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Edito : Réchauffement climatique : notre civilisation entre dans une nouvelle ère

Le Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat a publié le 2 février la version intermédiaire de son très attendu rapport sur l'évolution du climat (Voir aussi la présentation audio ) et le moins que l'on puisse dire est que ses conclusions sont catastrophiques. Il prévoit que les émissions de CO² contribueront au réchauffement climatique "pendant plus d'un millénaire". "L'essentiel de l'accroissement observé sur la température moyenne depuis le milieu du 20e siècle est très vraisemblablement dû à l'augmentation observée des gaz à effet de serre anthropiques (d'origine humaine)", lit-on dans le résumé établi à l'intention des décideurs par les experts du Giec à l'issue d'une semaine de réunion à Paris. "Le réchauffement du système climatique est sans équivoque, affirme le texte, car il est maintenant évident dans l'accroissement des températures moyennes mondiales, la fonte généralisée de la neige et de la glace et l'élévation du niveau moyen mondial de la mer."

"Les concentrations atmosphériques actuelles de dioxyde de Carbone et de méthane excèdent de loin les valeurs préindustrielles déterminées par carottage glacier couvrant une période de 650.000 ans. Les augmentations de gaz à effet de serre depuis 1750 sont principalement dues aux émissions provenant de l'usage des carburants fossiles, l'agriculture et les changements d'usage des terres (...). Le dioxyde de carbone est le plus important gaz à effet de serre anthropique. Sa concentration dans l'atmosphère a augmenté d'une valeur préindustrielle de 280 ppm (parties par million) à 379 ppm en 2005. (...).

Les émissions «passées et futures de CO2 continueront à contribuer au réchauffement pendant plus d'un millénaire» : tels sont les termes exacts utilisés par le Giec dans son rapport. Les températures devraient augmenter de 1,8 à 4 degrés d'ici 2100, précise-t-il. Les experts mondiaux ont renforcé leur conviction que l'homme est responsable de «l'essentiel de l'accroissement observé sur la température moyenne globale depuis le milieu du 20e siècle». Les experts du Giec affectent à cet impact humain sur le climat une certitude de 90 %, contre 66 % dans leur dernier rapport en 2001.

Ils donnent pour la première fois une «meilleure estimation» du réchauffement attendu d'ici la fin du siècle : la température grimperait de +1,8 à +4°C par rapport à la période 1980-1999. Ces valeurs sont des moyennes, et le réchauffement pourrait être plus élevé, allant jusqu'à 6,4° dans le scénario le plus «polluant». La température a augmenté de 0,76°C de 1850-1899 à 2001-2005, indique le rapport.

Les experts jugent «très probable que les chaleurs extrêmes, les vagues de chaleur et les évènements de fortes précipitations continueront de devenir plus fréquents». Il est «vraisemblable» que les cyclones tropicaux futurs, ainsi que les typhons et ouragans, deviendront plus intenses, avec des vents plus forts et des précipitations plus fortes. Onze des 12 dernières années figurent au palmarès des 12 années les plus chaudes depuis que l'on a commencé à établir des statistiques en 1850.

Quant au niveau des mers, il devrait s'élever entre 18 et 59 centimètres d'ici la fin du siècle, une estimation qui ne prend pas en compte une éventuelle fonte accélérée de la glace au Groenland et dans l'Antarctique, prévient le Groupe intergouvernemental d'experts sur l'évolution du climat (GIEC). "La contraction de la couverture glaciaire du Groenland continuera à contribuer à la montée du niveau de la mer après 2100. Les modèles actuels suggèrent qu'un réchauffement moyen mondial (par rapport aux valeurs préindustrielles) de 1,9 à 4,6°C conduirait à une disparition pratiquement complète du revêtement glaciaire du Groenland et à une montée subséquente du niveau de la mer d'environ 7 m, s'il dure le millénaire. Ces températures sont comparables à celles intervenues lors de la dernière période interglaciaire il y a 125.000 ans, ainsi qu'en témoignent les informations paléo climatiques qui montrent pour cette période une diminution de la glace polaire et une hausse du niveau de la mer de 4 à 6 m.

Selon l'hypothèse moyenne des experts du Giec, la température pourrait s'être élevée de 1,8 à 4 degrés entre la dernière décennie du 20e siècle et la dernière décennie du 21e siècle. Compte tenu des erreurs autour de chaque scénario, la fourchette totale s'étend de 1,1 à 6,4 degrés. "Tout ça donne une image d'un monde extrêmement différent, d'un véritable bouleversement climatique, estime Jean Jouzel, Climatologue et Directeur de recherche au CEA. Même un changement de trois degrés, si nous le subissions en un siècle, c'est la moitié d'un changement climatique majeur, celui qui nous a fait passer de la dernière période glaciaire à la période actuelle, mais ce passage a pris 5.000 ans", dit-il.

Pour Jean Jouzel, le caractère du réchauffement est irréversible. "Même si nous arrêtions toutes nos émissions, nous avons déjà engrangé un réchauffement de près d'un degré de façon inéluctable (...)", affirme-t-il en soulignant qu'il est "trop tard" pour revenir au climat d'il y a 200 ans". Il souhaite que l'objectif que s'est fixé l'Union Européenne de limiter le réchauffement du climat à deux degrés soit atteint, même s'il l'estime "très ambitieux". "Il ne faut pas se dire on ne peut rien faire", a souligné pour sa part Achim Steiner, directeur exécutif du Programme des Nations Unies pour l'environnement. "Quiconque continuerait de risquer l'inaction devant les preuves présentées aujourd'hui sera un jour considéré comme irresponsable dans les livres d'histoire."

Et en effet il faut bien avoir à l'esprit les conséquences apocalyptiques, le mot n'est pas trop fort, de cette évolution climatique si nous ne réagissons pas d'une manière radicale : la partie du rapport du GIEC intitulé "Impacts, adaptation et vulnérabilité", indique que 200 à 700 millions de Terriens pourraient souffrir de pénuries alimentaires d'ici 2080 du fait du changement climatique. Les pénuries d'eau pourraient frapper, elles, entre 1,1 et 3,2 milliards d'êtres humains. On imagine sans peine les conséquence humaines, économiques et géopolitiques désastreuses d'un tel scénario.

On serait tenté de dire que la réduction louable des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2012 de 5 % par rapport aux niveaux de rejet de 1990, prévue dans le cadre du Protocole de Kyoto, apparaît désormais comme presque dérisoire face à la gravité des enjeux qui nous attendent.

Les changements climatiques "courent comme un lièvre", tandis que les dirigeants du monde entier "avancent à la vitesse de l'escargot", a déploré le ministre italien de l'Environnement Alfonso Pecoraro Scanio. L'enjeu est clair : "ou nous accélérons, ou nous risquons un désastre". Scanio est l'un de rares responsables politiques à ne pas se contenter de discours mais à proposer des mesures concrètes ; il préconise notamment une taxe globale sur les émissions de dioxyde de carbone et la création d'une ONU pour l'environnement "forte".

Le temps des discours et des conférences est en effet révolu et c'est à présent des décisions drastiques au niveau mondial, européen et national qu'il nous faut prendre. Mais nous devons comprendre que nous ne parviendrons pas à réduire massivement nos émissions de gaz à effet de serre sans changer de civilisation. Il ne suffira pas de substituer en une génération les énergies nouvelles et renouvelables aux énergies fossiles (ce qui sera déjà très difficile). Il va également falloir changer complètement l'organisation de nos économies et de nos sociétés de façon à réduire "à la source" l'ensemble de nos consommations d'énergie. Concrètement, cela signifie modifier tout notre système de production industriel en intégrant l'objectif de basse consommation d'énergie dès la conception des produits et services.

En matière d'habitation et de logements, nous allons devoir apprendre à construire des bâtiments tendant vers l'autosuffisance énergétique grâce à l'utilisation combinée des nouveaux matériaux "intelligents" et des sources d'énergies propres qui seront intégrées dans la structure même de nos bâtiments. En matière de transports, le secteur d'activités le plus "énergivore", nous devons non seulement passer d'ici 25 ans au "zéro pétrole" mais nous devons également réduire "à la source" nos besoins en déplacements (notamment domicile-travail) en généralisant les téléactivités et le télétravail. Nos sociétés développées vont devoir apprendre à consommer globalement de moins en moins d'énergie tout en continuant à améliorer le niveau de vie et de confort de leurs habitants, ce qui constitue un défi de civilisation unique.

"A toute chose malheur est bon" dit un vieil adage populaire et ce défi climatique titanesque auquel nous sommes confrontés va peut-être avoir le mérite de faire prendre conscience aux hommes que ce qui les rassemble est plus fort que ce qui les sépare et que l'humanité toute entière doit s'unir et tendre vers un but commun pour assurer sa survie. Mais, n'en doutons pas, cet impératif de lutte contre le réchauffement climatique va également profondément modifier nos concepts et organisations politiques et démocratiques et faire émerger de nouvelles formes d'expression et d'action politiques et, sans doute, plus rapidement que nous ne le pensons, de nouvelles et puissantes instances de gouvernance au niveau planétaire.

C'est donc bien un nouveau monde, radicalement différent de la civilisation industrielle que nous connaissons depuis deux siècles, que nous devons construire pour permettre à l'espèce humaine de poursuivre sa longue aventure en se réconciliant avec la nature et en construisant le nouveau concept politique et éthique d'intérêt supérieur de l'humanité.

René Trégouët

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

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