RTFlash

Edito : le virus, maillon essentiel du vivant

En mars dernier, j'évoquais dans mon éditorial la découverte d'un mécanisme remarquable et totalement inconnu jusqu'alors permettant à un virus d'infecter un autre virus.

Confirmant cette fois le rôle central des virus dans l'évolution du génome humain, des chercheurs français viennent à présent d'apporter la démonstration que les mammifères doivent à des gènes viraux une faculté indispensable à leur reproduction : la formation du placenta. En outre, on sait désormais qu'environ 8 % de l'acide désoxyribonucléique (ADN) d'Homo sapiens est composé de séquences transmises par des virus à ses ancêtres. On peut d'abord s'étonner de la présence de séquences génétiques virales dans les chromosomes de l'homme. Les virus en cause appartiennent à une catégorie bien particulière de ce bestiaire : ce sont des rétrovirus - dont le représentant le plus tristement célèbre est le VIH, responsable du sida.

"Les rétrovirus ont cette propriété remarquable d'intégrer leur patrimoine génétique aux chromosomes de la cellule-hôte, explique Heidman (Institut Gustave-Roussy, CNRS, université Paris-XI), coauteur de ces travaux. Ainsi, lorsque la cellule infectée est une cellule germinale - spermatozoïde ou ovule -, le patrimoine génétique viral est transmis à la descendance de l'individu infecté."

Habituellement, les séquences génétiques ainsi passées d'un rétrovirus à un organisme vivant ne sont pas "exprimées" par celui-ci. C'est-à-dire qu'elles ne conduisent pas à la synthèse de protéines : elles demeurent, en somme, silencieuses.

Mais parfois, ces gènes s'activent et chez l'homme, deux gènes d'origine rétrovirale, introduits chez les primates voilà quelque 40 millions d'années, codent pour des molécules appelées syncytines, et qui sont présentes dans le placenta. "Nous avons d'abord recherché chez la souris les gènes homologues, qui se sont révélés avoir été introduits il y a environ 20 millions d'années, raconte M. Heidmann.

Puis nous avons manipulé les souris de manière à "éteindre" les gènes en question. Les souris chez lesquelles ces séquences étaient inactivées ne pouvaient mener à bien une gestation pour cause de placenta non fonctionnel." Voilà qui démontre le caractère nécessaire de ces gènes dans la placentation.

Les virus ont sans doute transmis une autre propriété aux organismes placentaires : celle de l'immunosuppression. En "désactivant" le système immunitaire localement et temporairement, cette propriété permettrait le développement du foetus in utero sans susciter de rejet de la part de la mère.

Le placenta est en effet un organe foetal et non un organe maternel. Un corps étranger, en quelque sorte, qui demeure toléré pendant la gestation.

Ces découvertes montrent que la placentation pourrait être, pour une large part, mise au crédit du monde viral - dont les biologistes se demandent s'il faut ranger les représentants parmi les organismes vivants ou parmi les assemblages inertes de macromolécules. Voilà qui prend à contre-pied l'idée simple selon laquelle les virus ne participeraient à l'évolution des espèces qu'en éradiquant sporadiquement des individus, participant ainsi aux mécanismes de sélection naturelle. "La question qui se pose est en effet de savoir comment un événement aussi rare et accidentel que l'entrée d'un rétrovirus dans une cellule germinale peut jouer un rôle déterminant dans l'émergence d'un phénomène biologique aussi crucial que la placentation", ajoute M. Heidmann.

A cette interrogation, les auteurs répondent par une hypothèse audacieuse mais logique: l'apparition des mammifères et de leur mode de reproduction a sans doute été suscitée par l'introduction, dans le génome de leur ancêtre commun, d'un rétrovirus primordial.

On le voit, les virus n'ont décidemment pas fini de nous étonner et semblent bien jouer un rôle fondamental dans le mécanisme d'évolution du vivant et dans l'apparition de caractéristiques biologiques et génétiques spécifiques aux mammifères, notamment en matière de reproduction.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

Noter cet article :

 

Recommander cet article :

back-to-top