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Edito : De la cartographie du génome à la médecine prédictive

Le XXIe siècle s'est ouvert sur un événement scientifique majeur : le séquençage et l'assemblage du génome (ensemble des gènes portés par les chromosomes) humain, en 2000. La publication de ces travaux, à l'état d'ébauches en 2001, puis sous une forme complète en 2003, révélera la dimension historique de l'événement, 50 ans après la découverte en 1953 de la structure de l'ADN, support de l'hérédité, par Watson et Crick. Le séquençage complet du génome humain, effectué en seulement 13 ans, constituait également le point de départ d'une nouvelle ère pour la recherche et les applications médicales vers une médecine plus personnalisée.

Le génome présenté résulte de l'assemblage de celui de plusieurs donneurs anonymes. Les séquences sont déposées dans le domaine public, afin de respecter la déclaration de l'Unesco, qui, en 1997, a décidé que le génome faisait partie du patrimoine de l'humanité et n'était donc pas brevetable. Les résultats publiés en 2003 on remis en cause bien des certitudes. Les scientifiques pensaient que nous possédions quelque 50 000 gènes, voire 100 000 ; nous en avons moins de 25 000. Les caractères apparents, le phénotype, font que l'humanité apparaît comme extrêmement diverse ; notre génome apparaît en fait identique à plus de 99 % entre deux individus, quelle que soit leur origine ethnique.

Quant au coût du séquençage, il a baissé à une vitesse vertigineuse. En 2004, il n'en coûtait plus que 10 millions de dollars pour un séquençage complet. En août 2009, Stephan Quake, un ingénieur de Stanford (Etats-Unis), affirmait qu'il ne lui avait fallu que 50 000 dollars pour séquencer le sien. A ce rythme, l'objectif d'un séquençage complet pour moins de 1 000 dollars pourrait être atteint en 2020.

Cette démocratisation rend de plus en plus crédible une démarche de médecine personnalisée, où la connaissance des variations (polymorphismes) ne portant que sur un seul nucléotide - soit une seule lettre A, C, G ou T - permettra de déterminer, pour chaque patient, le traitement personnalisé le plus efficace pour chaque pathologie, en fonction de son profil génétique.

A plus long terme, la médecine ne se contentera plus d'adapter les traitements existants mais interviendra directement sur les gènes défaillants pour les réparer.

Il y a quelques mois, pour la première fois, une maladie grave touchant le cerveau a pu être traitée par une thérapie génique. La progression de cette pathologie, l'adrénoleucodystrophie liée au chromosome X, a été arrêtée chez deux enfants après une autogreffe de cellules souches de la moelle osseuse dans lesquelles un gène correcteur avait été introduit.

Fin 2009, une équipe CEA/Inserm a pour sa part annoncé un premier succès d'un essai de thérapie génique sur six patients atteints de la maladie de Parkinson. Trois gènes (AADC, TH et CH1) sont indispensables à la biosynthèse de la dopamine. La stratégie thérapeutique adoptée par l'équipe d'Henri-Mondor consiste à implanter ces trois gènes dans le striatum, la partie du cerveau en manque de dopamine chez les malades, afin qu'ils y fabriquent la dopamine manquante. Pour amener ces gènes jusqu'au striatum, les chercheurs ont injecté dans le cerveau des patients le vecteur porteur des trois gènes. Ce vecteur est un lentivirus génétiquement modifié qui va entrer dans la cellule, aller jusqu'au noyau et y libérer les trois gènes « médicaments.

Dans le domaine du cancer, de multiples essais de thérapies géniques sont menés dans le monde. Depuis 2006, un projet collaboratif financé par l'Union européenne, intitulé "Gene therapy: an Integrated Approach for Neoplastic Treatment" (GIANT) vise à rendre la thérapie génique à la fois plus sûre et entièrement acceptable en vue d'un traitement clinique du cancer de la prostate.

Mais la généralisation de cette médecine prédictive personnalisée, si elle est porteuse d'immenses espoirs, va également poser de redoutables problèmes éthiques, médicaux et sociaux. Faudra-t-il systématiquement tout révéler de son profil génétique à un patient, y compris si celui-ci prévoit une forte probabilité d'apparition d'une pathologie incurable ? Ne risque-t-on pas, à partir du moment où chacun pourra disposer pour un prix abordable de sa cartographie génétique, de glisser insensiblement d'une médecine prédictive à une médecine eugénique qui visera de plus à atteindre une "perfection" biologique utopique et à définir une "norme génétique" à atteindre ? Quels usages et quels choix individuels et collectifs devra faire notre système de santé dans l'utilisation sage de ces nouveaux outils prédictifs ? Ces questions essentielles n'ont pas de réponse simple et nous devons dès à présent y réfléchir et ouvrir un débat démocratique pour veiller à ce que l'extraordinaire puissance de ces technologies médicales reste toujours au service de l'homme et respecte sa singularité et sa dignité.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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