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Edito : Energie des mers : un immense potentiel qui reste à exploiter

Devant l'augmentation vertigineuse du prix du baril de pétrole, qui a augmenté de plus de 70% depuis le début de l'année pour atteindre 65 dollars le baril fin septembre, notre pays a décidé d'accélérer son effort pour promouvoir les énergies renouvelables. Quand on évoque ces énergies propres, non émettrices de gaz à effet de serre, on pense immédiatement à l'énergie solaire (photovoltaïque et thermique), à l'énergie du vent, avec les éoliennes, à l'énergie hydraulique, avec les barrages, et à l'énergie géothermique, qui permet de récupérer la chaleur de la Terre. Il existe pourtant une autre source remarquable d'énergie renouvelable dont notre pays est abondamment pourvu et qui présente en outre l'avantage d'être prévisible et de n'avoir aucun impact visuel : l'énergie des marées, des courants marins et des vagues.

Trois acteurs principaux travaillent actuellement sur l'exploitation de cette énergie nouvelle : EDF, le Laboratoire des écoulements géophysiques et industriels (LEGI) de Grenoble et la petite société Hydrohelix Energies, soutenue par l'Institut français du pétrole (IFP) et l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). Hydrohelix Energies, comme le LEGI, exploite un brevet de turbine baptisée "hydrolienne". Dans le projet de cette micro-société d'ingéniérie basée à Quimper, les turbines sont implantées sur une structure fixée au sol et totalement immergées. Elles récupèrent l'énergie cinétique des courants sous-marins et la transforment en énergie électrique.

Plus les courants sont forts, plus les hydroliennes génèrent d'électricité : la France dispose ainsi, au large des côtes bretonnes et normandes, d'un potentiel important grâce aux courants marins liés aux marées, qui sont parmi les plus fortes du monde, mais aussi grâce aux vagues et aux écarts de température entre le fond et la surface de la mer. "Cette technique est sans barrages, respecte les écosystèmes et est sans incidence sur la navigation", affirme Hervé Majastre, co-gérant d'Hydrohelix Energies.

Par ailleurs, à dimension égale, une hydrolienne produit plus d'énergie qu'une éolienne puisque la densité de l'eau est 800 fois plus élevée que celle du vent. L'impact visuel est quant à lui nul ou quasi-nul à la différence des éoliennes, fait valoir M. Majastre. Hydrohelix Energies a envisagé trois sites pour d'éventuels parcs hydroliens : deux au large de la pointe de la Bretagne - l'un d'une capacité de 1.000 mégawatts (MW) sur la Chaussée de Sein et l'autre de 2.000 MW dans le Fromveur - et un troisième sur le Raz Blanchard au large du Cotentin. Sur ce dernier site, 1.500 turbines de 16 mètres de diamètre pourraient générer, compte tenu de courants exceptionnellement violents pouvant atteindre 5 mètres/seconde, une puissance en pointe de 3.000 MW. La production annuelle de ces trois parcs pourrait atteindre les 25.000 gigawattheures (GWh), soit 5 % de la production électrique française.

Les coûts de production sont estimés par la société à environ 3,5 centimes d'euro le watt installé, avec un retour sur investissement au bout de sept ans compte tenu d'un coût d'installation de 1 à 1,3 euros le watt. L'usine marémotrice de La Rance, sur l'estuaire de ce fleuve en Ille-et-Vilaine, illustre ce potentiel : elle produit chaque année environ 536.000 MWh, soit l'équivalent des besoins d'une ville de 300.000 habitants.

Cette énergie des courants marins présente l'immense avantage d'être prédictible et les hydroliennes, à puissance équivalente, occupent moins d'espace que des éoliennes. Les côtes françaises sont parcourues par des marées puissantes et régulières. Le Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom) est capable d'en prédire les fluctuations cent ans à l'avance. Les marées sont le fruit de l'attraction de la Lune, dont les mouvements sont connus avec une précision sans défaut. Rien à voir avec le vent, dont les changements de direction et de force ne peuvent être anticipés que de quatre à cinq jours au mieux, avec une précision très approximative. Contrairement aux éoliennes, l'énergie que les hydroliennes sont capables de produire peut donc être parfaitement planifiée.

Au large de Brest et de Cherbourg, la vitesse des courants est souvent supérieure à 12 km/h. Selon Hervé Majastre, l'un des deux fondateurs d'Hydrohélix, les littoraux breton et normand sont capables de fournir une puissance de 3 gigawatts (GW), soit grosso modo l'équivalent de trois réacteurs nucléaires. Des pointes à 6 GW seraient possibles pendant les périodes de vives-eaux.

La consommation instantanée d'électricité française se situe aux alentours de 50 GW. D'après Majastre, les courants marins pourraient donc fournir entre 6 et 12 % de l'électricité nécessaire à la France. D'après Hydrohélix, il faudrait installer 4 500 hydroliennes au fond des mers pour parvenir à un tel niveau de production. Cela représente un rideau d'hélices de quelque 21 km, disséminé à moins de 6 km des côtes, entre les îles de Sein et Ouessant et face au cap de la Hague, dans le Cotentin (à quelques encablures de la célèbre usine de retraitements de déchets nucléaires...)

D'après Hervé Majastre, le coût de l'électricité des hydroliennes serait équivalent à celui des éoliennes (un euro le watt) et sensiblement inférieur à celui du nucléaire (à peu près 1,4 euro le watt, d'après les rares estimations disponibles). En outre, la France est à l'origine des premiers pas de l'énergie maritime, avec la construction de l'usine marée motrice de la Rance, près de Saint-Malo, en 1966.

Le Royaume-Uni s'intéresse de près à l'énergie des courants marins. Des initiatives similaires à celle de MCT sont en passe de voir le jour en Ecosse et au Pays de Galles, financées par des consortiums associant les industriels et l'Etat. Les côtes de Grande-Bretagne profitent un peu partout de très fortes marées. Et la perspective du déclin annoncé des champs pétrolifères de la mer du Nord aiguillonne les autorités britanniques, qui investissent tous azimuts dans la recherche et le développement des énergies renouvelables.

Ailleurs, les sociétés Blue Energy au Canada, Hammerfest Stroem en Norvège et Enemar en Italie commercialisent déjà des systèmes de production électrique par les courants. Il s'agit pour l'instant de modestes installations "pilotes" d'une seule hélice (300 kW pour Hammerfest Stroem et 20 kW pour Enemar, dans le détroit de Messine). De nombreux projets d'usines électriques actionnées par les vagues existent également, au Pays de Galles, en Floride et en Nouvelle-Zélande notamment. Il s'agit de "serpents de mer" articulés d'une centaine de mètre de long : l'ondulation de la houle actionne des vérins qui produisent l'électricité.

Mais l'énergie des courants marins n'est pas la seule énergie exploitable des mers. L'énergie des vagues représente également un immense potentiel inexploité. Après avoir signé un accord avec la filiale américaine OPT (Ocean Power Technologies), Iberdrola, la compagnie d'électricité espagnole a démarré la construction d'une usine pilote. Sur une superficie de 2000 mètres carrés, 10 bouées géantes de 16 mètres de long et 6 mètres de diamètre transformeront en courant électrique la force des vagues.

Les oscillations des vagues variant entre 1 et 5 mètres font de la mer Cantabrique une zone idéale pour ce système. Le principe, relativement simple est donc basé sur la conversion du mouvement ondulatoire des vagues en mouvement de rotation d'éléments mécaniques. Les "PowerBuoy", ces bouées géantes ancrées par 30 mètres de fond, suivent le mouvement des vagues en se déplaçant verticalement le long d'une structure similaire à un piston. Lors de la phase montante, l'eau entre dans une pompe hydraulique. Elle est évacuée sous pression vers un alternateur lorsque la bouée redescend.

Le courant est transformé dans des installations sous-marines et acheminé via des câbles vers l'extérieur pour sa distribution par le réseau électrique conventionnel. Cet ensemble expérimental devrait pouvoir générer entre 1,25 et 2 MW et subvenir aux besoins en électricité d'environ 1500 familles (soit un tiers de la population de Santona).

Se servir de la force des océans pour produire de l'énergie n'est pas vraiment une idée nouvelle. L'avantage majeur de ce système est son immersion totale et donc l'absence de pollution visuelle ou sonore. Par trente mètres de fond, les risques d'accident sont quasiment inexistants. Le projet, d'un budget initial de 3,25 millions de dollars, pourrait aboutir à la construction de plusieurs centrales du même type sur toute la côte Cantabrique et totaliser une puissance de 100 MW.

Roberto Legaz, responsable du développement d'énergie renouvelable chez Iberdrola et directeur de ce projet, estime à 30 ans l'amortissement des installations et envisage d'autres applications comme la désalinisation de l'eau ou l'approvisionnement énergétique de région isolées. "Et ce n'est qu'un début" ; Roberto Legaz prophétise un succès identique à celui du parc éolien qu'il a lui même mis en place il y a une douzaine d'années. En ce temps très court l'Espagne a su se placer au 3eme rang des puissances mondiales en terme d'énergie éolienne.

Les PowerBuoy espagnoles pourraient bien concurrencer les "Wave Dragon" danois de la mer du Nord, les convertisseurs Pelamis écossais ou encore les mighty whales japonaises, autant de systèmes qui misent également sur l'énergie des vagues pour produire demain de l'électricité propre.

Même les Etats-Unis croient dans la rentabilité économique de l'exploitation de l'énergie des vagues : un rapport récent de l'EPRI (Institut de Recherche de l'Energie Electrique) souligne que la production d'électricité à partir de l'énergie des vagues pourrait être économiquement viable dans un futur proche. Un travail conduit par l'Electric Power Research Institute (EPRI) avec la collaboration, entre autres, du National Renewable Energy Laboratory (NREL) du Department of Energy (DOE), suggère que la production d'électricité à partir des vagues et des courants marins aux Etats-Unis pourrait être économiquement rentable d'ici quatre ans, à condition que les investissements suivent. Le principe consiste à utiliser les mouvements des vagues pour mettre sous pression un fluide permettant ensuite de produire de l'électricité qui est acheminée par le biais d'un câble sous-marin. Selon l'organisme, le potentiel des côtes américaines serait de 2100 Terrawatt/heure par an, soit presque autant que l'électricité produite à partir du charbon ou dix fois l'énergie totale générée par les centrales hydroélectriques du pays.

En revanche la France est très en retard du point de vue technologique et commercial dans ce domaine d'avenir. EDF dispose aujourd'hui d'une puissance de 0,19 GW d'énergie éolienne et de 0,016 MW d'énergie solaire : à peine 0,5 % de la production nécessaire (environ 50 GW). Selon une directive européenne de septembre 2001, la France est censée faire passer de 15 à 21 % la proportion de son électricité produite à partir d'énergie renouvelable. Pour l'instant, l'essentiel de cette énergie est issu du réseau déjà très dense des barrages hydroélectriques, pratiquement parvenu à saturation. Après un quart de siècle d'oubli de l'énergie maritime depuis la construction de l'usine de la Rance, il est grand temps que notre pays se donne enfin les moyens d'exploiter à grande échelle, comme ont déjà décidé de le faire la Grande Bretagne, le Japon ou l'Espagne, ces sources d'énergie propres et prévisibles, issues des mers, dont la France possède un gisement considérable.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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