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Le mystère des bulles de méthane marin

Le réchauffement climatique est-il provoqué par des dégazages massifs de méthanes en provenance des fonds marins? Parmi les nombreuses questions encore sans réponse liées à l'effet de serre, celle-ci a animé les débats la semaine dernière au congrès international des géosciences à Nice. «La plupart des modèles climatiques ont été faits sans prendre en compte les échanges de méthane entre les fonds marins et l'atmosphère, ce qui fait actuellement l'objet d'un débat», explique Jean-Paul Foucher, responsable du programme hydrates de gaz à l'Ifremer. Un article paru il y a deux mois dans la revue Science a d'ailleurs apporté de l'eau au moulin des défenseurs de cette thèse. Les hydrates de gaz, ces blocs de glace présents au fond des mers qui renferment du méthane dans leurs cavités, sont encore assez mal connus. Certains chercheurs estiment aujourd'hui que ceux-ci contiennent deux fois plus de carbone que la totalité des gisements connus de gaz naturel, pétrole et charbon. Gerald Dickens, de l'université d'Ann Arbor au Michigan, a ainsi montré en 1997 qu'une zone de 26 000 kilomètres carrés, au large de la côte sud-est des États-Unis, contenait 35 milliards de tonnes de carbone, soit 105 fois la consommation annuelle de gaz naturel des États-Unis de l'époque. C'est une réserve énergétique gigantesque (entre 5 000 milliards et 30 000 milliards de tonnes selon les estimations), mais pour l'instant inaccessible. Car ils sont dispersés dans les sédiments et ne peuvent être exploités par des forages conventionnels. Des scientifiques ont découvert récemment que les hydrates soutenaient une vie microbienne riche et diverse. Certains microbes consomment en effet du méthane et, agissant comme un filtre, en retiennent en grandes quantités, qui pourraient se libérer subitement, s'inquiètent certains chercheurs. «Si on les fait fondre, ce volume solide libère un volume de gaz correspondant à 160 fois son volume», explique en effet Jean-Paul Foucher. «La question, qui n'est pas tranchée aujourd'hui, est de savoir comment se font les échanges entre ces résidus de méthane et l'atmosphère», poursuit-il. Pour certains chercheurs, il se forme de grosses bulles qui remontent à la surface. De quoi entraîner des conséquences dramatiques, comme des glissements de terrain. En témoigne le gigantesque effondrement marin intervenu voici environ 170 000 ans à proximité des côtes nord de la Nouvelle-Zélande. Le Sud-Africain Evan Nisbet a lancé, au début des années 90, l'idée que les fluctuations climatiques entre glaciations et périodes chaudes venaient de ces dégazages de méthane, une idée admise par une partie des climatologues. De là à affirmer que ce mécanisme est de nature à accélérer le réchauffement climatique, il n'y a qu'un pas, que certains ont franchi. C'est la thèse défendue depuis plusieurs années par James Kennett, baptisée «l'hypothèse du coup de revolver de l'hydrate», exposée dans un ouvrage paru l'année dernière, que Science considère comme «le livre scientifique le plus controversé du nouveau millénaire». L'idée est qu'un réchauffement des eaux de surface et des eaux intermédiaires entraîne une propagation d'eaux chaudes vers les sédiments dont les corps solides, en fondant, libèrent des gaz. De telle sorte que l'interaction serait réciproque entre les deux phénomènes: non seulement le réchauffement climatique contribue à faire fondre ces hydrates de méthane, mais ces derniers contribuent, une fois libérés dans l'atmosphère, à accélérer le réchauffement. Reste à savoir si c'est bien du méthane qui est diffusé dans ce cas à la surface ou s'il s'est transformé en gaz carbonique après oxydation. L'article consacré au sujet dans Science montre que, dans le cas précis d'une expérience menée à Santa Barbara et sur une échelle de temps relativement courte, c'est bien du méthane qui arrive à la surface après sa libération. Cette thèse ne fait pas l'unanimité au sein de la communauté scientifique. «Cette hypothèse n'est pas compatible avec ce que nous observons dans les carottes de glace que nous prélevons, témoins de l'atmosphère», estime ainsi Jérôme Chappellaz, paléoclimatologue au Laboratoire CNRS de glaciologie de Grenoble. Pour lui, «même s'il a peut-être existé des dégazages de méthane, les teneurs en méthane ont varié dans l'atmosphère d'environ 1/10 de degré sur environ 10 000 ans, ce qui est tout à fait négligeable. Pour estimer que le méthane représente une force motrice dans le changement climatique, il faudrait des teneurs deux à trois fois plus élevées que ce qu'on a observées». Par ailleurs, «si une augmentation de température contribue à déstabiliser les hydrates, l'augmentation du niveau des mers, qui élève la pression de l'eau, a elle pour effet inverse de stabiliser ces derniers». Et de conclure: «Entre les deux, qu'est-ce qui prendra le dessus à l'avenir? Nous l'ignorons.»

Figaro : http://www.lefigaro.fr/sciences/20030415.FIG0151.html

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