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Edito : 2015 : l’odyssée de la science…

2015, qui marqua le centenaire de la théorie de la relativité générale d’Einstein, restera comme un cru exceptionnel en matière de découvertes et d’avancées scientifiques. Commençons cette rétrospective par la physique avec la superbe expérience réalisée par l'équipe de Ronald HANSON de l'Université de Delft aux Pays-Bas, Ces chercheurs, 33 ans après l'expérience historique d'Alain Aspect à Orsay, sont parvenus à reproduire cette expérience des "photons intriqués" mais en éliminant certaines failles méthodologiques qui n'avaient pu être levées en 1982. Le résultat, sans appel, confirme celui de 1982 et confirme pleinement les prédictions de la mécanique quantique et le caractère fondamentalement inséparable ou "intriqué" des photons, dès lors qu'ils sont issus d'une même source locale.

Au CERN de Genève, des expériences menées sur le plus grand accélérateur de particules du monde, le LHC, ont par ailleurs permis de découvrir une catégorie de particules encore inconnue, dont l'existence était soupçonnée, mais n'avait jamais été vérifiée : les pentaquarks. L'étude de ces étranges particules élémentaires devrait permettre de mieux comprendre comment est constituée la matière ordinaire, c'est-à-dire les protons et les neutrons dont nous sommes tous composés. 

Du côté de l’Espace, 2015 aura permis de dissiper l'un des mystères de la planète Mars en confirmant la présence d'eau liquide salée à sa surface lors des mois les plus chauds, ce qui relance les spéculations sur les possibilités d’une forme de vie sur cette planète. Les curieuses lignes qui entaillent certaines pentes de Mars seraient en effet des ruisseaux de saumure, une eau très fortement concentrée en sel. Des chercheurs français montrent pour leur part que d'autres ravines observées seraient produites par l'action de la glace de CO2 en hiver ou au printemps, et non par des écoulements d'eau liquide. Ils affirment que sous la glace de CO2 chauffée par le Soleil, d'intenses mouvements de gaz peuvent déstabiliser et fluidifier le sol jusqu'à créer des coulées semblables à celles générées par un liquide. 

Il faut également souligner l’autre exploit réalisé par la sonde spatiale américaine New Horizons qui a réussi, après neuf ans de voyage et 5 milliards de kilomètres parcourus, son survol historique de Pluton, la planète naine. À présent, 16 mois vont être nécessaires pour transmettre l'intégralité des données qu'elle a collectées sur cette lointaine et mystérieuse planète, située aux confins de notre système solaire. 

En matière d’exoplanètes, le télescope Kepler a permis de découvrir cet été Kepler-452b, la plus petite planète découverte jusqu'à maintenant située dans la zone habitable autour d'une étoile du même type que notre Soleil. Ainsi, de l'eau liquide pourrait se trouver à la surface de cette exoplanète, ce qui permettrait l'existence de la vie. Il y a quelques semaines, une autre exoplanète de la grosseur de la Terre, dont l'atmosphère serait semblable à celle de Vénus, a été découverte par des astrophysiciens du Massachusetts Institute of Technology. La planète de type rocheuse appelée GJ 1132b est, selon les chercheurs, certainement l'une des découvertes les plus significatives à ce jour dans notre quête de mondes semblables à la Terre. Elle est en orbite autour d'une étoile de type naine rouge située à seulement 39 années-lumière de la Terre. 

Après la matière et l’Espace, les sciences du vivant auront également connu une grande effervescence en 2015. Des chercheurs européens ont en effet annoncé la découverte d'une nouvelle forme de vie, Lokiarchaeota, qui a été découverte dans la fissure géothermique entre le Groenland et la Norvège. Ce micro-organisme, à l'étrange structure génétique, n'entre dans aucune des grandes classifications du vivant (procaryotes et eucaryotes). Il pourrait bien constituer le fameux « chaînon manquant » responsable de l'évolution de la vie sur Terre en faisant le lien entre les deux catégories fondamentales.

Sur le front du cancer, les avancées auront également été nombreuses et parfois remarquables : aux Etats-Unis, les principaux centres de lutte contre le cancer se sont dotés de Watson, le nouveau superordinateur à inférences d’IBM. Grâce à son intelligence artificielle, cette machine assez extraordinaire permet de « digérer » des millions de pages d’informations médicales et de repérer en quelques minutes (au lieu de plusieurs semaines) des mutations génétiques personnelles spécifiques à certains types de tumeurs, ce qui ouvre la voie vers un traitement personnalisé de chaque malade, en fonction du profil génétique de son cancer.

L’immunothérapie continue également de révolutionner la prise en charge d’un nombre croissant de cancers car on comprend à présent de mieux en mieux comment les cellules cancéreuses parviennent à bloquer le système immunitaire, et masquer aux globules blancs la présence de cellules étrangères dans l’organisme. « L’élucidation de ce mécanisme subtil a permis de travailler sur le moyen d’annuler ce signal aux globules blancs », explique Arnaud Bedin, directeur médical oncologie-hématologie chez Bristol-Myers-Squibb. S'appuyant sur la compréhension de ces mécanismes biologiques fondamentaux, le laboratoire a mis au point deux médicaments contre le mélanome avancé et le cancer du poumon.

En analysant les plaquettes sanguines (normalement impliquées dans la coagulation), plusieurs équipes de recherche ont par ailleurs découvert qu'il est possible d'en extraire la marque spécifique laissée par un cancer quelque part dans l'organisme avec un taux de succès de 96 %. En outre, cerise sur le gâteau, ce test permet de déterminer de quel cancer il s'agit. Cette remarquable avancée ouvre donc la voie vers une détection fiable et précoce des cancers, à partir d’une simple prise de sang…

S’agissant d’un autre grand fléau, la maladie d’Alzheimer, des travaux réalisés par des chercheurs du National Center for Geriatrics and Gerontology (NCGG), au Japon, ont permis de mettre au point un test sanguin permettant de dépister la maladie d'Alzheimer, et ce avant l'apparition des symptômes. Pour réaliser cette prouesse, les chercheurs ont travaillé sur deux molécules directement liées à la bêta-amyloïde, une protéine présente dans le cerveau, et qui s'accumulent pendant quinze à vingt ans avant l'apparition des symptômes de la maladie. Ces deux molécules sont présentes dans le sang, et leur taux permet de savoir s'il y a ou non accumulation de bêta-amyloïde dans le cerveau. En analysant un simple échantillon sanguin, cette technique permettrait de dépister la maladie avec une précision de plus de 90 %.

En matière de lutte contre les bactéries, des scientifiques américains et allemands ont découvert un nouvel antibiotique très prometteur, la teixobactine, qui combat les résistances bactériennes de plus en plus nombreuses comme les staphylocoques dorés résistant à la méthicilline et les entérocoques résistant à la vancomycine. Il pourrait être utilisé chez l'humain d'ici 10 ans.

L’épigénétique aura également été à l’honneur l’année dernière, avec la publication de la première carte complète, par des scientifiques américains, de l'épigénome humain, c’est-à-dire des composants génétiques et moléculaires  qui peuvent bloquer ou au contraire permettre l'expression de tel ou tel gène de notre ADN et qui sont largement influencés par notre mode de vie et notre environnement.  

Mais si l’épigénétique ouvre une perspective nouvelle d’intervention sur le fonctionnement de nos gènes, une autre technique fascinante, révélée en 2015, pourrait bien permettre de corriger les gènes à volonté. Découvert grâce aux travaux de la microbiologiste française Emmanuelle Charpentier, cet outil baptisé Crispr (Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats) constitue un ciseau moléculaire d'une incroyable précision qui peut être utilisé à l’intérieur d’une cellule vivante pour y corriger un gène.  

Autre progrès tout à fait remarquable dans le domaine médical : le vaccin expérimental contre Ebola VSV-ZEBOV, élaboré par l'Agence de la santé publique du Canada. Ce vaccin s'est avéré efficace à 100 % au cours des 10 jours suivant son administration chez des personnes non infectées, mais qui avaient été en contact avec des malades. Grâce à une coopération tout à fait exemplaire entre l’OMS et les scientifiques de nombreux pays, ce vaccin a pu être testé sur le terrain en moins d'un an, un délai exceptionnellement court pour ce type d’expérimentation médicale. Après avoir fait plus de 11 000 morts depuis 2013 en Afrique, le virus Ebola a enfin pu être maîtrisé en 2015 et l’arrivée de ce nouveau vaccin constitue évidemment un progrès supplémentaire décisif dans la lutte et la prévention contre cette terrible maladie.

Toujours dans le domaine des vaccins, 2015 aura également vu l’arrivée du premier vaccin au monde contre la dengue : le Dengvaxia, mis au point après 20 ans de recherches et développement par le groupe français Sanofi Pasteur. Comme l’ont montré de vastes essais cliniques réalisés sur plus de 40 000 personnes, ce vaccin permet d’immuniser pour les formes communes de la dengue les deux tiers des personnes vaccinées et 93 % d’entre elles pour la forme la plus grave de la maladie, la dengue hémorragique. L’hospitalisation inhérente à la dengue serait ainsi réduite de 80 %. Il s’agit donc là d’un progrès majeur contre cette maladie, transmise par certains moustiques, qui touche plus de 400 millions de personnes par an dans le monde, dont les deux tiers en Asie.

Enfin, l’un des candidats-vaccins contre le paludisme, le Mosquirix, a fait l’objet d’un avis scientifique favorable de l’Agence européenne des médicaments en juillet 2015. Bien que ce vaccin n’offre malheureusement qu’une protection partielle (qui varie de 31 à 56 % selon l’âge des enfants), il constitue néanmoins un progrès majeur dans la lutte contre cette maladie tropicale qui tue encore plus de 600 000 personnes par an dans le monde, principalement en Afrique.

2015 aura également vu le premier cas mondial de rémission prolongée du SIDA chez un enfant. Une jeune femme aujourd’hui âgée de 18 ans et demi, infectée par le VIH dès sa naissance, est en rémission virologique alors qu’elle ne prend plus de traitement antirétroviral depuis 12 ans. Autre nouvelle très encourageante annoncée l’année dernière : un traitement pris au moment des rapports sexuels, le Truvada, permet de diminuer de 86 % le risque d’être infecté par le VIH, selon une étude du Centre hospitalier de l'Université de Montréal. 

L’intestin aura également été l’une des vedettes des études scientifiques de 2015. Des travaux de l’Inserm publiés l’année dernière ont notamment montré que les bactéries intestinales informaient le cerveau lorsqu’elles étaient rassasiées et que ces bactéries permettaient de contrecarrer le diabète de type 1. D’autres recherches ont par ailleurs montré, de manière cohérente, que l’équilibre bactérien subtil du microbiote avait une incidence majeure sur la puissance et la qualité de la réponse immunitaire dans de nombreuses pathologies, comme le cancer, la sclérose en plaques ou la maladie d’Alzheimer. Encore plus étonnant, il semble bien que cet équilibre bactérien intestinal soit également impliqué dans certains troubles du comportement, comme la dépression ou l’anxiété.

Dans le domaine bionique, soulignons également, parmi de nombreuses avancées annoncées l’année dernière, deux innovations technologiques tout à fait remarquables. La première concerne une prothèse mise au point à l’Université de Linz en Autriche par l’équipe du professeur Egger. Cette prothèse, expérimentée sur un enseignant autrichien de 54 ans, amputé sous le genou il y a une dizaine d’années, présente l’étonnante propriété d’être dotée d’une sensibilité proche de celle d’un membre naturel, grâce à l’utilisation d’un nouveau type de capteurs reliés aux nerfs du sujet.

La seconde innovation, annoncée par Ocumentic Technology, concerne la mise au point de lentilles qui améliorent l'acuité visuelle en la rendant trois fois supérieure à la vision 20/20. Ces lentilles incroyables ont été présentées en 2015 lors de la réunion annuelle de la Société américaine de la cataracte et de la chirurgie réfractive. Cette avancée pour le moins étonnante pourrait être disponible pour les patients dès 2017…

Mais cette trop brève rétrospective scientifique de l’année 2015 ne serait pas complète sans évoquer deux découvertes majeures concernant la très longue et foisonnante histoire de l’espèce humaine. La première concerne bien entendu la découverte dans une grotte d’Afrique du Sud d’une nouvelle espèce du genre humain, qui aurait vécu il y a un à deux millions d'années. Les fouilles réalisées dans cette grotte ont permis de mettre à jour la plus importante collection d'ossements fossilisés humains - plus de 1 500 - trouvée à ce jour sur le continent africain. Cet « Homo naledi » est tout à fait étonnant car il combine certaines caractéristiques physiques de l’homme moderne avec certains traits de l’australopithèque, comme un cerveau trois fois plus petit que celui d’Homo sapiens. Détail révélateur, cet Homo naledi possédait encore des doigts recourbés, lui permettant de grimper aux arbres, mais avait déjà des poignets, des paumes et des pouces humanoïdes constituant une main tout à fait apte à utiliser des outils…

Et à propos d’outils, comment ne pas terminer cette revue scientifique de l’année 2015 sans évoquer l’extraordinaire découverte réalisée par une équipe du West Turkana Archeological Project (WTAP), sur le site de Lomekwi, au Kenya. Ces scientifiques ont en effet trouvé 49 pierres taillées qui ont pu être datées de manière précise par différentes méthodes convergentes et remontent à 3,3 millions d'années ! Cette découverte est d'autant plus importante que les plus vieux outils en pierre découverts jusqu'à présent datent de 2,6 millions d'années et que les premiers hominidés ne sont apparus qu'il y a 2,8 millions d'années... Ces premiers outils seraient donc sensiblement antérieurs à l'apparition de notre Espèce et auraient été fabriqués par les australopithèques qui nous ont précédés...

Comme l’avait magistralement pressenti Stanley Kubrick dans l’extraordinaire séquence d’ouverture de son film « 2001 : odyssée de l’espace », qui se déroule « à l’aube de l’humanité », l’invention décisive de l’outil et du pouvoir fabuleux qu’il confère à l’homme sur ses congénères et sur la nature, semble donc bien aussi ancienne que l’homme lui-même. Ici, l’art et la science se rejoignent pour venir éclairer d’une lumière nouvelle les mystères insondables de nos origines et de notre destinée…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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