évitent les pales d'éoliennes. Il est, en revanche, essentiel de s'assurer que le site retenu ne se situe pas dans un couloir de migration.

Maintenant, si l'on passe en revue les avantages des éoliennes, on ne peut que constater à quel point, compte tenu des progrès technologiques intervenus au cours de ces dernières années, cette source d'énergie renouvelable est intéressante. Tout d'abord, elle occupe peu de terrain par rapport à la quantité d'énergie produite et, de surcroît, les installations éoliennes sont totalement réversibles: une fois en fin de vie, un parc d'éoliennes peut être facilement et rapidement démonté et le site peut être remis dans son état d'origine. On peut donc difficilement faire plus écologique !

Enfin, si l'on considère le ratio investissement initial-puissance installée, le coût de l'énergie éolienne avec environ un million d'euros d'investissement pour un MW installé, est équivalent à celui de l'énergie hydraulique et est nettement inférieur à l'énergie photovoltaïque, l'énergie géothermique, ou l'énergie des mers, à puissance égale, ce qui ne veut pas dire, bien au contraire, qu'il ne faille pas intensifier les recherches pour faire diminuer le coût de mise en oeuvre et d'exploitation de ces autres sources d'énergie renouvelable qui devront également avoir un rôle plus important à jouer dans le paysage énergétique de demain.

Reste l'impact visuel et esthétique indiscutable de ces éoliennes géantes qui font déjà plus de 120 mètres et dépasseront demain les 200 mètres, comme les prototypes à l'étude au Danemark. Face à cet impact paysager, l'implantation d'éoliennes terrestres doit faire l'objet d'études d'impact préalables très soignées de manière à ce que ces éoliennes s'intègrent harmonieusement dans le paysage, ce qui est tout à fait possible, comme le montrent certaines réalisations, comme celle d'Ally, dans la haute Loire. Mais l'avenir appartient sans doute aux grands parcs d'éoliennes « offshore », c'est-à-dire construits en mer, loin de toutes habitations.

En 1997, les compagnies d'électricité danoises et l'Agence Danoise pour l'Energie ont élaboré des plans d'investissements à grande échelle dans l'énergie éolienne offshore au Danemark. Quelque 4.100 MW de puissance éolienne vont être installés dans les mers danoises d'ici l'an 2030. L'énergie éolienne couvrirait alors environ 50 % de la consommation d'électricité danoise (d'un total de 31 TWh/an). L'Allemagne et la Grande Bretagne, pour leur part, ont également d'ambitieux projets de parcs éoliens « offshore », 3000 MW pour l'Allemagne et 6000 MW pour la Grande Bretagne.

La France dispose pour sa part du deuxième potentiel éolien d'Europe après la Grande-Bretagne avec près de 70 térawatts (TW ou milliards de kilowatts) sur terre, et surtout, d'environ 90 TW en mer, soit, au total, 150 TW. Pourtant, en France, le seul projet d'éoliennes offshore porte sur 500 MW et apparaît comme bien modeste par rapport aux projets de nos principaux voisins européens. Alors que nous avons déjà un retard considérable en matière électricité éolienne, et que nous possédons de vastes façades maritimes, on ne peut que s'étonner de ce singulier manque d'ambition en matière de développement de l'énergie éolienne, comme d'ailleurs dans le domaine de l'énergie solaire. Ces éoliennes situées en pleine mer auront en effet un avantage décisif sur les éoliennes terrestres : elles bénéficieront d'un vent beaucoup plus rapide et plus régulier qui permettra à ces aérogénérateurs d'atteindre un rendement moyen annuel de 40 à 50 %, contre moins de 30 % pour leurs homologues terrestres.

Les Etats-Unis ne s'y sont pas trompés et développent actuellement une prochaine génération d'éolienne conçue pour fonctionner en pleine mer, sur des plates-formes capables de s'autostabiliser. (Voir notre article : "Des éoliennes flottantes géantes de 10 MW en 2015 dans notre lettre 385 du 19-05-2006). La puissance de ces futurs géants des mers sera de 10 MW en 2015. Avec un rendement de plus de 40 %, une seule de ces éoliennes géantes pourra produire 35 millions de kWh par an, de quoi alimenter plus de 10 000 foyers (hors chauffage) en électricité.

En combinant éoliennes terrestres et maritimes, les Etats-Unis envisagent à présent de produire à l'horizon 2020 10 % de leur électricité grâce au vent et 20 % en 2030 ! (Voir l'excellente étude L'énergie éolienne et les biocarburants au service de la revitalisation rurale aux USA). Certains scientifiques vont même plus loin, comme Mark Jacobson, Professeur à Stanford et spécialiste de l'impact des énergies sur le climat, qui pense que les Etats-Unis pourraient, à terme, satisfaire au Protocole de Kyoto en réduisant de 60 % leurs émissions de gaz à effet de serre. "Il faudrait pour atteindre cet objectif que nous produisions 30 % de notre électricité grâce au vent", souligne Jacobson. Celui-ci a fait le calcul et affirme que cet objectif de 30 % est réaliste: "cela représente un peu moins de 70.000 aérogénérateurs terrestres de 5 MW mais ce nombre pourrait être sensiblement diminué si l'on décide de réaliser également des fermes éoliennes en mer." souligne-t-il.

Revenons à présent en France. Une quarantaine de ces futures éoliennes maritimes géantes de 10 MW devrait pouvoir fournir assez d'électricité pour alimenter la consommation domestique d'une ville d'un million d'habitants, comptant 400.000 foyers ! En France, 1800 de ces éoliennes maritimes (qui ne posent aucun problème d'intégration dans le paysage ou de bruit) suffiraient donc pour produire 15 % de la totalité de l'électricité consommée par notre pays, c'est-à-dire autant d'électricité que celle produite chaque année grâce à l'énergie hydraulique. Un tel objectif est-il hors de portée pour un pays comme la France ?

Il faut également bien comprendre que l'énergie éolienne s'inscrit dans une nouvelle économie énergétique beaucoup plus vaste dont l'une des composantes essentielles est la production propre d'hydrogène, le vecteur énergétique de demain. Les Etats-Unis l'ont bien compris et le Laboratoire national de l'énergie renouvelable (NREL) au sein du ministère de l'énergie des Etats-Unis, vient de conclure, début mai, avec Xcel Energy, une société de production d'électricité et de gaz naturel, un accord de coopération relatif à un projet novateur de recherche-développement et de démonstration de production d'hydrogène à partir de l'énergie éolienne. Ce projet consiste à connecter un électrolyseur (équipement qui sépare l'eau en hydrogène et oxygène) à une éolienne du parc. Il s'inscrit dans le cadre de l'Initiative du combustible hydrogène du président Bush, qui vise à la mise au point de la technologie et de l'infrastructure nécessaires pour rendre pratique et peu coûteuse l'utilisation de l'hydrogène dans des véhicules à partir de 2020.

Plus près de nous, vos voisins espagnols vont également expérimenter une unité de production d'hydrogène, dans un parc éolien galicien à Sotavento. Ce projet répond aux besoins d'intégrer de plus grandes quantités d'énergie dans le réseau électrique, et au défi qui consiste à résoudre le problème majeur de la fluctuation de la production éolienne et de la production propre d'hydrogène. L'énergie électrique produite par l'éolienne sera transmise à un électrolyseur qui produira de l'hydrogène quand le réseau n'aura pas besoin de cette énergie. Cet hydrogène sera stocké dans des citernes et constituera le combustible d'un groupe électrogène.

Il faut rappeler que la France s'est engagée auprès de l'Europe à porter à 21 % sa part d'électricité produite par des énergies renouvelables d'ici 2010 et à diviser pas quatre ses émissions de gaz à effet de serre d'ici 2050. A l'heure actuelle l'énergie hydraulique représente plus de 14 % de la production nationale d'électricité et les autres énergies renouvelables moins de 1 %. Notre pays doit donc être beaucoup plus ambitieux dans le développement des énergies renouvelables.

Alors que tous nos grands voisins, Espagne, Allemagne, Grande-Bretagne mettent en oeuvre des programmes éoliens très ambitieux, et envisagent, à terme, de produire 30 à 40 % de leur électricité grâce au vent, Je crois qu'il est temps pour notre pays de se réveiller et de prendre, au niveau national comme au niveau local, des initiatives fortes qui le placeront en tête des pays européens pour cette énergie dont notre pays a la chance de posséder le deuxième gisement européen. Il y a là un triple enjeu, techno-économique, environnemental et citoyen dont la France doit prendre rapidement toute la mesure.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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