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Edito : 1953-2003 : de la soupe primitive à la recherche de la vie extraterrestre

1953 restera un millésime exceptionnel pour les sciences de la vie. Le 15 mai de cette année-là, soit trois semaines après la parution dans Nature de l'article de Francis Crick et James Watson décrivant la structure en double hélice de l'ADN, Science publie les travaux d'un jeune Américain de vingt-trois ans, étudiant à l'université de Chicago, qui va surprendre toute la communauté scientifique. Dans cet article, Stanley Miller explique comment il a réussi à fabriquer des acides aminés, qui composent les protéines, en reproduisant les conditions de l'atmosphère primitive telles qu'on les imaginait il y a cinquante ans. A la surprise générale, un étudiant obscur était parvenu dans un coin de laboratoire, à partir de gaz inertes, à fabriquer les briques du vivant ! Cette découverte semblait tellement incroyable que la revue Science, septique, décida de retarder sa publication. Comme beaucoup de grandes découvertes scientifiques, l'expérience de Stanley Miller était d'une élégante simplicité. En soumettant un mélange gazeux de vapeur d'eau, d'ammoniac, de méthane et d'hydrogène à des décharges électriques, il obtint en une semaine une bouillie brunasse. Celle-ci allait passer à la postérité sous le nom de "soupe primitive" en raison des composés organiques qu'elle contenait, parmi lesquels des acides aminés, ces briques indispensables à la vie. L'idée même de la "soupe primitive" n'était pas originale. Charles Darwin l'avait déjà, imaginée dés 1871. Dans les années 1920, deux biologistes, le Russe Alexandre Oparine et le Britannique John Haldane, imaginent à leur tour - et indépendamment l'un de l'autre - que l'atmosphère primitive de la Terre a pu favoriser l'apparition de composés organiques chimiquement réactifs qui se seraient ensuite complexifiés jusqu'à donner les premiers systèmes vivants. Mais ces chercheurs n'essayèrent pas de vérifier leurs hypothèses par l'expérimentation. C'est cette étape décisive que franchit avec succès Stanley Miller, sous la direction d'Harold Urey, Prix Nobel de chimie 1934, qui avait établi un modèle d'atmosphère primitive dans lequel le carbone, élément-clé de la chimie organique, était apporté par le méthane (CH4). " Même si, à l'heure actuelle, les chercheurs pensent qu'il y a 4 milliards d'années l'atmosphère de la Terre était dominée par le dioxyde de carbone (CO2) plutôt que par le méthane, cela n'enlève rien au caractère décisif des travaux de Miller, qui a fait voler en éclat les frontières entre chimie minérale, chimie organique et biologie. Mais un demi-siècle plus tard, nous ne savons toujours pas recréer la vie en laboratoire. Les scientifiques parviennent certes à fabriquer certaines protéines mais pas encore les acides nucléiques, composants indispensables à la vie. Mais 50 ans après l'expérience historique de Miller sur la "soupe primitive" la recherche de la vie, de ses origines et de ses formes d'évolution, a pris une nouvelle dimension grâce aux extraordinaires progrès de l'observation spatiales et de l'astrophysique. Une récente étude des étoiles voisines de la terre, réalisée par l'Institut canadien pour l'astrophysique à l'Université de Toronto pourrait bien bouleverser notre approche de la question de la vie dans l'univers. En effet, en étudiant la proportion de fer, grâce à des analyses spectroscopiques, de 642 étoiles "proches" de notre soleil, à l'échelle galactique, les chercheurs ont observé des niveaux étonnamment élevés de fer qui permettent d'extrapoler la présence, autour de plus de la moitié de ces étoiles, de planètes d'une composition physique sensiblement comparable à celle de la terre. Si on étend ces observations statistiques à l'ensemble de notre galaxie, avec ses 100 milliards d'étoiles, cela signifie qu'il existerait des milliards de planètes semblables à la terre. Même en éliminant, parmi ces "exoterres", toutes celles qui sont trop proches ou trop lointaines de leur étoile, on peut donc raisonnablement imaginer qu'il existe dans notre galaxie de très nombreuses planètes possédant des conditions physico-chimiques proches de celle de notre terre et donc permettant, au moins en théorie, l'apparition et le développement de la vie telle que nous la connaissons. Cette découverte, si elle est confirmée dans les années à venir par de nouveaux moyens d'observation, vient éclairer d'une lumière nouvelle et passionnante les récentes expériences réalisées en partenariat par le laboratoire d'Astrochimie du Ames Research Center de la NASA et le Département de Biochimie de l'Université de Santa Cruz. Ces expériences ont montré que la formation de cellules primaires était possible dans l'espace, apportant ainsi des éléments nouveaux dans la recherche des origines de la vie. En reconstituant, comme l'avait fait en son temps Miller pour notre terre, un environnement spatial hostile (vide, froid et soumis à de multiples radiations), l'équipe de chercheurs menée par Louis Allamandola du Centre Ames a réussi à provoquer la formation de composés chimiques particuliers. Ceux-ci se présentent sous la forme de petites bulles similaires à des membranes cellulaires, c'est-à-dire semi-perméables et permettant des échanges avec l'extérieur. Ces résultats surprenants suggèrent que la vie n'est pas forcement apparue sur Terre, mais qu'elle aurait pu naître dans l'espace avant d'être apportée sur Terre par une météorite ou un astéroïde. La vie pourrait également être présente partout dans l'espace sous forme primitive. La prochaine étape pour l'équipe de scientifiques californiens consistera à vérifier si leurs « bulles » peuvent supporter une activité cellulaire interne, en y injectant des molécules d'ADN et d'ARN. Ces recherches confirment d'autres observations qui ont montré depuis une dizaine d'années que la vie est capable de subsister et de se développer dans des conditions extrêmes, et presque inimaginables, de taille (nanobactéries), de pression et de température. Mais la prochaine étape, la plus extraordinaire, de cette quête de la vie extraterrestre est celle mis en oeuvre dans le projet international de "Recherche de planètes terrestres" (Terrestrial Planet Finder). Ce projet permettra en 2011 de mettre plusieurs télescopes sur des véhicules spatiaux séparés volant en formation. En travaillant de manière coordonnée, ces télescopes seront capables de détecter et d'analyser les spectres de planètes extra-solaires et de repérer les "signatures chimiques" spécifiques de la vie que pourraient contenir la lumière provenant de ces planètes. Nous pourrions alors avoir l'éclatante confirmation que la vie, loin d'être le fruit d'un extraordinaire et improbable hasard, est aussi à l'échelle cosmique un phénomène beaucoup plus banal que nous le supposions. On peut néanmoins penser qu'à partir des mêmes constituants, mécanismes et principes fondamentaux (chimie du carbone, protéines, acides nucléiques, cellules) la vie aurait évolué sur d'autres planètes de manière très différente car cette évolution dépend bien entendu des conditions spécifiques de l'environnement. La grande question étant naturellement de savoir si, in fine, ces évolutions biologiques singulières ont fini, dans certains cas, par produire des êtres conscients de leur propre existence et des civilisations intelligentes se posant les mêmes questions que nous.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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