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Edito : Les dirigeables de nouvelle génération vont-ils révolutionner le transport aérien ?

Le premier concept de dirigeable, fait d’une coque rigide de 80 mètres de long et muni de trois hélices et d’un gouvernail, fut imaginé en 1784 par le militaire et mathématicien Français Jean-Baptiste Meusnier, et proposé à l’Académie des Sciences. Mais il ne fut jamais réalisé car il était trop en avance sur son temps. Il fallut attendre un siècle pour qu’en 1884, deux autres Français, Charles Renard et Arthur Constantin Krebs, tous deux militaires et ingénieurs de génie, construisent le premier dirigeable entièrement fonctionnel, qui était équipé d’une hélice à propulsion électrique de 9 chevaux, et pouvait se déplacer à la vitesse respectable de 24 kilomètres par heure.

Une autre étape décisive fut franchie en 1900, avec le vol de 5 km (à 410 mètres d’altitude), au-dessus du lac de Constance, du premier dirigeable rigide, le LZ 1, conçu par le célèbre ingénieur allemand Ferdinand Von Zeppelin. En 1909, le LZ 6 devint le premier zeppelin à être utilisé pour le transport de passagers, mais l’âge d’or des dirigeables commença en 1928, avec la mise en service du fameux « Graf Zeppelin », qui, avec ses 236 mètres de long, était un véritable paquebot des airs et pouvait traverser l’Atlantique en trois jours, soit, à l’époque, deux fois plus vite qu’en bateau. Pendant 9 ans, ce dirigeable inégalé effectua 143 traversées de l'Atlantique, transportant 13 000 passagers. Mais cette brillante épopée se termina tragiquement par l’explosion accidentelle de ce dirigeable rempli d’hydrogène, et la mort de 37 des 100 passagers de cet engin, alors que le Graf Zeppelin s’apprêtait à atterrir sur la base aérienne de Lakehurst, dans le New Jersey.

Il fallut ensuite attendre 1997 pour voir à nouveau voler un grand dirigeable semi-rigide, le Zeppelin NT, qui est gonflé à l’hélium, mesure 75 mètres de long et est essentiellement utilisé pour des vols touristiques ou d’exploration. Ce dirigeable de nouvelle génération, dont sept exemplaires sont en service, peut voler à une vitesse maximale de 125 km/h, pour une autonomie de 900 km.

Mais depuis les Accords de Paris de 2016 et la volonté nouvelle de la communauté internationale de parvenir à la neutralité carbone d’ici 2050, pour essayer de limiter à deux degrés le réchauffement climatique en cours, la nécessité de faire baisser plus rapidement les émissions de CO2 du secteur des transports (qui représentent au moins le quart des émissions globales, soit 15 gigatonnes par an) n’a cessé de gagner du terrain, à la fois dans les opinions publiques et dans les décisions politiques des Etats. En moins de cinq ans, une mutation technologique et économique majeure, que nous avons évoquée à plusieurs reprises, s’est enclenchée pour décarboner beaucoup plus vite la mobilité lourde (trains, bus, bateaux et avions), grâce à l’hydrogène et pour basculer vers la propulsion électrique en matière de déplacements urbains, qu’ils soient particuliers ou collectifs.

Reste qu’il sera plus difficile, à cause de contraintes techniques bien plus sévères, de décarboner rapidement le transport aérien qui a émis en 2019 (avant son effondrement ponctuel de 60 % dû à la pandémie) un milliard de tonnes dans l’atmosphère, soit 2,5 % des émissions humaines de CO2. Il va cependant falloir parvenir à réduire drastiquement les émissions de CO2 de ce secteur, d’autant plus que celui-ci va reprendre son irrésistible croissance : la plupart des experts prévoient en effet un doublement du nombre d’appareils et de passagers transportés par avion d’ici 2040. Quant au développement du fret aérien, il est encore plus spectaculaire puisque, selon la Banque mondiale, il aurait été multiplié par dix depuis 40 ans, pour atteindre 221 milliards de tonnes-kilomètres transportées (TKT) en 2019.

Selon l’Association internationale du transport aérien (Iata), les effets dévastateurs de la pandémie en matière de fret aérien devraient être effacés dès 2024 et ce secteur, qui représente un tiers du commerce mondial en valeur (mais seulement 1 % en volume), devrait, d’ici trois ans, retrouver une croissance de plus de 10 % par an, tiré par le fort développement économique de l’Asie et de certaines régions d’Afrique.

C’est dans ce nouveau contexte économique et politique que le retour du dirigeable, transfiguré par de nombreuses ruptures technologiques, prend tout son sens et peut contribuer à la fois à réduire sensiblement l’empreinte carbone du transport aérien, à commencer par le fret, et à fournir aux pays en voie de développement de nouveaux outils performants et moins coûteux pour accélérer la réalisation de leurs infrastructures et permettre le transport économique de passagers.

En France, la société Flying Whales, fondée en 2012, nourrit de grandes ambitions et veut devenir leader mondial des nouveaux dirigeables destinés au transport de charges lourdes. Cette société est contrôlée par FL WH Holdco, un holding dont les principaux actionnaires sont la région Nouvelle-Aquitaine (30 %), le gouvernement du Québec (25 %) et l'avionneur chinois Avic (25 %).

Flying Whales va construire l'an prochain sa première usine de fabrication près de Laruscade, à 43 km de Bordeaux, en Gironde, et espère lancer en exploitation commerciale son premier dirigeable baptisé LCA60T en 2025. Avec ses 200 mètres de long (l'équivalent de deux Airbus mis bout à bout) et ses 50 mètres de diamètre, le LCA60T sera la plus grosse machine volante au monde. Ce monstre des airs pourra transporter pas moins de 60 tonnes à une vitesse de 100 km/h.

Cette entreprise se dit persuadée que son dirigeable de nouvelle génération est de loin la solution la plus performante, tant sur le plan économique qu’écologique, pour embarquer ou acheminer à un coût réduit des charges lourdes dans des régions isolées, et parfois totalement dépourvues d’infrastructures de base. Flying Whales a d’ailleurs noué un partenariat avec l’Office national des forêts, pour le transport du bois, mais elle souligne que le marché potentiel du transport de marchandises volumineuses et pondérales, câbles, pales d’éoliennes, pylônes et antennes électriques, éléments préfabriqués de bâtiments, grosses pièces industrielles, est gigantesque. S’agissant des risques d’incendie, le patron de FW, Romain Schalck, rappelle que son dirigeable n’a plus rien à voir avec ceux que l’on construisait il y a un siècle. L’hélium a remplacé l’hydrogène, gaz inflammable ; les matériaux composites permettent à présent de fabriquer des enveloppes à la fois souples, résistantes et légères, et l’informatique embarquée, couplée à l’exploitation de prévisions météorologiques de plus en plus fine permet de voler dans des conditions de sécurité optimales. Enfin, Romain Schalck souligne que, contrairement aux avions, en cas de perte des moteurs, un aérostat ne s’écrase pas.

FW présente son 60T (Large Capacity Airship), comme un engin polyvalent, qui pourra transporter de nombreux types de charges. Contrairement à l’avion, qui doit dépenser une grosse quantité d’énergie pour décoller et voler, le ballon reste en vol stationnaire et consomme bien moins d'énergie. Le LCA60T de Flying Whales sera à la pointe de l’innovation. Il disposera notamment d’une propulsion hybride, associant 4 turbines de 1 MW pour produire l'énergie qui fait tourner les hélices. Au final, le LCA60T devrait consommer cinquante fois moins de carburant, par tonne transportée, que n’importe quel autre moyen aérien ; il devrait également émettre 20 fois moins de particules qu'un hélicoptère, à charge égale.

Pourtant, en dépit de ces avantages indéniables, le dirigeable conserve un point faible par rapport à l’avion : il est davantage soumis aux contraintes météorologiques, pluie, vents violents, neige, grand froid. Néanmoins, nous l’avons vu, ce handicap doit être relativisé car les dirigeables peuvent à présent s’appuyer sur des prévisions météo plus fiables, précises et puissantes, et sur des systèmes informatiques de pilotage et de stabilisation très pointus. Selon Météo-France, le dirigeable de Flying Whales devrait pouvoir travailler en toute sécurité au moins 280 jours par an, une durée largement suffisante pour rentabiliser son exploitation.

Mais le français Flying Whales devra compter avec au moins trois autres concurrents de taille, les britanniques Hybrid Air Vehicles et Varialift, et l’Américain Lockheed Martin. Il est vrai que le récent rapport « Global Airships Industry », publié en septembre 2020, estime que le marché mondial des dirigeables va doubler d’ici cinq ans, pour atteindre les 274,2 millions de dollars américains, avec un taux de croissance annuel de 5,3 %.

Le dirigeable Airlander 10, développé par la société anglaise Hybrid Air Vehicles (HAV), est l’un des projets les plus avancés. Plus grand qu’un A380, cet aéronef électrique mesurera 100 mètres de long, et pourra voler à 130 km/heure pendant 5 jours successifs. Il disposera d’une cabine de plus de 2000 m², d’un train d’atterrissage rétractable et pourra stocker dix tonnes de fret. Dans un premier temps, le Airlander sera doté d’une motorisation hybride, lui permettant de parcourir 350 kilomètres en propulsion entièrement électrique. A plus long terme, HAV veut passer à une propulsion totalement électrique, grâce à une puissante pile à combustible, et travaille dans ce but avec Collins Aerospace et l’Université de Nottingham.

L’entreprise anglaise Varialift, fondée par l’ingénieur et pilote Alan Handley et installée sur l’ancienne base militaire de Châteaudun, travaille également à une solution innovante de transport de fret par dirigeable, pouvant être déployée sans aucune infrastructure au sol. La technologie déployée chez Varialift repose sur l’utilisation de plusieurs réservoirs d’hélium. Une fois le dirigeable rempli, l’altitude atteinte reposera sur des ballasts grâce à la compression de l’hélium. Ces dirigeables pourront voler à une vitesse allant de 250 à 350 km/heure, à une altitude maximale de 9km. La structure de l’engin sera en aluminium, ce qui lui offre une grande résistance à la chaleur et à la corrosion, et la propulsion électrique sera assurée par des moteurs Siemens. A terme, ces dirigeables, qui devraient entrer en production dans trois ans, pourraient être équipés de panneaux photovoltaïques organiques souples qui fourniraient jusqu’à 50 % des besoins en énergie de l’engin. Dans sa première version, le dirigeable-cargo de Varialift aura une capacité d’emport de 50 tonnes, puis viendront des versions plus grosses, pouvant aller jusqu’à 250 tonnes !

Alan Handley souligne la pertinence de sa solution pour la construction des immenses parcs éoliens prévus en Afrique, « L’Ethiopie va réaliser d’énormes parcs de plusieurs milliers d'éoliennes dans une région totalement désertique : nous pouvons lui proposer une solution de fret dix fois moins coûteuse que les avions-cargo. Nos dirigeables peuvent aller partout et se poser n’importe où, dans un cercle de 100 mètres, avec un tonnage de jumbo jet ! ». L’entreprise estime que la demande mondiale pourrait s’élever, d’ici 20 ans, à 16 000 dirigeables, pour un marché global de 40 milliards de $. De quoi envisager la fabrication d’au moins cent dirigeables par an…

L’américain Lockheed Martin parie pour sa part sur son nouveau projet, l’Hybrid Airship. Ce dirigeable est conçu pour accéder à des zones dépourvues d’infrastructures, qui sont très nombreuses dans d’immenses pays en développement, comme l’Inde ou le Brésil. Capable de transporter à la fois 19 personnes et une charge de 21 tonnes à 100 km/heure, l’Hybrid Airship de Lockheed Martin veut d’abord se concentrer sur le marché en plein essor du transport de fret, considéré comme le plus rentable à court terme. Il est vrai qu’un dirigeable comme l’Hybrid Airship peut soulever jusqu’à 60 tonnes, bien plus que n’importe quel hélicoptère, ce qui le rend largement plus rentable que tous les avions cargo existants, comme le Beluga d’Airbus.

Reste que le nouvel impératif mondial de lutte contre le changement climatique pourrait bien également relancer le dirigeable pour le transport de passagers. Le gouvernement chinois travaille d’ailleurs sur un projet de desserte aérienne interurbaine par dirigeable modulable, conçu pour intégrer des bus dans les appareils, ce qui permettrait de décongestionner le réseau routier chinois, tout en réduisant sensiblement les émissions de CO2 par passager transporté. Il faut en outre bien comprendre qu’à l’avenir les priorités du transport aérien vont profondément évoluer, lutte contre le changement climatique oblige. La sobriété énergétique, la faible empreinte carbone, la sécurité, le niveau sonore réduit et le faible coût d’exploitation vont devenir des facteurs de compétitivité plus importants que la vitesse pure, du moins pour le transport aérien intracontinental.

En outre, si vous décomptez les temps d’accès et d’embarquement à l’aéroport, au départ et à l’arrivée, la différence de temps parcours total, entre un dirigeable rapide (300 km/heure) et un avion, pour un passager qui devra effectuer un vol de moins de 1000 km, risque d’être au final assez faible et ne sera probablement pas considéré comme rédhibitoire, surtout si le prix du billet est deux fois moins élevé et le confort de vol (espaces de travail et de loisirs plus importants), bien plus grand.

Il est donc possible, sinon probable, que ce renouveau du dirigeable ne se cantonne pas au fret, à l’exploration ou au tourisme de luxe, et parvienne également à trouver sa place pour les transports de passagers, et à devenir ainsi le « maillon manquant » entre le train à grande vitesse (qui nécessite de coûteuses infrastructures) et l’avion de ligne, qu’il sera difficile de rendre rapidement propre et silencieux, et qui aura toujours besoin d’aéroports, par nature distants des centres urbains. Au niveau mondial, si l’on table sur l’hypothèse d’un fort développement du dirigeable nouvelle génération (à la fois pour le transport de passagers et de fret), il serait possible d’éviter d’ici 2040 l’émission de 300 millions de tonnes de CO2  par an, ce qui représente l’équivalent actuel des émissions françaises annuelles, une contribution qui serait la bienvenue pour accélérer encore la fin de l’économie-carbone.

En France, le transport de passagers par dirigeable pourrait en outre être favorisé par la loi « Climat et Résilience » qui vient d'être adoptée par le Parlement, et qui prévoit une suppression des liaisons aériennes intérieures, dès lors qu’il existe une alternative ferroviaire d’une durée de moins de deux heures et demi.

Dans cette nouvelle aventure technologique et industrielle, qui se joue à l’échelle de la planète, nous devons nous réjouir qu’un des principaux projets de dirigeable de nouvelle génération soit français et il est heureux que l’Etat et les collectivités territoriales se soient engagés pour soutenir ce pari, certes risqué, mais riche de promesses et porteur de nombreuses retombées technologiques très positives pour notre compétitivité, notre économie et notre société…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.co

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