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Edito : Décodage du génome humain : l'aventure ne fait que commencer

Il y a quelques jours les deux équipes en compétition pour le séquençage complet du génome humain, le Projet Génome humain (HGP), qui regroupe des organismes publics aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, en France, en Allemagne, au Japon et la firme privée Celera Genomics annonçaient que leur tâche était terminée et publiaient leurs travaux dans Nature pour le HGP htpp://www.nature.com/genomics/human et dans Science pour Celera( http://www.sciencemag.org/5507.1304.html) HGP et Celera Genomics avaient déjà annoncé conjointement en juin dernier que le séquençage du génome humain était quasiment achevé. Les quelque 3,5 milliards de paires de ''brins'' qui composent l'ADN humain, molécule à structure en double hélice, sont le constituant de base des gènes humains. Mais il faudra sans doute encore deux ans avant d'avoir cette carte génétique complète. Ce ne sera là qu'un début car il faudra ensuite comprendre toute la "grammaire" et le sens des mots et des phrases ainsi traduits. Cette fois, les deux équipes ont donné chacune une évaluation comparable du nombre de gènes : entre 26.000 et 39.000 pour Celera et entre 30.000 et 40.000 pour HGP. Mais les deux pensent qu'il est raisonnable de placer ce chiffre un peu en deçà de 35.000. Alors que certains évaluaient jusqu'ici le nombre de gènes à plus de 100.000, cette nouvelle évaluation est d'autant plus surprenante lorsqu'on la compare à d'autres espèces. Une petite plante appelée Arabidopsis thaliana contient 25.000 gènes, le petit ver C. elegans en possède 19.000 et la mouche drosophile 13.600. Quant à la souris, elle contient environ 30000 gènes, c'est-à-dire autant que nous ! Mais alors, pourquoi l'Homme est-il plus complexe qu'une mouche ou une souris ? Ce mystère reste fascinant, mais les scientifiques estiment que ce nombre de gènes n'est qu'un point de départ. La plupart des gènes agissent en donnant instruction à l'organisme de fabriquer certaines protéines et on pense que les gènes humains ont plus tendance que la drosophile ou le ver à faire produire plusieurs protéines à la fois. Or, HGP et Celera ont découvert que seulement 1,5 à 1,5 % de l'ADN transporte des ordres de fabrication de protéines, et non pas entre 3 et 5 % comme on le croyait auparavant. La complexité de notre génome vient également du fait que le moment où s'active un gène ou encore sa zone d'action peut jouer une grande différence dans les effets obtenus sur l'organisme. Tant HGP que Celera assurent que leurs travaux ont déjà aidé la communauté scientifique à découvrir des gènes qui entraînent des maladies. Le projet HGP en a ainsi recensé 30 et l'institut Celera annonce en avoir découvert également. Un des grands enseignements de cette extraordinaire aventure scientifique est que la complexité de l'organisme humain ne peut s'expliquer par la quantité supérieure de gènes mais par l'organisation de notre génome et aussi par l'histoire singulière de notre espèce, en particulier la croissance du cortex cérébral et le développement du larynx qui permettent le langage et ses conséquences sur le plan comportemental. A cet égard, il faut relire l'extraordinaire essai de Jean Piaget, "Le comportement, moteur de l'évolution" écrit il y a 25 ans. L'analyse de notre patrimoine génétique montre que celui-ci recèle de vastes étendues presque désertiques, avec peu ou pas de gènes, des gènes essentiellement regroupés en lots, et des traces d'échange de gènes avec des bactéries. Le génome humain comporte un grand nombre de variations, dont plus de 2 millions identifiées par Celera ont une importance pour la recherche d'une médecine personnalisée. Ces changements subtils, désignés sous le nom de "polymorphismes mononucléotidiques" ou "SPN", distinguent les individus. Elles jouent un rôle dans la prédisposition à toutes sortes de maladies, cancer, diabète, maladie d'Alzheimer, et la façon dont notre corps réagit à un médicament. Cela dit, de nombreuses questions restent en suspens. On ignore par exemple la fonction d'environ 40 % des gènes. Malgré ces lacunes dans nos connaissances, les perspectives thérapeutiques ouvertes sont immenses et les chercheurs s'attellent déjà à d'autres chantiers aussi ambitieux, comme l'étude des millions de variations subtiles du code génétique, surnommées "snips" (SNP), pour y repérer la toute petite proportion, moins d'1 %, qui permettra de déboucher sur une médecine et des médicaments personnalisés. Ces variants du patrimoine génétique jouent un rôle dans la prédisposition à toutes sortes de maladies, comme le diabète ou la maladie d'Alzheimer, et "sur la façon dont notre corps réagit à un médicament", explique Aravinda Chakravarti (Baltimore, Etats-Unis) dans la revue britannique Nature. Autre défi, l'étude des protéines, une discipline baptisée "protéomique", pour repérer des cibles thérapeutiques prometteuses parmi les centaines de milliers de protéines dont dispose l'homme. A terme, mais pas avant au moins une dizaine d'années, on pourra commencer à envisager la mise au point de médicaments sur mesure, spécifiquement adaptés à l'identité génétique d'un patient malade, et d'une efficacité sans commune mesure avec nos médicaments actuels. Les prédispositions génétiques pourront également être détectées très tôt, permettant de combattre ces maladies dont on sait qu'au moins 1.500 d'entre elles naissent de mutations d'un ou plusieurs gènes. La connaissance du génome pourrait aussi permettre d'améliorer la prise en compte de la dépendance aux drogues. "L'un des gros problèmes actuels avec la drogue, c'est la très grande variabilité des potentiels de dépendance d'un individu à l'autre. La découverte des gènes de vulnérabilité devrait logiquement donner lieu à des conseils génétiques : « vous êtes vulnérable, évitez toute drogue », commente le neurobiologiste Jean-Pol Tassin (Collège de France). Mais ce séquençage complet du génome humain modifie également fondamentalement la manière dont l'homme se situe lui-même dans le grand arbre de la vie et au sein de sa propre espèce. C'est ainsi que la ressemblance génétique entre primates -la séquence d'ADN de notre cousin le chimpanzé est à 99 % identique à la nôtre- est elle aussi surprenante. "Entre l'homme et le chimpanzé, relève Craig Venter, le PDG de Celera Genomics, le nombre des gènes, leurs fonctions et leurs structures, l'organisation des chromosomes et du génome, les types de cellules et les anatomies du système nerveux sont pratiquement impossibles à distinguer". Autre constat fondamental et irréfutable : avec le décryptage du génome, c'est tout le fondement biologique du concept de race qui disparaît. Chaque individu sur Terre partage en effet 99,99 % du même code génétique avec le reste des humains. Des individus de "races" différentes peuvent présenter plus de similarités génétiques entre eux que les individus d'un même groupe ethnique. Les variations individuelles ne représentent que 0,01 %, soit à peine 1.250 "lettres" différentes dans la séquence toute entière. Mais à peine le séquençage du génome humain est-il terminé que déjà les chercheurs sont passés à un autre défi : l'étude et le recensement des protéines, la "protéomique", qui devrait repérer des cibles thérapeutiques prometteuses parmi les centaines de milliers de protéines dont dispose l'homme. Mais avec ce nouveau défi, on change d'ordre de grandeur en complexité car il nécessitera une puissance de calcul 10000 fois plus grande que celle utilisée pour décoder notre génome. On peut cependant parier que bien avant 2053, pour le 100ème anniversaire de la découverte de l'ADN par Watson et Crick, cet inventaire de tous les composants du vivant et de leurs fonctions sera achevé. Après avoir dominé la matière et l'énergie, l'espèce humaine entrera alors dans une nouvelle ère, celle de la construction du vivant sur mesure. Face à cette vertigineuse perspective, il nous faut prendre la mesure de notre immense responsabilité et apprendre à utiliser ce pouvoir pour améliorer le sort de tous les hommes, tout en respectant leur dignité et leur singularité. Il y va de l'avenir de notre civilisation.

René TREGOUET

P.S. Vous avez été plusieurs centaines parmi les abonnés à @RT Flash à me faire parvenir votre candidature pour participer gratuitement, mercredi prochain, 21 février, au Sénat, au grand colloque sur l'Effet de Serre organisé par le Groupe de Prospective du Sénat que j'ai l'honneur de présider. Nous ne nous attendions pas à un tel afflux de candidatures. Devant une telle demande, le cabinet CRC qui a en charge l'organisation matérielle de ce colloque a accepté de porter à 30 le nombre de places gratuites offertes aux abonnés d'@RT Flash au lieu des 10 initialement prévues. Je tiens à remercier le Cabinet CRC d'avoir fait spontanément un tel geste envers notre lettre @RT Flash. J'ai, par ailleurs, tenu à envoyer à chacun d'entre vous, qui n'avait pu être retenu, un message personnel pour lui annoncer que nous n'avions pu répondre favorablement à son attente. Toutefois, si dans le nombre, certains parmi vous n'avaient pas reçu ce message, je vous demande de bien vouloir m'excuser. Devant une telle mobilisation des lecteurs d'@RT Flash, et en accord avec le Cabinet CRC, je peux vous annoncer dès maintenant que pour le prochain colloque du Groupe de Prospective du Sénat qui se tiendra le 27 juin 2001 plusieurs places gratuites seront encore offertes à nos lecteurs. Ce colloque traitera d'un sujet qui préoccupe, je le sais, beaucoup de lecteurs d'@RT Flash puisque ensemble nous essaierons de voir avec les meilleurs spécialistes du monde quel est l'Avenir de l'Homme face aux robots. Hugo de Garis, qui a longuement travaillé sur ce sujet au Japon et qui émet beaucoup d'idées décapantes dans ce domaine, nous a promis d'être des nôtres ce jour là. Cela promet des débats très intéressants. Toutefois, il est inutile que vous vous inscriviez dès maintenant pour retenir votre place pour ce colloque du 27 juin. Comme cette fois-ci, nous ferons un appel à candidatures dans la quinzaine qui précèdera le colloque. Bien Cordialement.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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