RTFlash

Décarbonice : des torpilles de glace pour neutraliser les émissions de CO2 des bateaux

Et si un navire pouvait devenir neutre en carbone tout en continuant à utiliser un moteur thermique et des énergies fossiles ? Le tout en cryogénisant ses émissions de CO2 ? C’est le pari, un peu fou - en tout cas sur le papier -, que s’est lancé l’équipe danoise de Decarbonice, regroupant des scientifiques et dirigée par Henrik Madsen, ancien patron de la société de classification DNV-GL.

Et rejoint par d’imposants partenaires comme les armements Sovcomflot, Teekay, BWGroup, Knutsen, le minier Vale ou encore le chantier naval coréen DSME. « Ce qui se passe actuellement avec l’entrée en vigueur du Sulfur Cap est très intéressant. On voit les industriels opter soit pour des solutions pré-combustion, c’est-à-dire des combustibles comme le GNL ou les solutions désulfurées, soit post-combustion avec les scrubbers.

Pour le CO2, actuellement on n’imagine que des solutions pré-combustion, c’est-à-dire de l’électricité ou de l’hydrogène. Ce que nous voulons proposer c’est une solution post-combustion, c’est-à-dire utilisable avec des moteurs actuels et pourtant compatible avec les objectifs de réduction de carbone », déclare Henrik Madsen, rencontré récemment à Copenhague par Mer et Marine.

Pour cela, son équipe a lancé ce projet « basé sur une technologie de cryogénisation déjà bien maîtrisée à terre, sans aucun composant chimique et très facile à mariniser ». Les émissions des navires sont capturées puis refroidies et transformées en glace sèche. La température de refroidissement va dépendre du combustible : pour les émissions de GNL (un peu moins concentrées en CO2) ce sera -120 degrés, pour le fuel lourd -110.

Les autres sortes de combustibles (éthanol, méthanol, GPL) se situent entre les deux. La glace sèche va être moulée dans un « véhicule » d’environ 2 tonnes taillé en forme de torpille. Chaque tonne de fuel ou GNL consommée produit environ trois tonnes de cette glace. L’idée est ensuite de larguer ces véhicules de glace sèche automatiquement depuis le navire. Comme la glace sèche est plus lourde que l’eau, le véhicule va descendre rapidement vers le fond à la vitesse de 20 mètres par seconde.

Il atteint donc la profondeur de 500 mètres, minimale pour une telle opération, en moins de 30 secondes. Sa forme, qui assure son hydrodynamique durant la descente, va ensuite lui permettre de pénétrer dans les sédiments des fonds marins. Une fois pénétrée dans les sédiments, la glace sèche va commencer à fondre en surface et le CO2 liquide va alors réagir avec l’eau pour former un hydrate de CO2.

Ce dernier va à son tour réagir avec les sédiments pour former une coquille stable autour du restant du CO2 liquide. Un processus comparable avec la production de béton. L’hydrate de CO2 est stable dans ces conditions, au milieu des sédiments, où la pression est élevée et la température très basse.

Ce processus ne relargue pas d’acide et pourrait également servir à « emprisonner » certains dioxydes d’azote. En revanche, il ne fonctionne pas sur le soufre. « Plus de 85 % des océans ont une profondeur de plus de 500 mètres. Et 70 % d’entre eux sont des plaines abyssales dont le sol est sédimentaire. Cela donne donc une très large surface où nos véhicules de glace peuvent être largués, puis pénétrer et être complètement incorporés dans les fonds où le CO2 sera stocké de manière permanente sous forme d’hydrate.

Bien sûr, le mécanisme ne peut pas fonctionner partout : il faut éviter les rifts, les volcans sous-marins, les fonds rocheux, les câbles, les zones protégées. Alors pour cela, le navire devra être équipé d’un sondeur très performant relié au système de cryogénisation et qui pourra le stopper quand nécessaire. Quand on ne peut pas larguer le véhicule, celui-ci n’est pas produit ». Selon Henrik Madsen, sur un voyage océanique, cela permettrait une baisse de 70 à 80 % des émissions de CO2.

« Avec un système qui consommera environ 10 % d’énergie supplémentaire pour une propulsion fuel et 7 % pour une motorisation GNL ». L’équipe de Decarbonice est encore au stade du dimensionnement du projet et n’a pas encore prévu l’installation d’un modèle test. Mais les choses avancent vite, du moins d’un point de vue industriel. « Avec nos partenaires, nous allons commencer par une étude de faisabilité et ensuite nous allons nous lancer dans la partie juridique ».

Parce qu’évidemment, un tel système va nécessiter la modification de plusieurs conventions internationales, au premier rang desquels celles de Montego Bay, Marpol, le protocole de Londres sur la séquestration en milieu marin… « Nous estimons qu’ensuite, si nous avons les autorisations, nous pourrons être capables d’installer le système, entièrement automatisé, dans les trois ans suivants ». Henrik Madsen n’a pas, en revanche, encore une idée du coût du système et de son installation.

« Nous savons que notre système de mélange avec les sédiments permet un stockage sûr et permanent, contrairement à un simple dépôt sur le fond qui va finalement relarguer le CO2 dans l’eau puis dans l’atmosphère. Nous estimons que cette solution, qui pourrait être rétrofitée sur la majorité des navires océaniques, permettrait de réduire de 70 à 80 % le milliard de tonnes de gaz à effet de serre émis chaque année par le shipping ».
Article rédigé par Georges Simmonds pour RT Flash 

Mer et Marine

Noter cet article :

 

Vous serez certainement intéressé par ces articles :

Recommander cet article :

back-to-top