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Edito : Le cerveau et la conscience : vers une nouvelle approche globale

Mieux comprendre notre cerveau constitue l'un des défis majeurs du XXIème siècle. Les enjeux médicaux et sociaux sont en effet considérables, surtout dans le contexte démographique de nos sociétés vieillissantes : outre les bénéfices que l'on peut en attendre dans le domaine de la santé et des neurosciences (progrès en neurochirurgie, neurologie et psychiatrie...), la compréhension du cerveau permet de mieux connaître la façon dont les individus interagissent entre eux ou avec leur environnement.

C'est en 1860 que le Français P. Broca découvrit que le cerveau fonctionnait par région et que l'hémisphère gauche et l'hémisphère droit n'étaient pas identiques et avaient des rôles différents. Le cerveau fait aujourd'hui l'objet de nombreuses recherches et est loin d'avoir livré tous ses secrets. Dans cette quête du cerveau humain, l'imagerie neurofonctionnelle tient aujourd'hui une place unique. Grâce à elle, il est possible d'obtenir, in vivo et in situ, une somme d'informations sur le fonctionnement des organes, et ce, de manière non invasive, c'est-à-dire sans chirurgie et sans créer de traumatisme. Elle permet d'étudier le fonctionnement cérébral sans interférer avec son fonctionnement normal.

Grâce aux fantastiques progrès de l'imagerie fonctionnelle il devient à présent possible de cartographier de plus en plus précisément les aires cérébrales qui sous-tendent les fonctions cognitives. On peut également comprendre le cheminement et le mode de traitement de l'information dans le cerveau, en visualisant l'ordre d'activation des régions cérébrales dans le traitement d'une information et en montrant les faisceaux de connexions qui permettent la transmission de l'activation entre les différentes régions cérébrales.

Enfin, on commence à élucider le « code neural », c'est-à-dire à comprendre comment l'information codée dans le cerveau. Ce codage, comme le code génétique pour l'ADN, doit reposer sur une organisation très structurée dans l'espace des assemblées de neurones. Cette organisation est en même temps d'une prodigieuse souplesse pour permettre l'adaptation à l'environnement et l'apprentissage, au cours du développement et ce tout au long de la vie.

On le voit, nous sommes loin de la conception du cerveau de Selon Ramon y Cajal, père fondateur des neurosciences modernes et Prix Nobel de médecine en 1906, pour qui le cerveau adulte était un organe immuable, constitué de neurones voués à une mort inéluctable car incapables de se diviser pour se multiplier. Puis, dans les années 1980, c'est la révolution ! On découvre que le cerveau adulte a la capacité de réorganiser son réseau de neurones pour tracer un chemin privilégié de circulation de l'information. Cette plasticité, que l'on croyait réservée aux jeunes cerveaux immatures, opère dans les synapses.

Ces « ponts » de connexion entre les neurones ont en effet la capacité de se renforcer ou au contraire de se dégrader, ainsi que de former de nouvelles connexions. On sait depuis 1984 que de nouveaux neurones naissent dans le cerveau adulte des mammifères. Plus récemment, on a observé qu'ils s'intègrent aux réseaux ultra-complexes formés par leurs pairs ! Les cellules gliales, autres cellules nerveuses du cerveau, dix fois plus nombreuses que les neurones, font parler d'elles en révélant leurs étonnantes capacités. Il s'agit en particulier de certaines d'entre elles, qui ont de nombreux « prolongements », les bien nommés astrocytes, à la forme étoilée. Ceux-ci sont eux aussi organisés en réseau et participent de manière capitale, mais à une autre échelle temporelle beaucoup plus longue, à la communication dans les synapses.

Sir John Eccles était l'un des plus grands neurologues du XXe siècle qui a contribué de façon décisive à l'accroissement de nos connaissances concernant notre cerveau et a obtenu le prix Nobel de médecine en 1964. Il pensait qu'il est possible de concevoir une conscience indépendante du cerveau. Seulement, celle-ci ne serait pas, comme dans l'ancienne vision dualiste, totalement séparée du corps, elle interviendrait sur les constituants des synapses du cerveau pour influencer les événements en cours. La physique quantique nous montre que de telles influences peuvent exister sans violer les lois connues de la matière et de l'énergie.

Antonio Damasio insiste, pour sa part, sur la nécessité de l'interaction aussi bien des fonctions cérébrales individuelles que du cerveau lui-même avec le reste du corps. Son livre, "L'erreur de Descartes" a pour objectif de tenter de corriger le dualisme de l'esprit et du corps remontant au grand philosophe français.

Selon lui, aucune fonction cérébrale ne structure à elle seule le comportement humain. Damasio décrit des exemples tirés de son expérience clinique, par lesquels des patients, réussissant les tests d'intelligence, deviennent néanmoins des personnes handicapées à cause de déficiences neuronales touchant certaines facultés de sensation. Damasio a montré sous un jour nouveau l'importance structurante des émotions dans les prises de décision trop souvent considérées comme des actes purement rationnels. L'émotion, selon lui, joue un rôle aussi fondamental que la raison dans nos actes et décisions.

Pour Damasio, il existe donc bien un continuum entre le corps, le cerveau, l'esprit, les émotions et la conscience. En accord avec Damasio, mais travaillant sur le plan philosophique, John R. Searle, remet également en cause le dualisme et pense que la conscience est le produit de processus neurologiques. Pour Searle, la conscience est une propriété émergente du cerveau et du système nerveux et notre cerveau est qualitativement différent d'un ordinateur car il a conscience de lui-même et produit des actes intentionnels, ce qu'est incapable de faire une machine.

On voit donc que, face à l'océan de complexité que révèlent les récents progrès dans la connaissance de notre cerveau, les frontières disciplinaires traditionnelles éclatent et les neuro-sciences doivent aujourd'hui dialoguer avec les sciences humaines et les philosophes pour penser notre cerveau dans toutes ses dimensions physiques, biologiques, sociales et spirituelles.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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