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Edito : Les robots sortent des usines et s’imposent dans les métiers de services à la personne
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Longtemps cantonnés dans les usines, les entrepôts, et les blocs opératoires, les robots sont en train de s’imposer dans l’ensemble des activités économiques, et notamment dans les secteurs de la livraison à domicile, de la restauration et de l’accueil, où la pénurie de main d’oeuvre est devenue chronique. Hyundai Motor Group vient de lancer deux projets pilotes de services de livraison du dernier kilomètre par robots autonomes en Corée du Sud. Le premier se déroule dans un complexe résidentiel et commercial, près de Séoul. Un robot de Hyundai y propose "un service de livraison porte-à-porte" de produits alimentaires. D’abord, ce robot identifie les articles, commandés par le client sur l’application Baemin, dans un centre commercial partenaire. Il stocke ensuite les produits dans son coffre : la plate-forme modulaire Plug & Drive (PnD). Le robot se déplace en autonomie à l’aide de capteurs (caméras et LiDAR). Il est également capable de reconnaître les personnes rencontrées et peut calculer le meilleur itinéraire pour livrer les colis.
Le robot de service de livraison peut pénétrer dans une résidence via un système de communication sans fil développé par Hyundai Motor Group. Il peut aussi accéder aux étages supérieurs d’un immeuble en utilisant le système de commande de l’ascenseur. Si l'ascenseur est complet, ce robot saura attendre le suivant. En parallèle, l’hôtel Rolling Hills, en Corée du Sud, teste également un robot Hyundai pour le service de livraison en chambre de 20h à 22h. Arrivé devant la chambre, l’engin détecte l’ouverture de la porte, puis ouvre automatiquement son compartiment de stockage à la reconnaissance du client.
La jeune société française ip sum tek, fondée en 2020, propose à ses clients restaurateurs le robot I-WAM. Il est capable de prendre les commandes, de manipuler des produits, de les transporter vers un autre endroit et les déposer. Il peut également servir de manière autonome un client attablé. Ce robot a été conçu, non pour remplacer le serveur, mais pour lui permettre de se consacrer à la satisfaction du client. Aldebaran, société pionnière en robotique, a présenté en novembre 2022 son dernier robot, baptisé Plato. Vendu 18 500 euros, Plato mesure 1,11mètre et se compose d’une base mobile circulaire dotée de six roues. Il peut se déplacer jusqu'à 2,5 km/h mais adapte sa vitesse en fonction des tâches à accomplir. Son point fort est son autonomie – 15 heures – et sa capacité d’emport de 30 kg qui lui permet de livrer et débarrasser plusieurs tables à la fois. Plato est équipé d'un Lidar et de capteurs 3D, pour détecter des obstacles. Il possède également un écran, qui sert d'interface de communication. Il est également équipé d'un système d’arrêt d’urgence. Plato a été conçu pour pouvoir être utilisé de la manière la plus simple et le plus intuitive possible. Il commence par effectuer lui-même la cartographie de son environnement de travail. Pilotable depuis une simple tablette, il peut également être commandé par la voix.
Concurrent direct de Plato, dans ce secteur très convoité de la restauration, où les difficultés de recrutement ne cessent de s’accentuer, Bella, conçu par la société chinoise Pudu Robotics, a fait également une entrée remarquée, depuis le mois d’août 2022, dans un restaurant asiatique à Rennes (Ille-et-Vilaine). Le jeune patron de cet établissement en plein essor peinait, lui aussi, à trouver du personnel compétent et il se félicite d’avoir fait le choix d’utiliser ce robot. Celui-ci s’est vite avéré irremplaçable, surtout aux heures d’affluence. Bella, comme Plato, est truffé de capteurs qui lui permettent d’identifier les obstacles et de reconnaître les tables. Le serveur n’a qu’à placer les plateaux de commande sur les plates-formes de Bella, puis à appuyer sur le numéro de la table correspondante et Bella va servir les clients. Une fois servi, le client n’a qu’à appuyer sur une touche pour que le robot revienne au bar. En outre, Bella, qui exhibe une silhouette sympathique et une tête de chat souriant, est devenu une véritable attraction qui plait beaucoup aux enfants et aux personnes âgées et contribue à fidéliser la clientèle…
Le géant Pizza Hut vient de s’associer à Serve Robotics – une entreprise spécialisée dans les solutions de livraison autonome et durable – afin de concevoir le premier prototype de son robot livreur de pizzas ! Le test a été lancé à Vancouver, en Colombie-Britannique. Dans cette ville, il suffit aux clients d’utiliser l’application habituelle de Pizza Hut pour être livrés à domicile, au pied de leur immeuble, par un robot. Ces automates, conçus par Serve Robotics, sont équipés de capteurs, qui peuvent détecter les objets à proximité et naviguer sur les trottoirs de manière autonome. Les clients reçoivent sur leur smartphone un code PIN unique qu’ils doivent taper sur l’écran tactile du robot, pour récupérer leur commande, placée dans un compartiment sécurisé et isotherme.
Pizza Hut est également en train d’expérimenter, en collaboration avec la start-up israélienne Hyper Food Robotics, un restaurant robotisé en Israël. Cet établissement se présente sous forme de conteneur équipé de robots qui fabriquent jusqu'à 50 pizzas par heure, de fours à convection, d’un système de bande transporteuse pour enfourner les pizzas, d’une trancheuse automatique et enfin d’un robot emballant les pizzas dans les cartons. Le restaurant comprend également 30 armoires chauffantes pour garder les pizzas au chaud, un entrepôt réfrigéré pouvant stocker 240 types de pâtes différentes et un distributeur avec 12 garnitures possibles. Ce marché de la « pizza robotisée » est en plein essor et très concurrentiel : en 2020, la start-up Picnic a lancé son concept de robot modulable capable de fabriquer jusqu'à 300 pizzas par heure. Elle permet à n'importe quel franchisé de louer une station robotisée pour 3.000 à 4.500 euros par mois.
Il faut également évoquer le projet Cala, imaginé et mis en œuvre depuis 2020 par deux étudiants en école d’ingénieurs à Paris, Ylan Richard et Julien Drago. L’idée de départ était de proposer à des clients jeunes, aux moyens limités, des repas sains, peu onéreux (6 euros) et à faible empreinte environnementale. Le robot utilisé par Cala n’occupe que 4 m² au sol et peut fabriquer jusqu'à 400 repas par heure. C’est ce gain considérable de surface occupée et de productivité, par rapport au même volume de repas dans la restauration classique, qui permet de proposer des plats de pâtes copieux à un prix défiant toute concurrence.
Aujourd’hui, en France, 66 % des hôtels et restaurants peinent à recruter du personnel et, selon l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) et le Groupement national des indépendants (GNI), les deux principaux syndicats de la restauration, environ 150.000 postes restent vacants dans ces secteurs en France. Dans notre pays, les quelque 200 000 cafés-restaurants réalisent 56 milliards d’euros de chiffre d’affaires et emploient plus de 720 000 personnes, dont la moitié se concentre dans la restauration traditionnelle. À eux seuls, ils constituent donc le 5e employeur de France, avec un ratio de personnel atteignant les 40 %.
Ces nouveaux robots polyvalents et autonomes ne se contentent pas d’investir les commerces, la restauration et l’hôtellerie. Ils ont également leur entrée dans les administrations et les hôpitaux, à côté des robots chirurgicaux, déjà présents depuis plusieurs années. Depuis le mois de janvier, à l’hôpital Marc-Jacquet de Melun, un robot assure la distribution des médicaments auprès de 120 patients en gériatrie. Cet automate se compose de deux unités : la première découpe les plaquettes de médicaments pour en faire des doses unitaires ; la seconde prépare les doses individuelles pour chaque patient. Ce système, hautement sécurisé, attribue à chaque patient un QR code qui s’assure de la parfaite concordance et de la totale traçabilité entre l’ordonnance informatisée, le pilulier et le plateau distribué. Ce nouvel outil permet un gain de temps très appréciable pour le personnel soignant, il réduit également considérablement les risques d’erreurs, qui sont descendus à 0,1 % (1 erreur pour 1000 piluliers préparés). Plus d’une vingtaine d’hôpitaux sont déjà équipés de cet automate conçu et fabriqué en France par l’entreprise Eco-Dex.
En Belgique, plusieurs hôpitaux, dont celui de Liège, ont fait l’acquisition de robots humanoïdes Pepper, qui remportent un franc succès dans les services de pédiatrie et de gériatrie. Pepper se déplace sur roulettes de façon autonome, parle 20 langues et a pour mission d’accueillir les patients, de répondre aux questions les plus fréquentes et de les assister dans leurs démarches à l’hôpital. Il y a quelques mois, le CHU de Lille s’est doté d’un nouvel automate dernière génération, capable d’assurer la production de 600 flacons par heure et de produire toutes les tailles de flacons, y compris de gros volumes prêts à l’emploi, fermés et stériles. Ce système robotique développé par Aseptic Technologies permet au CHU de Lille de pouvoir assurer de manière sûre et autonome, une production suffisante de médicaments en cas de crise sanitaire et de rupture d’approvisionnement sur des médicaments sensibles. L’automate Aseptic Technologies produit jusqu’à 2000 flacons de médicaments injectables par jour, notamment des préparations à base de curare, indispensables à l’anesthésie des patients.
En 2019, une étude d'Oxford Economics avait fait grand bruit en estimant que la robotisation croissante, allait, à long terme, créer autant d'emplois qu'elle n'en détruirait, mais supprimerait dans un premier temps 20 millions d’emplois à faible niveau de qualification dans le monde. Selon cette étude, l'économie mondiale pourrait gagner, en faisant l’hypothèse prudente d’une progression de 30 % de la robotisation sur dix ans, jusqu'à 5 000 milliards de dollars de valeur ajoutée d'ici 2030 grâce aux gains de productivité (Voir BBC).
Mais est-on bien sûr que les robots vont détruire des emplois ? Non, selon les économistes Céline Antonin, Philippe Aghion, Simon Brunel et Xavier Jaravel, qui ont publié récemment une remarquable étude très remarquée, intitulée, "Les effets réels de l’automatisation sur l’emploi et la productivité" (Voir OFCE). Dans ce vaste travail, ces chercheurs réputés ont analysé l’évolution des outils de production dans 19 448 établissements représentatifs de l’industrie manufacturière française, entre 1994 à 2015. Et le résultat est sans appel : ce sont les entreprises qui se sont le plus automatisées qui ont créé le plus d’emplois. Ces recherches constatent que, plus une entreprise est automatisée, plus elle est productive, ce qui lui permet d’abaisser ses coûts de revient, et donc ses prix de vente. Il en résulte une hausse de la demande et, donc, de l’emploi. Ces chercheurs ont estimé que 1 % d’automatisation supplémentaire crée 0,28 % d’emploi en plus. Mais l’étude montre aussi, de manière assez inattendue, que, contrairement à une autre idée reçue, tous les types d’emplois, très qualifiés ou peu qualifiés finissent par profiter de la robotisation.
Le dernier rapport de la Fédération Internationale de la Robotique nous apprend que les installations de robots industriels ont atteint 517 000 unités en 2021, contre 166 000 en 2011, soit une multiplication par trois au cours de cette période. Sans surprise les secteurs où cette robotisation est la plus forte sont l'industrie électronique (26 %), suivie du secteur automobile (23 %). Mais, et ce point est central, les trois quarts des robots installés en 2021 sont asiatiques, et plus de la moitié sont chinois. Aujourd’hui, le parc mondial de robots dépasse les 3,5 millions d’unités dont un tiers est en Chine – et progresse en moyenne de 15 % par an depuis dix ans. En Europe, le nombre de robots a progressé en moyenne de 8 % entre 2016 et 2021 et atteint 680 000 unités. Mais sur les 84 302 robots industriels installés en Europe en 2021, 23 800 sont allemands, 14 000 sont Italiens… et 6 000 sont français.
Au niveau mondial, le taux moyen de robotisation atteint à présent les 141 pour 10 000 salariés dans le secteur manufacturier. Mais ce chiffre cache en réalité de profondes et inquiétantes disparités : la Corée du Sud est le pays au monde dont l'industrie est la plus robotisée (932 unités pour 10 000 salariés), devant Singapour (605), le Japon (390), l'Allemagne (371), la Suède (289), les USA (255), la Chine (246), l’Italie (224) et… la France, dont le ratio n’est que de 194 robots pour 10.000 salariés. L'Insee constate pour sa part qu'en 2020, une société (de plus de dix personnes) sur dix utilisait au moins un robot. Mais ce chiffre grimpe à 22 % pour les entreprises industrielles. Dans le secteur des “robots de service”, plus autonomes, et plus complexes, le taux d'utilisation n’est encore que de 12 %. Ces robots sont principalement utilisés pour la gestion des entrepôts, suivis par le nettoyage ou traitement des déchets, la surveillance, l'assemblage, et le transport de personnes et de bien.
Il est intéressant de souligner que ces différentes études mettent en lumière trois raisons principales qui expliquent pourquoi le taux de robotisation reste si faible en France. La première raison est que notre industrie manufacturière française a perdu de son importance dans l’économie : en 40 ans, la part de l’industrie manufacturière dans l’économie française a diminué de moitié, passant de 22,3 % à 11,2 %, alors qu’elle est de 20 % en Allemagne. La deuxième raison tient au poids de l’industrie automobile, très consommatrice de robots, qui est sensiblement moins élevé en France qu’en Allemagne, en Corée ou au Japon. Enfin, la dernière raison, moins connue mais pourtant très importante, tient au fait que notre pays ne possède pas assez d’entreprises "intégratrices", c’est-à-dire capables d’intégrer les robots dans les chaînes de production.
Selon la DARES, le nombre d’emplois vacants en France (c’est-à-dire le nombre de postes libres pour lesquels des démarches actives sont entreprises pour trouver le candidat convenable) s’élevait à 368 000 fin 2022, dont plus de 150 000 dans le seul secteur de la restauration-hôtellerie. En 2030, ces besoins de recrutement, générés par les départs en fin de carrière et l’évolution économique, devraient conduire à une pénurie de 800 000 postes à pourvoir chaque année, tous secteurs confondus. Dans un tel contexte économique, il est capital que notre pays, parallèlement à un effort accru dans la formation professionnelle, généralise l’usage de ces nouveaux robots autonomes et polyvalents, qui pourront, certes, se substituer à l’homme pour certaines tâches dangereuses, pénibles ou faiblement qualifiantes, mais seront surtout à même de démultiplier la productivité humaine en permettant au salariés, cadres ou artisans, de libérer un temps précieux pour se recentrer sur les aspects relationnels et créatifs de leur travail, là où l’être humain sera pour longtemps encore irremplaçable...
René TRÉGOUËT
Sénateur honoraire
Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat
e-mail : tregouet@gmail.com
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