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Edito : Comment les énergies renouvelables vont nous permettre d'atteindre le « zéro carbone »

Selon l'Agence internationale de l'énergie (AIE), la production mondiale d'électricité augmentera de 45 % d’ici 2040, pour atteindre environ 38 700 TWH par an, contre 26 000 TWH en 2018. Parallèlement, la part de la production électrique dans la production totale d’énergie devrait passer de 18 % aujourd’hui à au moins 25 % en 2040. Autre évolution significative, et lourde de conséquences pour l’ensemble de la chaîne de production et de distribution d’énergie, la part des énergies renouvelables - éolien et solaire principalement - dans la production électrique, qui est actuellement d’environ 18 %, devrait dépasser, au niveau mondial, les 50 % dans 20 ans.

En Europe, sur l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne, les énergies renouvelables ont déjà assuré en 2020 40 % de la production d’électricité, contre 34 % pour les combustibles fossiles, et ces énergies propres devraient représenter 70 % de la production électrique européenne en 2040. Quant à la France, sa production d’électricité d’origine renouvelable, qui représente actuellement 23 % de sa consommation d’électricité, devrait en représenter 40 % en 2030 et plus de la moitié en 2040, ce qui signifie qu’à cet horizon, à consommation stabilisée, et dans l’hypothèse d’une réduction de la part du nucléaire (qui passerait de 75 % à moins de la moitié de la production électrique nationale), c’est environ 200 TWH supplémentaires d’électricités renouvelables, (essentiellement solaire et éolienne) qui seront produits en France (hors hydraulique), soit plus de six fois la production renouvelable actuelle (30 TWH en 2020).

Mais pour parvenir à produire plus de la moitié de notre électricité (et sans doute la totalité en 2050) à partir d’énergies renouvelables, par nature intermittentes et difficilement prévisibles, les questions du stockage, de la transformation de cette énergie et de l’équilibrage permanent du réseau électrique, vont devenir absolument fondamentales. Aujourd’hui, les principales technologies utilisées pour stocker l’énergie sont (mais la liste n’est pas exhaustive), le pompage-turbinage, l’hydrogène, les batteries géantes, le stockage par air comprimé, et, dernière venue mais appelée à jouer un rôle central, le « Power-To-Grid », qui intègrent à grande échelle les véhicules électriques dans la chaîne de distribution et de stockage de l’énergie.

Toutes ces technologies vont devoir être mises à contribution, de manière combinée et intelligente, comme le souligne notamment une étude très intéressante, réalisée par des chercheurs du Cired et de l’Institut I4CE. Ces chercheurs ont passé en revue 315 scénarios de coûts des technologies d’énergie renouvelable projetés en 2050, afin d’essayer de déterminer le mix national électrique optimal, c’est-à-dire celui susceptible de satisfaire la demande d’énergie pour chaque heure de l’année, sans importations ou exportations d’électricité, et sans flexibilité de la demande en réponse aux inévitables fluctuations de la production massive des énergies intermittentes (éolien et solaire) (Voir étude).

Dans cette étude, le scénario central repose sur une hypothèse de mix énergétique constitué à 46 % d’éolien terrestre, 31 % de photovoltaïque, 11 % d’éolien marin, 3 % de biogaz, 3 % d’hydraulique de lac et 6 % d’hydraulique de rivière. Dans ce scénario, le coût de production électrique s’élève à 52 euros par mégawattheure, un coût proche de celui de notre modèle actuel. Ce scénario repose principalement sur trois moyens de stockage d’énergie : les stations de transfert d’énergie par pompage (STEP), le « Power-to-gas », et les batteries géantes. Mais le point le plus intéressant de ce travail est qu’il est possible de compenser l’intermittence intrinsèque de la production d’électricité éolienne et photovoltaïque par des dispositifs et technologies de stockage dont la capacité n’excède pas 15 % des capacités totales de production, ce qui reste économiquement acceptable.

Dans l’état actuel des technologies et de leurs coûts de fabrication et d’exploitation, les STEP, qui exploitent les lois de la thermodynamique et le potentiel d’énergie entre deux bassins situés à des niveaux différents, restent incontestablement les moyens de stockage massif d’électricité les plus efficaces et les moins onéreux. Mais l’implantation de ces STEP est toutefois limitée par des contraintes géographiques et géologiques, ainsi que par leur coût initial de construction et leur impact sur l’environnement. Pourtant, dans les pays qui ont la chance de disposer de régions montagneuses, les STEP, qui existent depuis plus d’un siècle, ont trouvé depuis quelques années, avec la montée en puissance des énergies renouvelables, un nouveau souffle, comme moyens de stockage et de régulation des flux électriques.

C’est par exemple le cas du complexe hydroélectrique d’Émosson, à cheval sur la frontière franco-suisse, qui se compose de deux centrales, l’une Suisse et l’autre Française, qui peuvent fournir une puissance cumulée de 390 MW. Cet ensemble, depuis 12 ans, est en train  d’être agrandi et modernisé et devrait, à la fin de l’année, disposer d’une capacité de stockage accrue de 18 GWh, pour une puissance de 900 MW. Au terme de ces travaux titanesques, cette STEP pourra ainsi injecter sur le réseau une puissance équivalente à un réacteur nucléaire (900 MW), mobilisable en quelques minutes. Grâce à ses 25 millions de m³ contenus dans le lac supérieur, et son dénivelé de 425 mètres, cette station géante pourra fournir du courant pendant 20 heures d’affilée et sera particulièrement adaptée au stockage de l’électricité excédentaire provenant des éoliennes et panneaux solaires photovoltaïques. Notons également qu’en dépit de son coût total de deux milliards d’euros, cette installation hors normes de 18 GWh aurait coûté deux fois et demie plus chère, si c'était un système composé de batteries géantes qui avait été utilisé.

Notre pays n’exploite malheureusement que 7 stations de pompage-turbinage, représentant une puissance totale de moins de 6 GWH, soit environ le quart de la puissance hydroélectrique française installée. Mais dans le cadre de la loi de programmation de l’énergie, et de la feuille de route concernant le déploiement des énergies propres et la diminution de nos émissions de CO2, EDF et RTE ont décidé de développer fortement l’ensemble des moyens de stockage de l’électricité, à commencer par les STEP. En octobre 2019, EDF a ainsi terminé l’extension de la centrale de La Coche, une centrale hydroélectrique située au Grand-Aigueblanche, près de Moûtiers (Savoie).

Cette centrale a vu sa production augmentée de 20 %, passant de 550 à 650 GWh par an. EDF a également achevé, en octobre 2020 la modernisation de la centrale de Romanche-Gavet, en Isère, qui dispose à présent d’une puissance de 97 MW et peut produire, 0,56 TWh par an. Cet effort nécessaire en faveur des STEP va se poursuivre et la Programmation Pluriannuelle de l’Energie (PPE) fixe pour objectif une augmentation des capacités de production des STEP allant jusqu’à 2 GW d’ici 2030, soit un tiers de plus qu’aujourd’hui. Plus globalement, EDF compte investir 8 milliards d’euros dans différentes solutions de stockage, notamment l’installation de 10 GW de nouvelles capacités de stockage.

Mais dans ce nouveau paysage énergétique, les batteries géantes de très grande capacité font, elles aussi, des progrès spectaculaires, en termes de rapport coût-efficacité (mais resteront néanmoins pour de longues années plus coûteuses à puissance disponible égale que les STEP). Le groupe LS Power est par exemple actuellement en train de déployer en Californie, au sud de San Diego, le plus grand système de stockage par batteries lithium-ion au monde, qui va pulvériser l’actuel record en la matière (l'installation de Tesla en Australie de 193 MWh de capacité de stockage). Baptisée « Gateway », cette installation de 250 MW va pouvoir stocker pendant plusieurs heures jusqu’à 1 000 MWh d’électricité. Cet énorme complexe de stockage par batteries pourra être rechargé lors des pics de production solaire et des périodes de moindre consommation. D’ici 25 ans, la Californie devra se doter d’une quinzaine de complexes similaires, de façon à pouvoir disposer à terme d’au moins 15 000 MW de capacités de stockage par batteries, un seuil nécessaire pour atteindre son objectif d’un mix électrique entièrement issu des énergies renouvelables en 2045.

Une autre technologie de stockage pourrait bien venir compléter cette panoplie dans les années à venir : le stockage par air liquide. Le chantier de la plus grosse batterie à air liquide de la planète a débuté il y a quelques mois au Trafford Energy Park, près de Manchester en Angleterre. Ce projet, piloté par Highview Power, devrait être opérationnel en 2022 et permettra l’alimentation en énergie de 200 000 habitations pendant cinq heures par jour. Selon Highview Power, sa batterie à air liquide pourra stocker environ 250 MWh d’énergie, ce qui représente le double de la capacité de stockage de la plus grande batterie chimique du monde. Cette mégabatterie s’inscrit dans le cadre de la nouvelle feuille de route que vient d’annoncer le Premier Ministre anglais, et qui vise à produire d’ici seulement dix ans la totalité de l’électricité britannique à partir des énergies renouvelables, principalement de l’éolien marin en ce qui concerne la Grande-Bretagne.

Autre idée qui fait son chemin : intégrer stockage et production d’énergie dans un même outil. Dans cette perspective, Siemens Gamesa et Siemens Energy ont annoncé, il y a quelques semaines, un partenariat pour fabriquer une « éolienne à hydrogène » qui devrait intégrer un électrolyseur directement dans la turbine pour transformer l'énergie éolienne en hydrogène. Aujourd’hui, il faut le rappeler, la grande majorité de l’hydrogène produite (par vaporeformage ou électrolyse) n’est pas « verte », car elle nécessite de grandes quantités d’énergies fossiles. Ces nouvelles éoliennes équipées d’électrolyseurs feront d’une pierre, deux coups : fournir une solution compétitive pour produire de d'hydrogène vert et permettre à ces éoliennes, les plus puissantes du monde (jusqu’à 14MW), de fonctionner en partie déconnectées du réseau, ce qui augmentera leur capacité de régulation et de « lissage » de la production d’énergie.

Le « Power-to-Gas », que j'ai souvent évoqué dans cette lettre, représente également une solution d'avenir permettant de transformer l'électricité issue d'énergies renouvelables en hydrogène, qui peut être utilisé directement comme carburant, ou stocké et injecté dans les réseaux de gaz naturel. À court terme, le réseau gazier pourrait accueillir de 2 % à 6 % d’hydrogène en volume. Mais les grands opérateurs gaziers estiment, après plusieurs retours d’expérimentations, qu’il est possible de monter jusqu’à 20 % d’hydrogène dans les réseaux de gaz, moyennant leur mise aux normes. Le potentiel de cette technologie est énorme, puisque l'ADEME l’évalue pour la France à environ 30 TWh par an, à l’horizon 2035. Selon l’Ademe, le Power-to-gas serait en outre en mesure d’assurer 30 % (140 TWh) de la production de gaz vert en 2050, sachant qu’à cette échéance, il serait envisageable de produire jusqu’à 460 térawattheures (TWh) de gaz renouvelable injectable en France métropolitaine – un volume largement suffisant pour répondre à une demande totale de gaz prévue d’ici 2050.

Il faut également souligner que le potentiel du Power-to-Gas pour stocker sous forme chimique l’électricité excédentaire provenant des pics de production des énergies renouvelables va encore être augmenté par le développement d’une nouvelle technologie appelée à un grand avenir, la méthanisation par induction magnétique. Cette remarquable innovation, mise au point par le Laboratoire de physique et chimie des nano-objets de Toulouse, consiste à convertir par catalyse, à l’aide de nanoparticules magnétiques, du CO2 en méthane par hydrogénation. Ce procédé révolutionnaire, dont l’efficacité énergétique est très intéressante (de l’ordre de 70 % pour les grandes installations), est particulièrement complémentaire à la technologie Power-to-gas pour valoriser le surplus d’électricité provenant des énergies renouvelables. Cette électricité, comme nous l’avons vu, est d’abord transformée en hydrogène par électrolyse de l’eau. Mais elle peut ensuite être convertie en méthane grâce à une réaction de méthanisation.

Parallèlement au développement combiné et coordonné de ces différents moyens de stockage, qui permettent une bonne complémentarité d’ensemble, il existe à présent des solutions technologiques pour assurer la stabilité du système électrique, comme vient de le souligner le récent rapport réalisé conjointement par l'Agence internationale de l'énergie (AIE) et le gestionnaire du réseau de transport d'électricité français (RTE), concernant la faisabilité technique pour un système électrique incluant une forte proportion d'énergies renouvelables à l'horizon 2050. Selon cette étude, il est techniquement possible de concevoir et de réaliser un réseau électrique 100 % renouvelable, mais à condition d’intégrer au fonctionnement et à la gestion de ce réseau plusieurs avancées technologiques.

En premier lieu, il faut développer de nouveaux services de fréquences, appelés « réglage rapide de fréquence » ou « inertie synthétique/virtuelle ». Il s’agit de convertisseurs spécifiques qui ont pour objectif d’ajuster la production renouvelable très rapidement, pour répondre à un écart du signal de fréquence. Ce rapport préconise également le large déploiement de compensateurs synchrones, dont les moteurs fournissent de l'inertie et de la puissance de court-circuit, et contribuent donc à la stabilité du système. Enfin, ce rapport recommande d’avoir recours aux contrôles « grid-forming » pour les convertisseurs de puissance, afin de permettre aux centrales éoliennes et photovoltaïques de générer leur propre onde de tension. Mais cette dernière technologie n’a jamais été déployée à très grande échelle et doit encore faire l’objet d’études de faisabilité. L’ensemble de ces avancées techniques, combinées aux différents moyens de stockage massif que j’ai évoqué, devaient permettre de transformer nos réseaux électriques de telle manière qu’ils puissent fonctionner efficacement, en toute sécurité, à partir de sources renouvelables fluctuantes.

Mais une autre technologie, dont le potentiel s’avère considérable, pourrait bien venir bouleverser et enrichir ce paysage du stockage intelligent de l’énergie. Je veux parler des batteries équipant les voitures électriques, qui peuvent être utilisées de trois manières ingénieuses pour le stockage massif de l’énergie. D’abord, grâce à un système Vehicle-to-Grid (V2G), dans lequel les véhicules électriques deviennent autant de « mini-centrales » de stockage, ce qui permet « d’éponger » les pics de production électrique, et de les restituer dans le réseau en cas de forte demande. En second lieu, lorsque ces batteries arrivent en fin de vie, elles peuvent toujours être réutilisées pour le stockage stationnaire de l’énergie. Enfin, le V2G peut également devenir une source d’énergie domestique complémentaire : dans cette configuration, le propriétaire d’un véhicule électrique peut alors utiliser l’énergie stockée dans la batterie pour alimenter son domicile.

A titre d’exemple, le projet pilote Parker au Danemark a permis de montrer la capacité des véhicules électriques à venir alimenter ponctuellement le réseau électrique via le V2G. En se connectant au réseau pendant plus de 12 000 heures, la flotte des 10 véhicules électriques de Frederiksberg Forsyning a permis de lisser les fluctuations d’énergie sur le réseau et de maintenir une bonne régularité de sa fréquence. Renault pour sa part a démarré en mars 2019 les tests de son écosystème V2G, au Portugal et aux Pays-Bas. Dans cette expérimentation, qui va être dupliquée en France, quinze Zoé ont été équipées d’un système de charge bidirectionnelle qui leur permet d’être alternativement outil de stockage ou moyen de production d’énergie.

Mitsubishi va, quant à lui, prochainement proposer une solution énergétique clé en main autour de son SUV hybride Outlander Phev, en Allemagne et au Japon. Ce système intégré sera composé de véhicules équipés de chargeurs bidirectionnels, d’une batterie domestique, de panneaux photovoltaïques à installer sur sa maison et d’un outil numérique de gestion de l’énergie.

Il faut également signaler, dans la région Occitanie, le projet « Flexitanie », dédié au V2G, qui est lancé depuis l'automne 2020. Il vise également à stocker dans les batteries des voitures l'électricité excédentaire issue des énergies renouvelables, puis à la réinjecter dans le réseau, pour alimenter, selon les cas, un quartier, un bâtiment précis, ou directement le réseau électrique. Ce projet permettra d'alimenter une flotte d'une centaine de berlines compactes Nissan Leaf réparties entre une dizaine d'industriels de la région, soit l'équivalent d'une centrale de production de 1 MW.

Selon les dernières prévisions, et si l’on tient compte du fort développement de la mobilité électrique enregistrée en 2020, il pourrait y avoir un million de voitures électriques en circulation dans notre pays dès 2025, 5 millions en 2030, et 15 millions en 2040, soit une voiture sur trois. Dans une telle perspective, le V2G pourrait devenir dès le milieu de cette décennie un nouveau et puissant moyen de stockage et de régulation de notre réseau (mais aussi une micro-source d’alimentation domestique d’énergie électrique), qui va devoir intégrer une part croissante d’électricité provenant de sources renouvelables et intermittentes.

Reste que, pour pouvoir intégrer et combiner en temps réel de manière intelligente, rentable et résiliente, l’ensemble de ces nouveaux outils de stockage et de régulation de nos réseaux d’énergie, il faudra recourir à une puissance de calcul sans doute cent fois plus importante que celle utilisée aujourd’hui pour la gestion de nos infrastructures d’énergie. Pour relever ce défi, il faudra certainement recourir à de nouveaux outils d’IA capables d’effectuer très rapidement des modélisations et des prévisions d’une grande fiabilité.

C’est pourquoi, de la même façon qu’on ne peut plus séparer les problématiques liées à l’énergie domestique et à l’énergie de la mobilité, qui sont appelées à converger, on ne peut pas non plus dissocier la transition urgente de notre système énergétique vers le « zéro carbone » de la montée en puissance des nouveaux outils numériques, 5G, IA, ordinateur quantique, qui seront demain plus que jamais indispensables au contrôle de ce système énergétique, qui sera, c’est le juste prix à payer pour contrer le réchauffement climatique et protéger l’environnement, à la fois plus décentralisé, très diversifié, entièrement connecté à l’Internet des objets et d’une extrême complexité de gestion.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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