RTFlash

Edito : Edito : Va-t-on pouvoir prédire nos intentions grâce à un scanner cérébral ?

Dans notre lettre 398 de juin 2006, je vous avais fait part, dans un éditorial intitulé "La pensée affirme son pouvoir sur la matière" des extraordinaires progrès intervenus au cours de ces dernières années dans la mise au point de dispositifs capables de commander directement par la pensée des prothèses, robots ou ordinateurs. J'avais notamment évoqué la première démonstration en France, en juin 2006, du système BCI (Brain Computer Interface) qui permet aux personnes totalement paralysées de déplacer un curseur sur un écran d'ordinateur ou de « dicter » un texte simplement par la pensée.

Nous vous avions également parlé, fin 2005, du bras robotisé mis au point par L'Université de Pittsburgh. Ce bras, directement contrôlé par la pensée, a été expérimenté avec succès sur un singe et utilise un système de sondes et de capteurs directement insérés dans le cerveau. Il peut ainsi exécuter fidèlement les instructions transmises directement par la pensée de l'animal.

Enfin, récemment (Voir mon éditorial de la lettre 413) une équipe de recherche américaine, dirigée par Rajesh Rao, à l'université de Washington, a réussi à créer une interface non invasive permettant le contrôle d'un robot par la pensée par la simple formulation d'ordres généraux, la machine se chargeant de les exécuter de manière précise.

Mais voici qu'une nouvelle étape vient d'être franchie en matière de commande cérébrale. Aux Etats-Unis, une société de jeux électroniques "Emotiv Systems" vient de présenter un casque de jeu qui est capable d'analyser les signaux électriques provenant de l'activité cérébrale du joueur et peut ainsi modifier directement l'action ou le comportements des personnages du jeu vidéo en fonction de l'évolution de son état émotionnel (stress, excitation, peur, détente etc...). Mais Emotiv System veut aller plus loin et prépare également un logiciel qui pourra permettre au joueur muni de ce casque de commander certaines actions dans le jeu directement par la pensée.

Plus près de nous, Outre-Rhin, une équipe de chercheurs allemands a mis au point un appareil d'imagerie cérébrale qui permet de déterminer les intentions d'un individu, tout du moins lorsqu'il s'apprête à réaliser une tâche simple. Les volontaires qui ne se doutaient pas une seconde que dans la pièce à côté, des scientifiques tentaient de lire dans leurs pensées, s'apprêtaient soit à compter (addition ou soustraction), soit à presser un des deux boutons à proximité.

Ces travaux, conduits par le Dr John-Dylan Haynes, du centre Bernstein de Berlin, ont débuté en juillet 2005 à l'Institut de la cognition et des neurosciences Max Planck à Leipzig (150 km environ au sud-ouest de Berlin) et ils ont suscité un vif intérêt dans la communauté scientifique. (MPI)

Les chercheurs ont demandé aux participants de choisir entre additionner ou soustraire deux nombres quelques secondes avant que ces nombres ne soient visibles sur un écran. Dans cet intervalle, un ordinateur a retranscrit en images les mouvements cérébraux, de manière à prédire la décision, un modèle suggérant une addition, l'autre une soustraction.

L'équipe de Haynes a d'abord essayé d'identifier la partie du cerveau commandant les intentions. En scannant le cerveau, à la recherche d'une zone d'hyperactivité cérébrale observée lorsqu'un patient a à choisir, ils ont découvert que le centre de commande des intentions se situe dans le cortex pré-frontal. Ensuite, ils ont étudié quel modèle était associé aux différentes intentions. "Si vous saviez quelles signatures de pensée chercher, vous pourriez en théorie prédire avec plus de précision ce que les gens vont faire", a estimé Haynes.

Pour l'heure, lire les pensées est un processus laborieux et les scientifiques n'ont aucune chance de pouvoir espionner subrepticement un processus de décision : l'étude de Haynes ne concerne que des gens face à deux alternatives, et non confrontés aux innombrables choix de chaque jour. Mais les scientifiques font suffisamment de progrès pour inquiéter les défenseurs de l'éthique, la recherche étant déjà passée de l'identification des régions du cerveau dans lesquelles apparaissent certaines pensées à l'identification de leur contenu.

"Pour la première fois, ces technologies nous donnent la possibilité réelle d'aller chercher à la source ce que quelqu'un pense ou ressent, sans qu'il puisse nous en empêcher", a déclaré le Docteur Hank Greely, directeur du centre Loi et Sciences biologiques de l'Université de Stanford. "Le concept même de garder ses pensées privées pourrait être profondément modifié dans le futur", a-t-il jugé.

Certains s'inquiètent déjà de la portée de ces découvertes qui, à l'image du film de science-fiction "Minority report", pourraient inciter les autorités à agir contre des individus avant même qu'un crime ait été commis. Les Britanniques ont déjà mis en place un fichier ADN qui pourrait aider les autorités à suivre les personnes jugées violentes. De plus, le gouvernement a lancé l'idée de détenir les gens présentant un trouble de la personnalité susceptible de conduire à un comportement criminel.

Mais pour l'instant, Haynes envisage des applications pratiques destinées aux personnes handicapées ou paralysées. De précédentes recherches ont déjà montré que les patients peuvent commander des prothèses ou des ordinateurs par la seule puissance de leur esprit. Mais les résultats de Haynes ouvrent des perspectives complètement nouvelles. On peut en effet imaginer qu'à l'avenir il sera possible de lire et de « traduire » également les pensées et les intentions abstraites et complexes telles que « va ouvrir la chemise bleue posée sur le bureau » ou « réponds au dernier courriel d'Henri » !

Il est frappant de constater que des perspectives qui relevaient, il y a quelques années encore, de la pure science-fiction, sont en train de devenir réalité. Mais dans ce domaine, les avancées sont si rapides que notre société a du mal à mesurer toutes les conséquences sociales, morales et éthiques que risquent d'entraîner des systèmes qui pourront, plus tôt qu'on ne le pense, lire à notre insu dans nos pensées les plus intimes. J'avais lancé il y a déjà plusieurs années de cela l'idée d'un débat autour de la « neuroéthique » à l'instar de celui qui s'est ouvert sur la bioéthique. Aujourd'hui, alors que la réalité est en train de rattraper la fiction, le moment est venu pour notre société d'entamer cette réflexion et de réfléchir tous ensemble aux limites que nous voulons fixer à ces nouvelles et extraordinaires possibilités ouvertes par la science.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top