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Edito : La vie reconstruite

Des scientifiques américains, dirigés par le très médiatique Craig Venter, ont annoncé il y a quelques semaines qu'ils avaient réussi à fabriquer artificiellement un bactériophage (virus infectant uniquement les bactéries) en deux semaines. Celui-ci est alors totalement virulent et indistinguable du virus naturel. Cette annonce relance les spéculations sur la possibilité de création de nouveaux organismes vivants par l'homme. Les phages sont donc des virus infectant uniquement les bactéries. Ce phage est le premier organisme dont le génome a entièrement été séquencé en 1978. Son génome est constitué d'une molécule d'ADN circulaire de 5386 nucléotides et ne possède que 11 gènes. La finalité de ces recherches est de pouvoir fabriquer de nouvelles formes de vie bactérienne spécialement conçues pour lutter contre la pollution, fixer le CO 2, décontaminer un site radioactif, fabriquer de nouveaux vaccins, ou digérer les plastiques. En tant que telle, la seule nouveauté apportée par Craig Venter est la rapidité avec laquelle son équipe a réussi à construire ce virus. En effet, au mois d'Août 2002, le journal Science publiait les travaux d'une autre équipe américaine ayant réussi à construire dans un tube à essai le poliovirus responsable de la poliomyélite. Ce virus à ARN possédant 7741 nucléotides, créé de toutes pièces, était fonctionnel même si son génome possédait des erreurs apparues durant les étapes de synthèse in vitro. Ce travail avait nécessité près de trois années de recherche. Cette fois-ci, il a suffi d'à peine deux semaines pour obtenir une copie synthétique du phage. Cette rapidité provient du fait que les chercheurs ont modifié une technique classique de biologie moléculaire, la PCR " Réaction de Polymérisation en Chaîne ", qui permet de recopier une séquence d'ADN en des milliers d'exemplaires. La nouvelle technique appelée PCA (Assemblage par Polymérisation en Chaîne) permet dans la même étape de réaction de recopier les fragments d'ADN du génome et de les lier entre eux. L'ADN ainsi obtenu a été inséré dans Escherichia coli afin que le phage puisse être fabriqué par la bactérie. Le virus ainsi formé s'est montré pleinement virulent, capable d'infecter et de tuer les bactéries. La rapidité d'obtention de ce virus fabriqué de manière synthétique diminue fortement le temps nécessaire à l'obtention d'un organisme vivant plus complexe fabriqué de toutes pièces. A titre de comparaison, une bactérie possède un génome de 100 à 1000 fois plus complexe que le phage Phi-X174. Il y a quelques jours, d'autres chercheurs américains de l'Institut Médical Howard Hugues sont parvenus, à l'aide d'algorithmes sophistiqués, à concevoir et à construire une protéine fonctionnelle qui n'existe pas dans la nature. Lorsqu'elles sont produites dans notre organisme, les protéines sont constituées de longues chaînes d'acides aminés et ne peuvent pas fonctionner correctement avant de se replier pour former des structures tridimensionnelles complexes. Comprendre et modéliser les lois qui régissent ce processus de "pliage" moléculaire des acides aminés est un des problèmes centraux de la biologie. Pour réaliser cette protéine artificielle, les chercheurs ont dû surmonter de nombreuses difficultés techniques, liées aux multiples contraintes d'organisation moléculaire des 20 acides aminés connus dans la nature, mais aussi au nombre énorme de combinaisons possibles entre ces acides animés. Les scientifiques américains sont finalement parvenus à concevoir et à produire une protéine qui n'existe pas dans la nature et qu'ils ont baptisée "Top7". Grâce à la cristallographie par rayon X, les chercheurs ont pu vérifier la structure tridimensionnelle de cette protéine et constater que celle-ci s'était repliée exactement comme ils l'avaient prévu. Selon David Baker, la possibilité de concevoir et de prévoir ce pliage tridimensionnel des protéines pourrait à terme révolutionner la biologie et la médecine. “L'enseignement le plus important de ces recherches est que nous pouvons maintenant concevoir les protéines complètement nouvelles qui sont à la fois très stables, et très proches dans leur structure, de ce que nous voulions,” souligne Baker. "Le prochain grand défi va être à présent de concevoir et construire des protéines avec des fonctions précises qui soient utilisables sur le plan thérapeutique" souligne Baker. “D'un point de vue plus théorique, dans le cadre d'une meilleure compréhension de l'évolution de la vie, nous voulons aussi savoir si les plis des protéines observées dans la nature constituent l'ensemble des solutions viables que la vie a expérimenté ou s'il peut exister des protéines dont la structure tridimensionnelle est radicalement différente de ce que nous connaissons” poursuit Baker. Les annonces, à quelques semaines d'intervalle, de la fabrication d'un virus puis d'une protéine artificielle, nous montrent à quel point nous progressons rapidement vers la maîtrise de cette ingénierie du vivant. Dans quelques années, nous serons capables de concevoir et de fabriquer les constituants du vivant, et sans doute même, des organismes vivants complets, qui n'existent pas dans la nature. L'homme disposera alors d'un pouvoir démiurgique et presque sans limites qu'il pourra utiliser pour le meilleur mais aussi pour le pire. Il nous appartient donc de mettre en place rapidement les garde-fous démocratiques, juridiques et éthiques qui devront garantir que cette nouvelle puissance sera utilisée pour le bien commun de l'humanité avec prudence et sagesse.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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