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Edito : Le stockage massif des énergies renouvelables : un défi technique et industriel majeur...
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Le 24 avril dernier, le “Sommet de la Mer du Nord” a réuni à Ostende, en Belgique, les neuf pays européens (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Irlande, Danemark, Luxembourg, Norvège) qui souhaitent donner à l’éolien marin une impulsion nouvelle et contribuer ainsi à atteindre plus rapidement les nouveaux objectifs européens en matière de développement des énergies propres (+ 42,5 %) et de réduction des émissions de CO2 (– 57 %) prévus pour 2030 et adoptés à une large majorité par le Parlement européen le 18 avril dernier.
A l’issue de ce sommet, il a été décidé que la capacité éolienne marine européenne serait multipliée par quinze et portée de 20 GW, fin 2023, à 300 GW en 2050, avec un objectif intermédiaire fortement revu à la hausse de 120 GW dès 2030. La France, pour sa part, très en retard dans ce domaine, a décidé d’accélérer le développement de son éolien marin et de le porter à 6 GW en 2030 (un niveau déjà dépassé aujourd'hui par nos voisins anglais et allemands), pour atteindre 40 GW, répartis sur 50 parcs éoliens, en 2050.
Pour réaliser cet effort global gigantesque en faveur de l’éolien marin, ces neuf pays vont devoir tripler dès l’année prochaine le rythme d’installation des éoliennes marines et devraient consacrer pas moins de 800 milliards d’euros à l’éolien marin, qui deviendra vraisemblablement la principale source de production d'énergie renouvelable, devant le solaire et l'éolien terrestre. Il est vrai que, même si l’on retient l’hypothèse probable d’une hausse de 40 % de la consommation électrique de l’UE (due à une forte augmentation de la part de l’électricité dans la consommation globale d’énergie), ces nouveaux objectifs dévoilés à Ostende représentent une production d’électricité marine de 1050 TWH par an en 2050, soit près de 30 % de la consommation électrique de l’UE prévue à cette échéance (environ 3 800 TWH par an).
Si l’on ajoute l’éolien terrestre, et l’électricité solaire, qui vont connaître également un essor considérable, pour atteindre au moins 25 % de la consommation électrique en 2050, on constate que les deux tiers de la production d’électricité européenne seront issus de l’éolien et du solaire, le solde étant assuré par l’hydraulique, le nucléaire et les énergies marines. Cela signifie toutefois, ce qui a peu été relevé par les médias, que les deux tiers de l’électricité européenne sera issue en 2050 de sources qui, par nature, et quels que soient les progrès qui seront réalisés en matière de prévision météorologique, sont intermittentes et soumises à d’importantes fluctuations de production.
Ill existe dans le monde environ 400 STEP, (les STEP sont des installations hydrauliques réversibles, qui permettent de remonter avec des pompes de l'eau dans un lac en hauteur puis d'utiliser sa chute pour produire de l'électricité) qui, comme dans les usines hydroélectriques classiques représentent 160 GW de stockage, ce qui ne permettra pas de stocker les quantités massives d’énergie qui proviendront demain du solaire et de l’éolien. L’électricité issue de ces deux sources renouvelables devrait en effet passer de 3500 TWH par an en 2023 (environ 12 % de la consommation mondiale d’électricité), à 27 000 TWH par an en 2050, soit une multiplication par huit… Des chercheurs de l'Université nationale australienne (ANU) ont publié récemment un atlas en ligne de tous les sites potentiels où implanter des Step. Leurs estimations reposent sur un algorithme capable de les identifier en intégrant différents facteurs, climat, topographie, volume du réservoir. Ils ont ensuite calculé le potentiel de stockage possible. Au total, 530.000 sites ont été trouvés, totalisant une capacité considérable de 22.000 TWh, soit les trois quarts de la production annuelle d’électricité, de quoi permettre d'équilibrer sans problèmes l’offre et la demande de courant…
Selon Matthew Stocks qui a dirigé le projet, « à peine 1 % des meilleurs 530.000 sites de STEP suffirait à couvrir une production à 100 % d'énergies renouvelables ». La France, pour sa part, ne dispose que de six STEP, représentant 5 GW de stockage, mais notre pays possède suffisamment de sites potentiellement exploitables pour doubler en dix ans cette capacité et la porter à 10 GW. Certes l'aménagement de ces sites représente des investissements très importants, mais largement rentables à terme, si l’on tient compte du coût de stockage dix fois moins élevé au GW, par rapport aux batteries géantes, ainsi qu’à la durée de vie très longue de ces installations.
Une autre solution de stockage de l’énergie, complémentaire de la précédente, est le recours à l’hydrogène comme “réservoir chimique”, constitué à partir de la production excédentaire d’électricité résultant des énergies renouvelables. GRTgaz, le gestionnaire du réseau gazier de France, a procédé récemment aux premières injections de cet hydrogène issu de l'électricité d'origine renouvelable dans le réseau. Pour cette entreprise, il s’agit « d’une étape majeure dans le développement de solutions de décarbonation du gaz et de ses usages, du stockage d’énergie et de synergies entre réseaux gaz et électriques ». Cette solution novatrice permet de valoriser l'excédent d'électricité renouvelable en la convertissant en hydrogène grâce à deux électrolyseurs. Autre avantage, ce procédé permet également la production de méthane de synthèse grâce à un réacteur de méthanation associé à une unité de captation du CO2.
Le réseau de distribution de gaz de GRDF expérimente également l’injection de l’hydrogène directement dans le réseau de gaz, avec le démonstrateur GRHYD, inauguré en juin 2018 à Cappelle-la-Grande, près de Dunkerque, dans le Nord. Après avoir démarré avec 6 % d’injection d’hydrogène dans le réseau, l’installation est passée en 2019 à un taux de 10 % et doit passer, à terme, à 20 %, le taux maximum compatible avec la sécurité, dans le cadre des infrastructures actuelles. D’ici 2030, ce sont plusieurs dizaines de GW, issus notamment des grands parcs éoliens marins de Mer du Nord (qui intégreront des électrolyseurs très performants), qui pourraient ainsi être stockés sous forme d’hydrogène dans les réseaux de gaz.
Le stockage généralisé et performant de l’énergie est également un enjeu de premier ordre dans le secteur du bâtiment et de la construction, qui absorbe plus de la moitié de la consommation mondiale d’électricité et représente, en France, 44 % de l'énergie consommée, loin devant le secteur des transports (31 %). Pour la première fois en Europe, une micro-unité de piles à combustible à base d'hydrogène pur a été mise en œuvre fin 2022 à Bénévent, en Italie. Cette unité issue des recherches de l’Université de Sanio, alimente en électricité, sans émettre de CO2, l’ensemble des bâtiments universitaires.
En France, une jeune société basée en Isère, Sylfen, issue du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), est sur le point d’industrialiser sa solution d'électrolyseur réversible. Cette technologie brevetée permet de surmonter l’obstacle que constitue l'intermittence des énergies renouvelables produites localement sur des bâtiments autonomes, en stockant le surplus sous forme d'hydrogène. Cette solution innovante permet de convertir une partie de l'énergie renouvelable, produite par des panneaux photovoltaïques, en hydrogène, par électrolyse de l'eau. L’innovation réside dans le fait que ce même dispositif permet aussi de restituer l'énergie via une pile à combustible, ce qui autorise un gain, à la fois en volume occupé, en efficacité énergétique, en maintenance et en coût d'exploitation. Cerise sur le gâteau, ce système permet aussi la cogénération, c'est-à-dire la production conjointe d’électricité et de chaleur, pour chauffer les bâtiments.
Les batteries géantes sont également appelées à jouer un grand rôle en matière de stockage massif d’énergie. En Australie, Neoen a annoncé, fin 2022, la construction d’un système de stockage d’énergie par batterie (BESS) de 850 MWh à Wallerawang, en Nouvelle-Galles du Sud. Cette batterie classique au lithium-ion, qui sera opérationnelle cette année, devrait devenir l’une des plus puissantes du monde.
Mais ces batteries géantes lithium-ion, bien que performantes, pourraient bientôt être surclassées par un autre type de stockage chimique, les batteries "redox flow", ou à flux redox. Dans ce type de batterie rechargeable, l’électrolyte circule à travers une ou plusieurs cellules électrochimiques à partir d’un ou de plusieurs réservoirs. Bien que plus coûteuses que les autres types de stockage d’énergie, ces batteries à flux présentent plusieurs avantages décisifs : une durée de vie accrue, un nombre de recharge presque illimité et une sécurité plus grande. La Chine, qui a d’immenses besoins en matière de stockage d’énergie, mise beaucoup sur ce mode de stockage d’énergie. Elle vient de mettre en service une batterie à flux géante d’une capacité de 400 MW, qui devrait permettre d’alimenter toute la ville de Dalian et ses 200 000 habitants.
Encore au stade expérimental, mais pleines de promesses, les batteries gravitaires pourraient également trouver leur place dans le futur paysage énergétique décarboné. En Suisse, la société Energy Vault a testé avec succès sa technologie gravitaire. Elle construit actuellement une installation de taille bien plus ambitieuse pour la société de gestion et de recyclage des déchets China Tianying. Cette unité de stockage prendra la forme d’un bâtiment de 120 mètres de haut et aura une capacité de stockage d'énergie qui atteindra les 100 mégawattheures, ce qui lui permettra d’alimenter en permanence 3 500 foyers qui n'auront pas besoin d'une autre source d'énergie.
Une équipe internationale de chercheurs, dirigée par l’IIASA (International Institute for Applied Systems Analysis), un institut de recherche en Autriche, propose une variante de ce système de stockage gravitaire qui consiste à valoriser des sites miniers abandonnés. La technique, appelée "Stockage Sous-Terrain d’Energie par Gravité" (UGES), utilise un arbre vertical installé à l’intérieur de la mine sur lequel sont placés des moteurs électriques qui permettent de soulever ou d’abaisser des conteneurs remplis de sable. Lorsque la production électrique est excédentaire, ce dispositif stocke l’électricité en soulevant le sable pour le déposer sur des sites de stockage supérieurs situés au sommet de la mine. En revanche, lorsqu’il faut répondre à une forte et rapide augmentation de la demande d’électricité, le système convertit l’énergie potentielle du sable en le redescendant vers un réservoir inférieur situé au fond du puits. L’énergie cinétique produite est alors transformée en électricité, pour être injectée dans le réseau. Selon ces recherches, pour une capacité de stockage d’énergie d’une mine de 4 millions de tonnes de sable et d’un dénivelé moyen de 200 mètres, le système atteint un potentiel de stockage considérable, de 1,75 GWh. Ce mode de stockage présente de nombreux avantages. Outre sa longévité de plus de 50 ans, Il est peu coûteux et performant sur le plan énergétique, avec un rendement de 80 %, équivalent à celui d’une batterie lithium ion.
La société britannique Highview Power, associée au producteur danois d’énergie Orsted, travaillent, pour leur part, sur un système de stockage de l’énergie issue des éoliennes en mer sous forme d’air liquide. Le stockage d’énergie à air liquide (LAES) consiste à stocker de l’air sous forme d’azote liquide avant de l’utiliser pour produire de l’électricité. En fonction des besoins, l’air liquide est retransformé en gaz, utilisé pour générer du courant électrique. Pour stocker l’énergie, le surplus d’électricité alimente un compresseur d’air qui va élever la température du fluide jusqu’à 400°C. Une fois comprimé, l’air est refroidi jusqu’à -160°C et devient alors liquide, ce qui permet de le stocker à basse pression dans de grands réservoirs. En cas de forte demande d’électricité, on inverse tout simplement ce processus : l’air liquide est pompé à haute pression et passe par des échangeurs de chaleur, avant de s’évaporer. Il va alors repasser à l’état gazeux et monter en température. Il suffit d’utiliser la chaleur issue de la compression pour alimenter une turbine qui produit de l’électricité. Selon Highview Power, cette solution peu coûteuse, qui peut fonctionner partout, permet de stocker l’énergie sur de longues périodes, contrairement aux batteries.
Je veux vous parler maintenant de l’innovation baptisée "Ocean Battery", proposée par Ocean Grazer. Pour simplifier l’installation de ces batteries au fond de l’eau, Ocean Battery a cherché à se passer d’une solution chimique, à base de lithium, cobalt ou de manganèse, potentiellement polluante. Ocean Battery a donc imaginé un système de stockage qui n’utilise que de l’eau. Le principe de fonctionnement est simple mais très efficace : lorsque l’électricité produite par l’éolienne en surface est excédentaire, le système va utiliser ce surplus d’énergie électrique pour pomper l’eau des réservoirs rigides vers les vessies souples posées au fond de la mer. L’énergie est alors stockée dans l’eau sous haute pression. Lorsqu’il y a une demande d’énergie électrique, il suffit d’utiliser la pression sous-marine pour que l’eau retourne des vessies souples vers les réservoirs rigides à basse pression. Ce flux d’eau entraîne alors plusieurs turbines hydroélectriques qui produisent de l’électricité. Cette batterie océanique est peu onéreuse, demande peu d’entretien et, ne contenant aucun produit chimique, elle est tout à fait inoffensive pour le milieu marin. Ce concept de batterie océanique peut être rapidement déployé dans les parcs éoliens existants ou sur de nouvelles installations. Ocean Grazer, qui a été récompensée du prix de la meilleure innovation au CES 2022 de Las Vegas, a déjà conclu des accords avec plusieurs grandes compagnies gestionnaires de parcs éoliens marins qui souhaitent mettre en œuvre cette solution ingénieuse de stockage liquide dès 2025.
Il faut bien comprendre que les différentes solutions de stockage massif de l’énergie que j’ai évoquées ne sont pas concurrentes, mais complémentaires. Toutes répondent en effet à des besoins et situations spécifiques. En combinant de manière ingénieuse et intelligente ces différents modes de stockage, et en les associant aux nouveaux outils numériques prédictifs de gestion intelligente des réseaux de distribution électrique, il devient enfin envisageable de produire la quasi-totalité de l’électricité mondiale de manière décarbonée, à partir de sources d’énergie renouvelables, aujourd’hui essentiellement le solaire et l’éolien, mais demain les énergies marines (énergie des vagues, des marées, des courants marins, énergie thermique des mers) qui recèlent un gigantesque potentiel largement sous-exploité.
Pour réussir d’ici 2050 la transition énergétique mondiale historique qui nous attend pour stabiliser le réchauffement climatique qui ne cesse de s’accélérer, nous devons donc, parallèlement au développement considérable des énergies renouvelables, déployer rapidement, et à très grande échelle, ces nouveaux moyens de stockage massif de l’énergie qui permettront de mettre en place un système planétaire de production et de conversion combinant de la manière la plus efficiente et la plus économique, et la plus respectueuse pour l’environnement, les différentes dimensions de l’énergie, électrique, chimique, physique et thermique…
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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