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Edito : Vers la virtualisation de la société

Dans sa dernière étude, Médiamétrie a établi le «le bilan de dix ans d'internet en France». (Voir étude). On y apprend que, de 1997 à 2006, le nombre de foyers français connectés à Internet a été multiplié par 100. Au premier trimestre, 9.911.000 foyers français sont équipés d'une connexion Internet contre 95.000 foyers au dernier trimestre 1996. En décembre 2005 : deuxième date historique pour l'Internet en France, le cap des 50 % d'internautes est franchi. Plus d'un Français sur 2 est internaute, c'est-à-dire que plus de 50 % des Français ont surfé sur un site internet au cours du dernier mois. Pourtant, la "fracture numérique" est "toujours présente", note cependant Médiamétrie, soulignant que plus des deux tiers des foyers ont accès à Internet aux Etats-Unis, alors que cinq foyers sur 10 sont équipés d'une connexion Internet en Allemagne ou en Angleterre. La France, en retrait, compte moins de quatre foyers sur 10 (38,8 %).

Une récente étude d'Eurostat, l'agence de statistiques de la Commission européenne, intitulée La société de l'information en 2005 portant sur le niveau de compétences des Européens en matière d'informatique, vient de révéler, pour sa part, que les deux tiers des personnes âgées de 55 à 74 ans n'avaient aucune notion dans ce domaine. Cette enquête, qui porte sur les personnes âgées de 16 à 74 ans, révèle par ailleurs une très forte disparité dans les aptitudes informatiques des seniors entre le Nord et le Sud de l'Europe, avec un écart variant de 1 à 6. C'est ainsi que 65 % des Grecs, 59 % des Italiens et 57 % des Hongrois n'ont aucune connaissance de base en informatique, contre seulement 10 % au Danemark et 11 % en Suède.

Ce pourcentage n'est malheureusement pas disponible pour la France mais on peut craindre qu'il soit dans notre pays plus proche du pourcentage des pays méditerranéens que des pays scandinaves. Cette fracture générationnelle est très préoccupante quand on sait que le nombre de personnes âgées va doubler dans notre pays au cours des trente prochaines années et que dans moins de 10 ans le nombre des plus de 65 ans dépassera celui des moins de 20 ans en France.

Enfin, une dernière étude a été publiée il y a quelques jours par le cabinet Accenture qui présentait son baromètre mondial consacré à l'administration électronique. La société a mené deux enquêtes. Dans la première, il a interrogé les hauts fonctionnaires de onze pays considérés comme leaders dans l'e-administration, tandis que la seconde a été conduite auprès de 8.600 citoyens, dans 21 pays. S'agissant de la France : 74 % des personnes interrogées affirment que le Net facilite leurs démarches administratives. La France arrive d'ailleurs en tête de ce classement, devant l'Irlande, le Danemark et la Finlande.

Mais cette étude révèle également, de manière apparemment paradoxale, que les Français sont parmi les plus critiques vis-à-vis du développement de l'administration électronique. La France est ainsi le pays où la perception de l'efficacité de la coopération entre administrations a le plus baissé (-30%) et où les citoyens perçoivent le moins les efforts fournis pour développer l'administration électronique. Autre enseignement de cette étude, les Français qui plébiscitent l'usage des nouvelles technologies de l'information, tels qu'internet, le SMS et le téléphone pour accéder aux services administratifs, souhaitent aller encore plus loin avec la possibilité par exemple de réserver une place de parking depuis un téléphone portable ou d'être informés des événements culturels de la ville via des kiosques électroniques.

Il est réconfortant de constater, à la lumière de cette étude, que nos concitoyens sont moins frileux que nos administrations et nos élus et souhaitent des services publics en ligne plus simples à utiliser. Les Français, après s'être massivement équipés à leur domicile, souhaitent également franchir une nouvelle étape vers la société numérique en pouvant accéder en mobilité, via leur portable, à une multitude de services publics. Or, il faut bien reconnaître que pour l'instant les services publics en ligne, qu'ils soient locaux ou nationaux, restent peu accessibles à partir d'un simple téléphone mobile alors que notre pays compte à présent plus de 45 millions de mobiles, plus d'un par adulte !

Mais en matière d'administration électronique et d'aménagement numérique du territoire, la France vient de se doter d'un nouvel outil exceptionnel dont on n'a sans doute pas encore mesuré les immenses potentialités. Il s'agit du Géoportail ouvert par l'IGN depuis le 23 juin. Ce géoportail, qui offrira la France en 3D dès cet automne, permet de voir l'environnement réel, par exemple de son domicile, grâce aux géophotos (vues aériennes), mais également de visualiser les voies de communication, les limites d'une commune, le dénivelé, grâce à des orthophotos (cartes et graphiques). La résolution des images est bien meilleure que celle d'un site comme Google Earth, qui propose depuis bientôt un an un survol de la planète de qualité variable selon les zones.

Quelque 400.000 clichés photographiques sont disponibles sur ce site, ainsi que, à terme, quelque 3.700 cartes à différentes échelles actuellement vendues sur papier par l'IGN. Outre les éléments topographiques classiques offerts par l'IGN - lacs, routes, villages, le Géoportail permet de visualiser grâce au moteur de recherche "géocatalogue", de nombreuses données publiques locales telles que les infrastructures de transport, les plans d'urbanisme, les cartes de prévention des risques et les cartes géologiques. Dès l'année prochaine, seront disponibles les données topographiques de 87 départements, soit 2,3 millions de kilomètres de routes et chemins, 700.000 cours d'eau, 18 millions de bâtiments.

Mais notre pays pourrait aller beaucoup plus loin en s'inspirant notamment de portails comme Rennes Citésvision qui permet de naviguer dans la maquette virtuelle en 3D de la Ville de Rennes et de localiser plus de 1300 organismes. La recherche des organismes se fait soit par son nom, soit par thème, soit par quartier. On peut aussi localiser n'importe quelle adresse rennaise ainsi que les stations de bus ou métro à proximité des adresses sélectionnées. On pourrait imaginer qu'à partir de la navigation en 3 D dans toute la France, il soit possible d'accéder directement aux sites Web correspondant à toutes les administrations publiques et collectivités locales ainsi qu'à toutes les entreprises, artisans et professions libérales qui le souhaitent.

On peut même aller encore plus loin et imaginer que ce géoportail intègre à terme tous les abonnés au téléphone le souhaitant et qu'il devienne alors possible, en cliquant simplement sur un immeuble ou une maison, d'avoir accès instantanément aux numéros de téléphone, aux adresses électroniques et aux sites Web personnels des occupants de cette habitation. A ce stade, nous serions parvenus à une véritable virtualisation du territoire mais aussi de l'économie et de l'administration et nous pourrions, où que nous soyons, depuis notre ordinateur, notre PDA ou notre mobile, nous déplacer dans cette France virtuelle et contacter de manière intuitive tous les services publics, toutes les entreprises ou tous les particuliers. Mais nous pourrions également, à chaque instant, disposer des meilleurs services personnalisés, qu'ils soient publics ou privés.

Prenons un exemple : Madame Durand se rend pour la première fois à Marseille pour visiter la ville. Elle arrive en TGV Gare St Charles et souhaite se rendre à pied au Vieux Port puis à Notre Dame de la Garde. Grâce à son PDA, elle va être guidée dans son trajet et pourra même visiter le petit hôtel particulier situé un peu à l'écart que son PDA va lui signaler au passage. En arrivant sur le Vieux Port, Mme Durand reçoit automatiquement sur son PDA un message de la ville de Marseille l'informant qu'un spectacle nautique aura lieu le soir et qu'elle est la bienvenue. Le message lui signale également que, si elle le souhaite, un excellent hôtel situé sur le Vieux Port, lui propose une chambre pour la nuit avec une réduction de prix de 30 %.

Madame Durand est intéressée et clique immédiatement sur le lien correspondant à cet hôtel. Après avoir effectué une rapide visite virtuelle de sa chambre d'hôtel elle réserve en ligne d'un seul clic et en naviguant sur sa carte virtuelle elle clique sur la Gare St Charles et reporte d'une journée son retour sur Paris en TGV.

Elle consulte ensuite la liste des restaurants de poissons situés à moins de 500 mètres de l'endroit où elle se trouve et réserve une table pour 13H00. Mais alors qu'elle déambule sur le Port, elle reçoit un message sur son PDA lui indiquant qu'un important cabinet d'experts-comptables, situé à moins d'un Km, recherche un collaborateur correspondant à son profil. Madame Durand, qui a toujours rêvé de s'installer dans le Midi, consulte le détail de l'offre et en quelques clics, envoie à ce cabinet son CV audio-vidéo.

Après avoir déjeuné, Mme Durand décide ensuite de se rendre en bus chez sa tante qui habite à l'autre bout de la ville. Après avoir entré le nom de sa tante, son PDA lui indique sur sa carte virtuelle, grâce au géopositionnement, le trajet qu'elle doit effectuer pour aller chez sa tante et lui signale qu'elle peut y aller directement en prenant le 412 qui passera dans 15 minute à l'angle de la Rue St Ferréol, à 300 mètres de l'endroit où elle se trouve.

Alors qu'elle se trouve dans le bus et profite de la traversée de Marseille, elle reçoit sur son PDA un Mail du service des Impôts lui indiquant qu'elle doit régler 145 euros avant la fin du mois pour solder son IRPP de l'année précédente. Madame Durand accède alors à son compte bancaire en ligne et effectue immédiatement ce virement bancaire aux Impôts.

Science-Fiction me direz-vous ? Pas du tout, de tels services correspondent à des technologies éprouvées et la plupart existent, mais de manière éparse, dans différentes villes ou différents pays. Si notre pays s'en donne les moyens, ce scénario pourrait devenir la réalité ordinaire de notre vie quotidienne avant la fin de cette décennie et nous pourrions alors passer de la société numérique à la société virtuelle dans laquelle la technologie serait véritablement au service de l'homme et deviendrait à la fois un facteur irremplaçable de compétitivité et un outil remarquable de convivialité.

Cette virtualisation pourrait également modifier de manière radicale les relations entre nos concitoyens et leurs administrations et services publics en proposant non seulement à chacun des informations et services personnalisés mais en permettant également la mise en oeuvre d'une nouvelle logique de prévision, d'anticipation et de prévention des contentieux et conflits administratifs. Si notre pays parvient, avant les autres, à réaliser cette mutation vers la société virtuelle, il disposera d'un avantage compétitif majeur pour aborder l'avenir avec confiance et pourra enfin réconcilier efficacité économique et solidarité sociale avec nos concitoyens les plus fragiles.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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