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Avenir

Des tunnels dans l'espace-temps

Sans voyage supraluminique, comment rendre crédible une saga galactique dont les personnages se déplacent sur 100 000 années-lumière? La science est pourtant formelle : pas moyen de dépasser la vitesse de la lumière. Alors, sommes-nous définitivement contraints à une vitesse d'escargot? Le voyage vers les étoiles paraît ardu quand on songe aux distances colossales qui nous séparent des astres les plus proches. Réduisons le Soleil, dont le diamètre est de 1,4 million de kilomètres, à la taille d'une bille d'un centimètre de diamètre. À cette échelle, la Terre n'est qu'un point d'imprimerie, d'un dixième de millimètre, en orbite à environ un mètre de notre bille. Pluton, la plus lointaine planète du Système solaire, est alors à 42 mètres de la bille et l'étoile la plus proche, Proxima du Centaure, distante de 4,3 années-lumière du Soleil, en est éloignée de 292 kilomètres. À l'évidence, le franchissement de telles distances nécessitera des moyens de déplacement rapides... La difficulté d'un tel voyage réside en la limite de la vitesse de déplacement. En 1905, Albert Einstein cherchant à résoudre les contradictions entre la physique galiléenne, où les vitesses s'ajoutent, et l'électromagnétisme de James Maxwell, où les ondes lumineuses se déplacent toujours à la vitesse de la lumière, ni plus ni moins, postule que la vitesse de la lumière est un invariant absolu et infranchissable. L'un des aspects fondamentaux de la théorie d'Einstein en découle : le temps n'est pas absolu et dépend du mouvement de celui qui le mesure. Vu de la Terre, un vaisseau spatial voyageant à une vitesse inférieure de 0,005 pour cent de celle de la lumière atteindra Proxima du Centaure en à peine plus de 4,3 ans. Pour atteindre Deneb, l'étoile la plus brillante de la constellation du Cygne distante de 1 630 années-lumière, il faudra compter un peu plus de 1 630 ans. Toutefois, la durée du voyage Terre-Deneb mesurée par les passagers du vaisseau n'est que de 16,3 ans, c'est-à-dire 100 fois inférieure à la durée mesurée par un observateur resté sur Terre. Le déplacement à une vitesse proche de celle de la lumière résout donc le problème du voyageur qui souhaite atteindre sa destination en un temps raisonnable, de son point de vue, mais pas de celui des personnes qui attendent son retour sur Terre (à condition toutefois de trouver un moyen de propulsion efficace).Dans sa seconde théorie de la relativité, dite relativité générale, élaborée en 1915, Einstein montre comment la présence de matière modifie l'espace-temps. Dans cette théorie, l'espace-temps devient une entité déformable et les corps s'y déplacent d'un point à un autre en suivant une trajectoire de plus court chemin. Par exemple, dans un espace-temps courbé par un objet massif, la trajectoire d'un corps lancé ou d'un rayon lumineux épousera la courbure de l'espace-temps. Augmenter la vitesse n'est alors plus le seul moyen pour diminuer le temps de parcours, qu'il soit mesuré par un observateur terrestre immobile ou par le voyageur : avec un espace-temps élastique, on peut aussi diminuer la distance à parcourir. Pour ce faire, il “suffit” de déformer l'espace-temps. En imaginant un espace-temps élastique, on peut imaginer rapprocher de nous, non pas Deneb elle-même, mais l'espace-temps qui l'entoure. Ainsi, le trajet de la Terre à Deneb peut prendre un temps aussi court que voulu, en rétrécissant suffisamment l'espace-temps de la Terre et celui de Deneb. Est-ce envisageable dans le cadre de la physique actuelle? En 1994, le physicien britannique Miguel Alcubierre a proposé une méthode de déplacement originale. Fondée sur une solution des équations de la relativité générale, elle décrit une bulle en mouvement sans modification de l'espace extérieur situé à grande distance : l'espace-temps est contracté juste devant la bulle et dilaté juste derrière. En effet, si l'espace se dilate derrière le vaisseau, le lieu que vous venez de quitter se trouve soudain loin derrière ; de même si l'espace se contracte devant vous, votre objectif est rapproché d'autant. Cette bulle transporte le contenu de son espace-temps intérieur à des vitesses qui peuvent être supérieures à celle de la lumière du point de vue d'un observateur lointain et extérieur à la bulle, alors que, localement, le voyageur ne se déplace jamais plus vite que la vitesse de la lumière. Le vaisseau est ainsi transporté à la manière d'un surfeur sur une vague : bien que la vague se déplace, le surfeur reste quasi immobile par rapport à la vague, mais pas par rapport à la plage. De la même façon, le vaisseau est entraîné à grande vitesse par rapport aux étoiles lointaines. Il subsiste une différence notable : la vitesse du surfeur est imposée par le déplacement de la vague, limité par les lois de l'hydrodynamique ; pour notre vaisseau dans une bulle, rien de tel, car les lois de la relativité générale ne s'applique que localement et ne limitent pas la vitesse de déplacement de la bulle, à condition d'y mettre l'énergie nécessaire. Notre bulle d'espace-temps peut ainsi se mouvoir aussi vite que l'on veut, 100, 1 000 ou un million de fois plus vite que la lumière. Cependant, hors toute considération d'énergie, notre bulle à un défaut dans sa cuirasse : le physicien russe Sergueï Krasnikov a noté que la déformation de l'espace-temps est telle qu'un signal lumineux envoyé par le voyageur situé au centre de la bulle n'atteint jamais sa surface. De l'intérieur de la bulle, il est donc impossible d'exercer une influence sur cette dernière et, en particulier, on ne peut ni la créer ni l'arrêter à partir du vaisseau. Pour remédier à cette difficulté, S. Krasnikov a imaginé un “métro supraluminique”. Partant de la Terre, un vaisseau déforme l'espace-temps dans son sillage, à mesure qu'il progresse vers sa destination à vitesse subluminique. Au cours de ce voyage, il laisse derrière lui un tube où l'espace-temps est déformé. Son but atteint, le vaisseau retourne sur Terre en empruntant le tube créé à l'aller. Pour un observateur terrestre, le vaisseau peut arriver à un instant arbitrairement proche de son instant de départ, sans toutefois pouvoir revenir avant d'être parti. Le voyageur, quant à lui, mesurera un temps de parcours qui sera d'autant plus court qu'il se déplacera à une vitesse proche de celle de la lumière. En ajustant la déformation de l'espace-temps mise en oeuvre lors du voyage aller, le voyageur peut même rendre le temps de voyage mesuré par un observateur terrestre et par lui-même égaux! Du point de vue terrestre, le tube de Krasnikov est analogue à un tunnel qui permet de remonter le temps : le vaisseau part de la Terre, met 1 630 ans pour rejoindre Deneb, puis revient juste après son moment de départ, comme s'il avait remonté le temps lors du retour. Pourrait-on aller encore plus vite que ce déplacement instantané du point de vue de l'observateur terrestre? Reprenons notre vaisseau au retour de Deneb qui, au lieu d'emprunter le tube créé à l'aller, construit un second tube allant en sens opposé. Le voyage aura duré 32,6 ans en temps du vaisseau et 3 260 années terrestres. Un voyageur malin empruntant le deuxième tube pour aller vers Deneb puis le premier pour retourner sur Terre arrivera 3 260 années terrestres avant sa date de départ! Avec deux tubes de Krasnikov joignant deux points dans deux directions opposées, il est en principe possible de voyager dans le temps et donc de violer le principe de causalité, imposé par la logique (les physiciens résolvent ce paradoxe en estimant que la création d'une telle machine temporelle engendrerait des fluctuations quantiques qui détruiraient les tubes). En théorie, le physicien dispose donc d'un moyen de déplacement rapide, mais est-ce envisageable en pratique? La dilatation de l'espace-temps nécessite l'utilisation de matière exotique qui, contrairement à la matière ordinaire, aurait une énergie négative. Conséquence : au lieu de contracter l'espace-temps comme la matière que nous connaissons, la matière exotique le dilate. De nombreux cosmologistes pensent que, lors de son évolution précoce, l'Univers a subi une phase d'expansion accélérée au cours de laquelle son contenu en matière était dominé par une telle matière exotique. Par ailleurs, des observations récentes indiquent que l'expansion de notre Univers s'accélère. Comme la matière ordinaire d'énergie positive a tendance à ralentir l'expansion, une accélération de l'expansion n'est explicable que s'il existe une quantité non négligeable de matière exotique, cachée, comme son non l'indique, aux confins de l'Univers. Comme quoi, le métro interstellaire est peut-être pour bientôt...

Pour la Science/Janvier 2000 : http://www.pourlascience.com/

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