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Edito : la pensée affirme son pouvoir sur la matière

Fin 2005, à L'Université de Pittsburgh, une équipe pluridisciplinaire annonçait la mise au point d'un bras robotisé contrôlé par la pensée. Constitué d'une épaule, d'un coude mobile et d'une pince en guise de main, ce bras agit comme celui d'un humain. Expérimenté sur un singe et utilisant un système de sondes et de capteurs directement insérés dans le cerveau, ce bras robotisé exécute fidèlement les instructions transmises directement par la pensée de l'animal.

Mais il y a quelques jours, après plus de vingt ans de recherche dans le monde, une nouvelle étape décisive a été franchie vers le vieux rêve d'une commande télépathique. A l'occasion du salon de la recherche et de l'innovation qui vient de se tenir à Paris, les participants ont pu assister à la première démonstration en France du système BCI (Brain Computer Interface) qui permet aux personnes totalement paralysées de déplacer un curseur sur un écran d'ordinateur ou de « dicter » un texte simplement par la pensée. Le scientifique autrichien Peter Brunner, du centre public de recherches de Wadsworth (Etat de New York), utilisant un bonnet électronique et un ordinateur portable a composé, lettre à lettre, devant une assistance très impressionnée, un message sur un écran géant au dessus de sa tête. Au seul moyen de sa pensée, il a réussi à écrire "Bonjour".

Grâce à une vingtaine d'électrodes insérées dans le bonnet, cet étonnant équipement capte les signaux électriques émis par le cerveau et les numérise pour qu'ils soient traduisibles par l'ordinateur. Sans intervention des nerfs ou des muscles, l'interface "peut offrir une possibilité de communication et d'autonomie à des gens qui sont totalement paralysés" et ne peuvent ni parler, ni se mouvoir, explique Eric Sellers, un autre chercheur du centre de Wadsworth.

Cette nouvelle interface pourrait améliorer considérablement la qualité de vie de 100 millions de patients dans le monde, dont 16 millions de personnes souffrant de paralysie cérébrale et au moins 5 millions victimes d'une rupture de la moelle épinière, avance le Dr Sellers. Dix millions de personnes sont aussi totalement paralysées après un accident vasculaire cérébral. Les applications possibles vont bien au-delà de l'écrit : ce n'est qu'une question de temps avant que la même technologie ne soit utilisée pour guider des fauteuils roulants, avance le Dr Sellers.

Le système mis au point à Wadsworth repose sur un algorithme qui analyse les ondes émises par le cerveau, comme dans un électro-encéphalogramme, et repère les pics d'intensité correspondant à des efforts mentaux définis. Quand le Dr Brunner se concentre pour produire le "B" de "Bonjour", il fixe sur son écran des rangées de lettres et de symboles, illuminées rapidement et de manière aléatoire. A chaque fois qu'une rangée, verticale ou horizontale contient la lettre "B" - son cerveau émet un signal légèrement plus fort. L'ordinateur a besoin d'environ 15 secondes pour déterminer la lettre regardée, mais les performances s'améliorent avec l'entraînement.

Un neurobiologiste américain de 48 ans, souffrant de la maladie de Charcot - une maladie dégénérative des cellules nerveuses - peut ainsi continuer à travailler grâce à ce programme, alors qu'il ne peut plus même bouger les yeux. "Il rédige des propositions de subventions, envoie des courriels et peut utiliser le clavier de son ordinateur à la maison". Il a même écrit un message pour la démonstration de Paris, que le Dr Sellers a projeté.

Toujours outre-atlantique, des chercheurs canadiens travaillent sur une nouvelle sorte de biométrie. Au lieu de contrôler le scan de l'iris ou une empreinte digitale, cette nouvelle forme de biométrie pourrait reconnaître les ondes cérébrales ! S'appuyant sur la fait que les impulsions électriques mesurables sur l'activité cérébrale varient d'un humain à l'autre, des chercheurs de l'université de Carleton à Ottawa, au Canada, travaillent sur un lecteur capable d'identifier une personne grâce à ses pensées. Lorsque l'on pense, même si c'est à la même chose, les ondes émises par le cerveau ne sont pas les mêmes d'une personne à l'autre. Cette différence, même si elle est minime, pourrait être suffisante pour identifier un individu. Ainsi, il suffirait de penser pour être identifié. Des expériences menées sur des singes ont montré que l'animal et la machine peuvent apprendre à se reconnaître. "Ensemble, le couple converge vers un décodage réussi", explique Reza Shadmehr, professeur d'ingénierie biomédicale et de neuroscience à l'université John Hopkins (USA).

Ainsi, l'homme, après avoir réussi à transformer de plus en plus efficacement la matière en énergie, puis l'énergie en information, est sur le point de franchir une nouvelle étape dans la connaissance et la maîtrise de son environnement en transformant directement sa pensée en action sans aucune médiation physique. On imagine sans peine les immenses perspectives qu'ouvre un tel saut technologique à l'humanité. A terme, il ne fait maintenant plus de doute que nous pourrons commander par la pensée la multitude d'objets et de dispositifs électroniques qui constituent notre environnement quotidien, ordinateur, téléphone, appareils ménagers, voiture...

D'ici à une génération, cette nouvelle technologie va faire entrer notre société dans une nouvelle ère en transformant radicalement la vie des personnes âgées et handicapées puis en se diffusant à l'ensemble des activités humaines. Mais, comme je l'ai à plusieurs reprises souhaité dans cette lettre, il est absolument capital qu'un grand débat civique et démocratique s'ouvre pour bien mesurer les immenses conséquences sociales, culturelles et morales d'une telle avancée scientifique et définir une "neuroéthique" qui puisse garantir qu'un tel pouvoir ne soit utilisé que pour le bien commun et dans le respect absolu de la dignité et de la liberté de l'homme.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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