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Edito : Vivre est le métier que je veux lui apprendre

Les structures publiques d'éducation n'arrivent plus à assumer correctement leurs missions. Leur rythme d'adaptation trop souvent lié à des procédures de décisions trop lourdes et trop lentes et à une manque de clairvoyance politique ne leur permet pas de relever le défi qui leur est lancé par les nouvelles technologies. Seules réussissent dans ce monde en perpétuel mouvement les entités légères et réactives qui ont toutes les capacités pour s'adapter rapidement. Cette dichotomie entre les systèmes d'enseignement privés et publics commence à poser un réel problème à nos démocraties et en poserait de plus sévères encore demain si, très rapidement, des mesures ne sont pas prises. En effet, dans un monde où a valeur ajoutée reposera sur la connaissance et l'expertise, la première mission des états modernes est de faire acquérir des savoirs efficaces et reconnus à tous leurs citoyens s'ils veulent que leurs peuples aient un avenir. Or, ils ne peuvent confier cette mission régalienne qu'à leur système public afin de ne pas créer une grave ségrégation par l'argent. Il faut donc que nos démocraties procèdent sans retard à une refondation totale de leur système public d'éducation. Mais comment faire ? En incitant le pouvoir académique à descendre de sa pyramide et l'inviter à s'installer avec de réels moyens de décision dans les réseaux d'établissements. Là comme ailleurs, il faut laisser se développer une réelle subsidiarité. Pourquoi vouloir imposer une décision du niveau central quand celle qui est prise localement se montre beaucoup plus efficace ? Il faut également faire évoluer le statut des enseignants pour que ceux-ci soient incités, très régulièrement, à se plonger dans la vie réelle de la cité et de l'entreprise afin de préparer les élèves, dont ils ont la lourde charge,à entrer avec réalisme et efficacité dans l'avenir. Chacun doit prendre conscience qu'au cours de la carrière d'un enseignant qui, souvent, se déroule sur plus de 3 décennies, les technologies auront connu plusieurs révolutions (un seul exemple : depuis 30 ans, la puissance de calcul du micro-ordinateur de Monsieur Toutlemonde a été multipliée par 10.000 !) entraînant avec elles de nouveaux usages donc des cultures nouvelles. Nous ne sommes plus au Moyen Age où Pic de la Mirandole pouvait défier n'importe qui de discuter avec lui de n'importe quoi. Nous ne répondons même plus à la définition de l' « honnête homme » qui, selon Pascal, était raisonnablement au courant de tout. Nous sommes entrés dans une époque où, paradoxalement, nous devenons de plus en plus ignorants puisque la somme des connaissances de l'humanité doublant tous les 10 ans, cette masse de connaissances croît dorénavant plus vite qu'il n'est possible d'apprendre. En cette époque, où le temps change de nature, il faut que nous donnions aux enseignants, qui ont la plus lourde et la plus noble des missions pour préparer l'avenir, les moyens de se remettre très régulièrement en cause et les outils pour être au niveau des défis qu'ils doivent relever. Pour atteindre un objectif aussi ambitieux, il leur faut pouvoir disposer d'une réelle marge de manoeuvre pour choisir la voie qui leur semble la plus efficace. Bien entendu, ce large système de délégation doit avoir comme contrepartie naturelle un système innovant d'évaluation qui, à partir du lycée, devrait être ouvert à l'apprenant. Pour assurer une nécessaire égalité, comme dans tout système public, l'architecture des programmes (au niveau du squelette) devrait être définie par l'Etat mais avec des systèmes locaux de validation ( peut être au niveau d'un groupe opérationnel d'établissements ?), l'enseignant devrait avoir la possibilité de choisir et même de concevoir lui-même les muscles, la chair et la peau qui donneraient à ces programmes leur nécessaire personnalisation. L'ensemble du système devrait avoir suffisamment de souplesse pour permettre à l'enseignant de sortir des stricts programmes académiques pour lui permettre d'aller ainsi vers les leçons de choses et même celle de la nature comme a su si bien le dire Jean-Jacques Rousseau et le mettre en oeuvre il y a quelques décennies Freinet. En agissant ainsi, nous pourrions enrayer la désaffection croissante envers un système d'éducation qui attribue de vastes ressources à des tâches de gavage alors que de véritables besoins d'éducation demeurent largement insatisfaits. L'enseignement traditionnel aurait tout avantage à être heureusement complété par une éducation à la culture et par une symbiose heureuse avec les exigences de la formation professionnelle. Pour l'Etat, la finalité de la culture est essentiellement de rassembler. Pour l'individu, elle est non seulement ce qui l'identifie en tant que membre d'une collectivité mais aussi ce qui le distingue des autres : sa culture est un outil de développement personnel. Cette éducation à la culture devrait éveiller une sensibilité qui, fréquemment, sommeille pendant toute la vie car le système ne nous permet pas de trouver la clé qui ouvrirait une porte souvent ignorée. Est-il normal que nous laissions tant de jeunes dans l'ignorance du beau, du bon et même du bien. ne serait-ce que pour le confort de leur vie ? Ainsi, diverses études médicales récemment publiées nous montrent que l'espérance de vie d'un homme ayant un faible niveau d'instruction est inférieure de 6,5 ans à celle d'un homme instruit et vous lirez même dans une Brève de notre lettre de ce jour que la mortalité un an après hospitalisation pour un infarctus du myocarde est 5 fois plus élevée parmi les malades qui ont eu la scolarité la plus courte. Toutes ces injustices doivent être éradiquées par notre système d'enseignement. Pour quelles raisons l'ouvrier devrait-il continuer à mourir plus tôt parce qu'il fume trop, parce qu'il boit trop, parce qu'il se nourrit mal alors que notre système le laisse ignorant du danger de tels comportements ? N'oublions pas que le système public d'éducation doit mettre à la disposition de chaque enfant les choses que tout le monde doit connaître pour pouvoir agir comme un adulte libre et autonome. Or, pourquoi toutes ces connaissances qui éveillent en nous cette volonté de respecter cette nécessaire hygiène de la vie ne feraient-elles pas partie de ces choses que tout le monde doit connaître ? Il en est de même dans la formation professionnelle. Deux jeunes se présentent aujourd'hui devant le chef d'une entreprise moderne travaillant dans l'informatique de nouvelle génération. L'un vient de réussir brillamment un bac classique (littéraire ou scientifique). Il a même une mention. Malheureusement, pour des raisons familiales impérieuses il doit interrompre ses études. L'autre a raté son bac mais il connaît parfaitement des logiciels tels que Photoshop, Director, Studio Max, Flash, qu'il a découverts et maîtrisés, seul, en autodidacte. Qui pensez-vous que le chef d'entreprise retiendra ? Non pas celui qui a parfaitement assimilé des savoirs académiques mais bien celui qui est directement opérationnel. L'ironie de l'histoire est que le système public d'éducation ne veut même pas reconnaître ces connaissances pratiques et opérationnelles, souvent liées à de nouvelles technologies, acquises spontanément par des élèves puisque notre recalé n'a même pas eu, pour son baccalauréat, un point supplémentaire pour sa maîtrise de ces outils informatiques. dont la connaissance n'est pas prévue au programme ! En complétant un enseignement traditionnel, notoirement allégé de toutes ses strates historiques, par une éducation à la culture et par une heureuse symbiose avec les attentes réelles des entreprises, les systèmes publics d'éducation sauraient défricher des voies nouvelles pour reconquérir le coeur de nos concitoyens. Pour conclure, je voudrais vous inviter à relire Emile (http://www.microserve.net/~gallanar/rousseau/emile%20ou%20l'education.htm/) de Jean Jacques Rousseau. Cette oeuvre n'a jamais autant été d'actualité. Relisez cette leçon d'astronomie donnée par Jean-Jacques à Emile. À elle seule, elle est une métaphore de l'éducation toute entière. Eduquer, c'est aider à recourir aux signes qui permettront à chacun de s'orienter par lui-même. N'oublions pas ces jolies phrases d'Emile Rousseau « Le but ultime de l'éducation est de former un homme libre », « L'homme vraiment libre ne veut que ce qu' il peut et fait ce qui lui plaît »et ce cri qui devrait raisonner dans l'oreille de tout enseignant : « Vivre est le métier que je veux lui apprendre ».

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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