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Edito : Vers un nouvel éclairage de l’autisme ?

En un demi-siècle, l'autisme est devenu la troisième pathologie psychiatrique la plus répandue dans le monde, derrière la dépression et les troubles bipolaires, et devant la schizophrénie. Selon l’OMS, un enfant sur 160 présenterait un trouble du spectre autistique, mais cette prévalence varie notablement d’une étude à l’autre, et atteint par exemple le niveau-record d'un enfant sur 70 aux États-Unis. En France, l’Inserm estime que 650 000 personnes – dont les trois quarts sont des hommes - seraient atteintes d’autisme, soit une augmentation d'au moins 40 % en 20 ans. Alors qu'au niveau international la prévalence (nombre total de cas) des troubles du spectre autistique était évaluée à moins de 0,05 % de la population il y a 50 ans, elle atteint aujourd'hui, en moyenne, les 1 %, allant même jusqu'à 2 % aux États-Unis et 2,5 % en Suède...

Cette hausse spectaculaire du nombre de nouveaux cas d'autisme diagnostiqués doit cependant être relativisée car, selon plusieurs études concordantes, elle serait largement due à une définition plus large de ce trouble. C'est notamment ce que montre une étude américaine (Voir Wiley) réalisée en 2015 par des chercheurs de la Penn State University. Ce travail souligne en effet que "Cet accroissement pourrait être attribué à une reclassification du diagnostic des troubles neurologiques de la plupart des enfants plutôt qu'à une explosion réelle des nouveaux cas d'autisme". Une autre étude suédoise réalisée sur 20 000 enfants et adolescents va également dans le même sens (Voir BMJ) et montre que le nombre de cas réels d'autisme est resté stable entre 1993 et 2002 en Suède.

La première étude scientifique sur l’autisme a été réalisée en 1943 par le pédopsychiatre Léo Kanner. Ce trouble se caractérise par des problèmes de communication (langage et communication non verbale), des troubles du comportement et  des réactions sensorielles inhabituelles. Depuis l'étude de Kanner, de très nombreuses recherches ont tenté de déterminer les causes de cette déroutante pathologie, généralement diagnostiquée entre 18 et 36 mois, qui se manifeste sous de multiples formes : autisme atypique, syndrome de Rett, syndrome d’Asperger, troubles désintégratifs…

Aujourd’hui, une large part de la communauté scientifique s’accorde pour reconnaître que l’autisme, ou plutôt les différentes formes d’autisme, ont des causes multiples et intriquées : facteurs génétiques,  hormonaux, métaboliques, environnementaux, psychologiques et affectifs. Face à cette très grande complexité, l’étude scientifique et la prise en charge de l’autisme s’orientent de plus en plus vers des approches et des équipes pluridisciplinaires, faisant appel aux neurosciences, mais également à la psychologie et la psychanalyse.

Quant à l’opposition, longtemps irréductible dans notre pays, entre les neurosciences et la psychanalyse dans l’approche théorique de l’autisme, elle tend depuis quelques années à se réduire et est aujourd’hui très largement dépassée par la validation scientifique du concept très novateur de plasticité cérébrale, magistralement démontré par Eric Kandel, prix Nobel 2000. Grâce aux travaux de Kandel, prolongés et confirmés par d’autres recherches, on sait à présent que les expériences vécues laissent des traces dans le réseau neuronal et s’inscrivent dans la structure même de notre cerveau. On sait également que ces traces, loin d’être figées, se réassocient en permanence dans un processus dynamique de reconstruction du sujet, ce qui ouvre enfin la voie à une véritable théorie biologique de l’esprit, que Freud avait toujours souhaitée, et qui vise à articuler, sans les confondre en un vague syncrétisme, le niveau biologique et neurostructurel et le niveau psychique, symbolique et imaginaire.

Le fondateur de la psychanalyse, biologiste de formation, aurait sans doute été ravi de l’extraordinaire effervescence qui règne dans le domaine des recherches en neurosciences visant à mieux comprendre l’autisme. En novembre dernier, dans le cadre du programme scientifique InFoR-Autism, une étude de neuroimagerie IRM s’est par exemple intéressée aux liens entre la connectivité anatomique locale et la cognition sociale chez des personnes présentant des troubles du spectre de l’autisme (TSA). De manière très intéressante, les résultats de ces travaux semblent remettre en question le modèle théorique dominant selon lequel les TSA proviendraient d’un déficit de connexions « longue-distance » entre des neurones situés dans les aires cérébrales opposées, associé à une augmentation de la connectivité neuronale à « courte distance », entre des zones cérébrales adjacentes.

Ces dernières années, de nombreux travaux ont montré, chez des personnes présentant des TSA, des anomalies du fonctionnement de certaines aires cérébrales que l’on sait responsables du traitement des émotions, du langage ou encore des compétences sociales. Ces recherches sur la connectivité cérébrale des personnes avec TSA ont notamment mis en évidence un déficit de connexions « longue distance » contrastant avec une augmentation de la connectivité « courte distance ». Ces résultats ont permis la construction d’une théorie de compréhension des TSA, selon lequel le défaut d’attention sociale et de traitement de l’information observé (difficulté à appréhender une situation dans son ensemble, attention portée à certains détails) s’explique par une saturation d’informations traitées par le cerveau, liée à l’augmentation de la connectivité neuronale entre des zones cérébrales adjacentes.

Dans ces recherches, les scientifiques, en recourant à un atlas spécifiquement dédié à l’analyse par tractographie de 63 connexions « courte distance » à partir d’images obtenues par IRM de diffusion (IRMd), ont pu étudier les liens entre la connectivité « courte distance » et la cognition sociale chez une population adulte homogène de personnes présentant des TSA, issues de la cohorte InFoR-Autism (27 personnes présentant des TSA sans déficience intellectuelle et 31 personnes contrôle).

Les résultats obtenus sont pour le moins surprenants, puisqu’ils montrent que les sujets souffrant de TSA présentent une diminution de la connectivité dans 13 faisceaux « courte distance », en comparaison avec les sujets contrôles. Par ailleurs, cette anomalie de la connectivité des faisceaux « courte distance » est corrélée au déficit de deux dimensions de la cognition sociale (à savoir, les interactions sociales et l’empathie) chez les sujets présentant des TSA.

Cette étude vient donc remettre en cause la théorie actuelle, selon laquelle le déficit d’attention sociale et de traitement de l’information chez les personnes présentant des TSA serait provoqué par une augmentation de la connectivité neuronale entre des zones cérébrales adjacentes. Pour le Professeur Josselin Houenou, « ces résultats sont préliminaires mais ils suggèrent que ces anomalies de la connectivité « courte distance » pourraient être impliquées dans certains déficits de la cognition sociale présents chez les sujets autistes ».

En janvier dernier, une autre étude très intéressante est venue confirmer la piste d’un défaut de maturation des neurones avant et juste après la naissance pour expliquer l’origine de l’autisme. Dans ce travail dirigé par Robin Cloarec (Inserm), les chercheurs ont, pour la première fois, observé une augmentation des volumes du cortex et de l’hippocampe sur une région impliquée dans les interactions sociales juste après la naissance. Cette découverte renforce l’hypothèse selon laquelle l’autisme est un trouble engendré in utero. Par ailleurs, un médicament diurétique, la bumétanide, abolit cette croissance excessive chez le rat (Voir Science Advances), ce qui suggère de nouvelles pistes thérapeutiques.

En recourant à une technique de transparisation (technique d’imagerie permettant de rendre des tissus transparents) du cerveau appelée iDISCO qui permet de le visualiser en 3D, ces chercheurs ont comparé les cerveaux immédiatement avant et après la naissance, chez des rats témoins et dans un modèle animal d’autisme. Les chercheurs ont également reconstruit des neurones corticaux afin de déterminer si ceux-ci subissent des modifications durant cette période.

Ces recherches montrent clairement que, chez les rats témoins, le volume du cerveau et la taille des neurones sont semblables avant et après la naissance, observations qui concordent avec celles réalisée sur des enfants prématurés : le cerveau ne croît pas pendant la naissance, ce qui correspond probablement à un rôle protecteur pendant une période vulnérable, rôle qui pourrait résulter de l’action d'un facteur de croissance comme le Brain-Derived Neurotrophic Factor (BDNF). Ces recherches ont également montré que la bumétanide, un médicament diurétique, abolit cette croissance excessive, ce qui ouvre une piste thérapeutique à explorer. Selon ces travaux, le mécanisme protecteur qui prépare le cerveau à la naissance serait impacté dans l’embryon du futur enfant autiste, ce qui le rendrait plus vulnérable. « Nos travaux montrent pour la première fois que l’événement intra-utérin qui génère l’autisme impacte le travail et la naissance », souligne le Professeur Ben-Ari.

Cette croissance du cerveau lors de l’accouchement pourrait aggraver le phénomène pathologique intra-utérin mais aussi modifier le travail et provoquer les accouchements prématurés. « On sait que chez les adolescents autistes, le cerveau est plus grand que celui des adolescents non touchés par la maladie. Avec cette découverte, on vient de découvrir que ce processus commence déjà pendant l’accouchement » précise le Professeur Ben-Ari. Reste que ces travaux ne permettent pas de trancher pour savoir si c’est l’autisme qui déclenche la prématurité, ou la prématurité qui provoque l’autisme…

En 2018, une autre équipe de recherche suisse a identifié un circuit cérébral spécifique pouvant conduire à des déficiences sociales dans les troubles du spectre autistique (TSA). Ces chercheurs ont montré que l'augmentation de l'activité de cette zone, l’habenula, conduit à des déficits sociaux chez les rongeurs. Corrélativement, la réduction de cette activité semble diminuer ces anomalies comportementales (Voir Biological Psychiatry).

L'étude suggère ainsi que les déficiences sociales caractéristiques du TSA peuvent provenir de l'altération de l'activité dans ce circuit, et que l'ajustement de ce circuit pourrait contribuer au traitement des troubles du comportement social dans l’autisme. Une activité anormale de ce circuit pourrait donc être impliquée, chez certains patients, dans le déclenchement de troubles autistiques.

Ces recherches ouvrent également de nouvelles perspectives dans la compréhension d'autres pathologies, comme la schizophrénie et la dépression. Car ce circuit comprend des zones cérébrales impliquées dans la récompense et le plaisir. Ces travaux confortent l'hypothèse selon laquelle le dysfonctionnement social observé dans l’autisme pourrait être lié à un moindre plaisir dans l'interaction sociale.

Quant aux bases génétiques de l’autisme, elles restent très difficiles à cerner, comme le souligne Thomas Bourgeron, qui est professeur de génétique à l'Université Paris Diderot et chercheur à l'Institut Pasteur de Paris. Celui-ci rappelle fort justement qu’en dépit des avancées dans l'identification des gènes et des voies biologiques associés à l'autisme, les chercheurs ne comprennent toujours pas comment la même mutation peut avoir des résultats divergents. Il souligne également qu’il est important de comprendre comment certaines personnes autistes portent des mutations associées à l’autisme sans présenter les symptômes et semblent résilients, c’est-à-dire capables de faire face à des mutations délétères et de ne pas déclencher cette pathologie.

Pour cet éminent chercheur, l’architecture génétique de l'autisme est diffuse et hétérogène. Chez certaines personnes, une seule mutation semble suffire à avoir un diagnostic d’autisme. Dans d'autres cas, l'autisme est probablement dû à l'effet additif de milliers de variants génétiques communs retrouvés dans la population générale, chacun ayant un faible effet.

Malheureusement, déplore Le Professeur Bourgeron, l'identification de ces gènes a involontairement contribué à l'émergence d'une conception simpliste de l'autisme en tant que trait binaire : vous être atteint, ou pas, par ce trouble. Mais cette vision manichéenne ne prend pas en compte l’extrême hétérogénéité clinique de l’autisme. En outre, on sait à présent que les mutations connues et associées à l'autisme ne conduisent pas toujours à l’apparition de ce trouble. Pour certaines mutations, tous les porteurs vont certes présenter des troubles autistiques, mais pour d’autres mutations, seule une faible proportion des personnes porteuses sera atteinte par cette pathologie.

Une toute récente étude, publiée il y a quelques semaines et réalisée par des chercheurs de l’Université du Colorado (Etats-Unis), est venue confirmer cette grande complexité des bases génétiques de l’autisme. Selon ces travaux, certains des gènes impliqués dans l’autisme ne seraient pas identifiables par les méthodes d’analyses classiques (Voir University of Colorado Anschutz Medical Campus).

L’équipe de James Sikela, professeur du département de biochimie et de génétique moléculaire de l’Université du Colorado, a analysé les génomes de personnes atteintes d’autisme. Ces chercheurs ont montré qu’une séquence génétique, appelée DUF1220 (ou Olduvai), avait un lien avec l’apparition des symptômes. La particularité de cette séquence génétique est qu’elle se répète et est très variable. Afin de mieux évaluer le rôle de ces gènes dans la gravité de l’autisme, ces scientifiques ont développé une technique de mesure plus précise qui a permis de cibler les gènes de la séquence DUF1220 qui pourraient être impliqués dans certaines formes d'autisme. Mais, de l’avis du Professeur Sikela, il reste un immense travail d’identification et d’analyse pour comprendre le rôle des mécanismes génétiques dans l’apparition des troubles autistiques.

Il faut également évoquer une nouvelle piste thérapeutique qui est explorée depuis une dizaine d'années : celle de l'ocytocine. En 2010, l’équipe d’Angela Sirigu (Centre de neuroscience cognitive – CNRS/Université Claude Bernard Lyon 1) est parvenue à démontrer que l’administration d’ocytocine (une hormone connue pour son rôle dans l’attachement maternel et le lien social) par vaporisation nasale améliorait de manière significative les capacités des patients autistes à interagir avec les autres personnes.

En 2015, une équipe du Brain and Mind Centre de l'Université de Sydney (Australie) a voulu également vérifier l'hypothèse postulant que l'apparition de l'autisme pouvait être favorisée par un déficit d'ocytocine au moment de la naissance ou encore que ces personnes présentaient des taux de cette hormone anormalement bas dans le sang (Voir NCBI). Ainsi, 31 enfants de 3 à 8 ans atteints du trouble du spectre autistique ont reçu par voie nasale 2 doses quotidiennes soit de cette hormone, soit d'un placebo. Deux phases de l'essai espacées de 4 à 5 semaines pour éviter le risque d'interférence de l'hormone avec le placebo, et vice versa. Résultat : ce traitement a amélioré leurs symptômes d’un point de vue comportemental, émotionnel et en termes de sociabilité.

Après traitement par ocytocine, les parents ont rapporté de meilleures interactions avec leurs enfants, et l’évaluation par des cliniciens indépendants a confirmé cette amélioration de la réponse sociale au Centre de suivi. Mais pour intéressante qu'elle soit, cette voie de l'ocytocine ne saurait en aucun cas constituer une panacée dans le traitement des troubles autistiques. Il faudra en effet réaliser de nombreuse autres études, bien plus larges, pour pouvoir évaluer correctement le potentiel thérapeutique de cette piste dans les différentes formes d'autisme et repérer les éventuels effets indésirables d'une telle thérapie sur le long terme...

On le voit, l'approche scientifique et médicale de l'autisme a considérablement évolué au cours de ces trente dernières années, même si la prise en charge de cet ensemble déroutant de troubles reste malheureusement difficile en France, du fait, notamment d'une insuffisance criante de structures, de moyens d'accueil et de soins adaptés (seule une personne autiste sur six bénéficie d'un accompagnement médico-psychologique approprié dans notre pays).

C'est dans ce contexte qu'il y a quelques jours, le CHU de Montpellier a lancé le projet Elena (Étude Longitudinale chez l'Enfant avec Autisme), un vaste programme de recherche, qui consiste à suivre une cohorte de 800 enfants et adolescents, âgés de 2 à 16 ans, qui présentent des troubles du spectre autistique. Cette étude, d'une ampleur sans précédent, va inclure à terme 850 jeunes patients (Voir Cohorte ELENA). Pendant six ans, chaque patient sera suivi par une équipe  pluridisciplinaire de cliniciens et de chercheurs. Treize centres spécialisés dans toute la France seront chargés de collecter des données cliniques, médicales, sociales et environnementales, qui seront passées au crible. L’impact de la pollution de l’air, des perturbateurs endocriniens, mais également les parcours de vie familiale et sociale des patients seront notamment pris en compte, analysés et recoupés.

Cette étude, résolument transdisciplinaire vise à la fois à identifier de nouveaux facteurs de risque, et à mieux évaluer leur poids respectif dans les différents types de troubles répertoriés. Espérons qu'elle permettra, en synergie avec les avancées de la recherche, et grâce à une collaboration scientifique et clinique plus étroite entre les approches neurobiologiques, psychologiques et psychanalytiques, de mettre en place des mesures de prévention plus adaptées et des traitements plus ciblés afin, non seulement d'améliorer la qualité de vie et l'intégration socio-professionnelle des personnes touchées par ces troubles autistiques, mais peut-être de parvenir également à réduire de manière significative l'incidence de cette maladie.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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