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Edito : Le télescope spatial James Webb va relancer les grands projets scientifiques mondiaux…

Depuis son réglage et sa mise en service, le 7 juin dernier, et la transmission de sa toute première image, d'une netteté exceptionnelle, de l'étoile 2MASS J17554042 + 6551277, une géante rouge située à 1987 années-lumière de notre planète, le télescope spatial James Webb (le JWST) a déjà réalisé une multitude d’observations et fait plusieurs découvertes majeures qui dépassent largement les attentes de la communauté scientifique et ne constituent sans doute qu’un avant-gout des extraordinaires avancées que va permettre cet outil unique, dont la précision et les performances s’avèrent in situ bien meilleures que prévues.

Le 11 juillet dernier, c’est le Président Biden en personne qui a tenu à présenter au monde les premières images époustouflantes de netteté et de précision de l’univers lointain. Parmi celles-ci, on a pu admirer l'amas de galaxies SMACS 0723, formé peu après le Big Bang, il y a 13 milliards d’années. Les astronomes et scientifiques ont également pu admirer, comme ils ne l’avaient jamais vu, le célèbre quintette de Stephan, situé à 340 millions d’années-lumière, dans la constellation de Pégase et découvert par l’astronome français Edouard Stephan en 1878. Mais pour les spécialistes, l’image la plus belle dévoilée ce jour-là fut sans conteste celle de la nébuleuse de la Carène, une pouponnière d'étoiles située à environ 7 600 années-lumière de notre Terre (Voir Numerama). Début aout, le JWST nous envoyait cette splendide photo de la fameuse Roue de chariot, une galaxie située à 500 millions d'années-lumière, dans la constellation du Sculpteur (visible dans l'hémisphère Sud), et qui tient sa forme si particulière d’une collision, à grande vitesse avec une autre galaxie (Voir ESA).

Le 22 aout, le télescope spatial nous envoyait de nouvelles images à couper le souffle de Jupiter, comme on ne l’avait encore jamais vue, avec ses anneaux ténus, ses tempêtes gigantesques, ses brumes polaires et son étrange tache rouge (Voir Cité de l'espace). Le 26 aout dernier, nouvelle découverte époustouflante : le télescope spatial permet pour la première fois la détection directe et fiable de CO2 dans une exoplanète. WASP-39 b, est une planète géante gazeuse chaude dont la masse est équivalente à celle de Saturne, et dont le diamètre est 1,3 fois supérieur à celui de Jupiter. Contrairement aux géantes gazeuses plus froides de notre système solaire, WASP-39 b orbite très près de son étoile et effectue une orbite en un peu plus de quatre jours terrestres. Au cours d’un transit, une partie de la lumière émise par l'étoile se retrouve totalement bloquée par la planète, tandis qu'une autre partie traverse son l'atmosphère. Sachant que les différents gaz absorbent différentes longueurs d’onde, les scientifiques ont réussi à analyser, en utilisant le spectrographe dans le proche infrarouge du JWST, les petites différences de luminosité qui correspondent à la signature chimique  spécifique de l'atmosphère de cette exoplanète. C’est ainsi que qu’une raie d'absorption a été détectée à des longueurs d'onde comprises entre 4,1 et 4,6 microns dans l'infrarouge, ce qui constitue la première preuve très solide de la présence de dioxyde de carbone sur une planète extérieure au système solaire.

Le 1er septembre dernier, le JWST a réalisé un nouvel exploit, en dévoilant la première image directe d’une exoplanète située à 385 années-lumière de la Terre (Voir Nature). Il s’agit de HIP 65426 b, une géante gazeuse qui fait dix fois la masse de Jupiter, 

Le JWST a également réussi à prendre la photo d’un anneau d’Einstein parfait. Ces anneaux sont des phénomènes astronomiques qui découlent de la théorie de la relativité générale formulée par Einstein en 1915. Cette théorie prévoit en effet que, dans le cadre d’un effet de lentille gravitationnelle, la lumière d’un objet distant est à la fois déformée et amplifiée sous l’effet de la présence d’un autre objet massif entre cet objet et l’observateur. Mais dans certaines situations exceptionnelles, cette lumière va venir s’enrouler complètement autour de cet objet intermédiaire, ce qui va produire ce fameux anneau d’Einstein.

L’anneau d’Einstein capturé par le JWST provient d’une galaxie située à 12 milliards d’années-lumière de la Terre, nommée SPT-S J041839-4751.8. Cette galaxie présente la particularité d’être orientée directement derrière une autre galaxie. En atteignant cette galaxie intermédiaire, la lumière de cette galaxie très lointaine s’est enroulée autour. Enfin, le 6 septembre dernier, le télescope spatial a révélé de superbes images de la nébuleuse de la Tarentule, baptisée ainsi en raison de la forme particulière de ses nuages de gaz et de poussière ; cette région du cosmos est située à 161.000 années-lumière et constitue la formation d'étoiles la plus grande et la plus lumineuse de tout le groupe de galaxies auquel nous appartenons.

On voit donc qu’en trois mois, le JWST a déjà révolutionné l’astronomie et l’astrophysique, grâce à la qualité de ses systèmes de détection, d’observation et d’analyse, notamment dans le spectre infrarouge, qui s’avère encore plus grande que prévue. Et ce n’est qu’un début. Dans les mois et les années qui viennent, ce merveilleux outil scientifique va faire feu de tout bois et, parmi les nombreuses observations prévues, au moins trois méritent d’être évoquées. La première concerne l’étrange "planète-océan" qui vient d’être découverte par une équipe de l’Université de Montréal (Voir Université de Montréal). Cette exoplanète a été repérée dans la constellation du Dragon, à 100 années-lumière de la Terre. Un peu plus grosse que la Terre, elle possède une densité anormalement faible et se trouve à une distance de son étoile qui lui permet de conserver une température compatible avec la présence d’eau liquide à sa surface. Les scientifiques qui l’ont découvert sont d’ailleurs persuadé qu’il s’agit d'une "planète océan", probablement entièrement couverte d'une épaisse couche d'eau, comme cela est le cas de certaines lunes de Jupiter et de Saturne, comme Europe et Encelade. Cette planète est d’autant plus intéressante qu’elle n’est pas trop éloignée de la Terre et qu’elle est susceptible d’accueillir certaines formes de vie. On comprend dès lors que les scientifiques soient impatients de pouvoir analyser finement la composition de son atmosphère, grâce à la puissance du JWST.

Une autre exoplanète attise la curiosité des scientifiques et devrait faire l’objet de plus amples investigations, grâce au JWST. Il s’agit de Kepler-452 b qui est une exoplanète rocheuse un peu plus grosse que la Terre, située à 1 400 années-lumière de la Terre dans la constellation du Cygne. Cette planète qui met 384 jours pour faire le tour de son étoile, une durée proche de celle de la révolution de la Terre autour du Soleil, est située dans la zone habitable de son étoile et reçoit une quantité d'énergie de la part de son étoile équivalente à celle que notre Terre reçoit du Soleil. La troisième exoplanète qui va sans doute être examinée de près par le JWST est Proxima b, qui se trouve, elle aussi, dans la zone d'habitabilité de son étoile, Alpha du Centaure, située à seulement 4,2 années-lumière de la Terre.

La réussite éclatante, et presque inespérée de ce projet à très haut risque (qui a bien failli être abandonné à plusieurs reprises) de télescope spatial James Webb, est à rapprocher d’une autre coopération scientifique internationale exemplaire et féconde, celle lancée, à Genève, en 1985 par les Etats-Unis, l’Europe et l’Union soviétique et concernant la conception et la réalisation, à Cadarache, en Provence, d’un réacteur thermonucléaire expérimental international, ou ITER. Cet outil unique en son genre doit produire son premier plasma en 2025 et atteindre sa pleine puissance en 2035. Si ITER tient toutes ses promesses, il sera suivi de DEMO, une véritable centrale de démonstration qui viendra valider à l’horizon 2040 la faisabilité d’une production industrielle et sûre d’énergie décarbonée à partir de la fusion nucléaire. Ce projet ITER, dont il ne fait désormais plus de doute qu’il ira à son terme et permettra à l’humanité de disposer, dans la seconde moitié du siècle, d’une énergie décarbonée abondante, a vu récemment sa pertinence légitimée par une étude européenne qui a montré de manière très solide que les futurs réacteurs à fusion seront capables d’utiliser en toute sécurité plus d’hydrogène que prévu et de produire, in fine, deux fois plus d’énergie par unité (Voir EPFL).

Ces succès en matière de coopération scientifique devraient conduire la communauté internationale à lancer de nouveau et ambitieux projets visant à réaliser des avancées décisives dans les domaines de l’énergie et des sciences de la vie. Deux domaines hautement stratégiques pour l’avenir de notre planète pourraient faire l’objet de grands projets de coopération sur le modèle du JWST ou d’ITER. Le premier concerne la maîtrise, très difficile, mais techniquement réalisable, de la géothermie très profonde, en cours d’expérimentation aux Etats-Unis. Si les scientifiques parviennent à réaliser des forages durables jusqu’à une profondeur d’une vingtaine de km, il deviendra possible d’exploiter des gisements illimités de vapeur très chaude (500 degrés) et de cogénérer chaleur et électricité sans émettre de CO2…

Le second domaine est celui des centrales solaires spatiales, qui pourrait, en théorie, exploiter les ressources énergétiques illimitées de notre soleil et les transformer en électricité, renvoyée sur Terre sous forme de faisceaux de micro-ondes. Aucun pays n’a, à lui seul, les ressources scientifiques et financières pour relever les nombreux défis technologiques que suppose la construction de telles centrales géantes dans l’espace. Mais une coopération mondiale pourrait y parvenir et transformer ainsi radicalement l’avenir de notre planète.

Enfin, le dernier projet qui devra, à mon sens, passer par une coopération internationale de grande ampleur, concerne l’établissement d’une carte dite "multiomique" complète de l’être humain. Il s’agit cette fois, en combinant toutes les ressources de la génomique (ADN), de la métabolomique (protéines, enzymes), et de la transcriptomique (ARN), de réaliser rien moins qu’un atlas complet, structurel et fonctionnel, de nos 37 000 milliards de cellules… Un tel atlas permettrait des avancées scientifiques et médicales immenses et que l’on peut à peine imaginer aujourd’hui, tant dans la découverte de nouveaux traitements contre les pathologies les plus graves, que dans la connaissance des mécanismes fondamentaux du vivant.

La réalisation d’un tel projet va nécessiter une puissance de calcul et des capacités de stockage absolument gigantesques, qui supposent des ruptures technologiques et des sauts conceptuels dans les domaines de l’informatique, de l’électronique, des mathématiques, des matériaux. Plusieurs pays, dont la France, ont lancé leur propre projet multiomique. Mais là encore, il faut bien comprendre que seule une coopération internationale ambitieuse parviendra à mobiliser et fédérer les moyens nécessaires à une telle entreprise.

Il faut souhaiter que nos dirigeants, s’inspirant de l’audace visionnaire de certains de leurs prédécesseurs, soient capables de faire preuve de la même opiniâtreté, de la même clairvoyance et de la même volonté politique inflexible, pour lancer sur plusieurs décennies ces grands projets dont l’humanité à besoin pour relever les défis auxquels elle est confrontée pour assurer sa survie, climat, énergie, santé, nutrition, éducation, pour ne citer que les plus importants. Quant à ceux, éternels pessimistes, qui nous expliquent que ces grands projets scientifiques sont dispendieux, inutiles ou néfastes et représentent un gaspillage de l’argent public, il faut leur rappeler que, si l’on tient compte de la durée de projets comme le JWST ou ITER, et du nombre de contributeurs dans les pays concernés, on s’aperçoit qu’au final, le projet d télescope spatial James Webb aura coûté à peine un euro par foyer et par an et ITER aura représenté une contribution de deux euros par foyer et par an… Autant dire que ces dépenses auront été dérisoires, au regard des immenses avancées scientifiques et techniques qu’elles auront permises et des retombées positives qui vont venir, dans de nombreux domaines, bénéficier à nos sociétés…

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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