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Vers un blocage génétique du cancer?

Les récents développements de la génétique moléculaire et cellulaire laissent entrevoir la possibilité extraordinaire de « bloquer » à la source l'apparition du cancer en modifiant l'homme génétiquement, comme le raconte l'immunologiste Jean-Claude Weill. Voici la synthèse de son intervention du 5 juillet 2008.

«Dans le film Blade Runner, le répliquant, c'est-à-dire l'androïde créé de toutes pièces par un savant tout puissant, force la porte de son créateur, car s'il le félicite pour la beauté et la précision de sa création, il refuse que cela s'arrête : il ne veut pas mourir. Le maître lui répond que si tout a été si parfait, c'est justement parce qu'il a fait le choix de la perfection au détriment de la longévité.

Cette scène pourrait résumer le choix qu'a fait l'évolution pour nous les humains et aussi probablement pour de nombreuses espèces. En effet, la sélection naturelle permet aux individus ayant les meilleures performances reproductives de dominer numériquement d'autres espèces qui, elles, finissent par s'éteindre. Selon ce schéma de l'évolution (il y en a d'autres), les chances de survie déclinent avec la fertilité. Le prix à payer est que, passée cette période de reproduction, l'évolution n'est plus concernée par ce qui peut nous arriver et nous devenons alors la cible de toutes sortes d'affections, tumorales, neurodégénératives, etc.

Ainsi, parmi nos 20 000 gènes, nous possédons des gènes que l'on appelle les gardiens du génome parce que, lorsqu'ils sont mutés - c'est-à-dire inactivés - ils peuvent induire la cancérisation de cellules. Par exemple, dans plus de la moitié des cancers chez l'homme, on observe une altération du gène P53 sur les deux chromosomes (paternel et maternel), le pic d'émergence du cancer étant entre 60 et 65 ans. Certains enfants qui naissent avec un seul gène P53 fonctionnel sont atteints du syndrome de Li-Fraumeni, du nom des deux chercheurs ayant décrit cette maladie génétique qui se caractérise par l'apparition d'un cancer à l'âge de 20 ans en moyenne. Au vu de cette relation presque linéaire entre l'inactivation du gène P53 et l'apparition d'une tumeur, je posais naïvement la question, il y a quelques années : pourquoi l'évolution ne nous a-t-elle pas équipés de trois ou quatre gènes P53 afin que nous développions des tumeurs à 120 ans et non à 60 ?

N'étant pas chercheur en cancérologie mais en immunologie, j'ai proposé cette idée à une équipe espagnole de cancérologie, dirigée par Manuel Serrano, lors d'une visite que je faisais dans son institut à Madrid. Manuel Serrano et ses collègues produisirent des souris avec 3 gènes P53 au lieu de deux, qu'ils appelèrent Sup-P53. Ils démontrèrent que ces souris résistaient mieux aux tumeurs induites et spontanées et qu'en plus, elles ne semblaient pas présenter d'autres symptômes provoqués par cet ajout génétique. Nous publiâmes ce travail dans la revue européenne de référence Embo Journal et il fut commenté dans toutes les grandes revues scientifiques.

Manuel fabriqua ensuite d'autres souris transgéniques, introduisant d'autres gènes protecteurs du cancer (P14-P16). A nouveau, ces souris résistaient mieux aux cancers spontanés et induits. Sa plus belle souris, publiée dans la revue Nature en 2007, fut le produit du croisement des deux précédentes : elle possédait trois gènes P53 et trois gènes P14-P16 et montrait la plus grande résistance aux cancers et une longévité augmentée de 20 %. Dès lors que l'on saura remplacer tous nos organes défaillants grâce au clonage thérapeutique, perspective pas si lointaine, ne pourra-t-on envisager de renforcer ces organes, avant leur greffe, avec certains gènes susceptibles de nous protéger de leur cancérisation ou de leur dégénérescence ? »

Libé

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