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Edito : Quelle médecine et quels médicaments pour demain ?

Le 25 avril dernier le groupe franco-allemand Aventis a finalement accepté de fusionner avec la firme pharmaceutique française Sanofi-Synthélabo qui se trouve ainsi valorisé à 55,3 milliards d'euros. Cette fusion donne ainsi naissance au premier groupe pharmaceutique européen et troisième groupe au monde (après Pfizer et GlaxoSmithKline). Ce rapprochement correspond à une nécessité financière et scientifique et illustre les nouveaux défis auxquels la recherche médicale et biologique française et européenne vont être confrontés dans les années à venir. Grâce à la génétique, la génomique et la conception assisté par ordinateur de nouvelles molécules, les médicaments de demain pourront être adaptés à chaque cas après analyse de l'ADN du malade.Ces médicaments conçus sur mesure seront à la fois plus efficaces et bien mieux tolérés que nos molécules actuelles. Mais cette révolution médicale aura un coût : de 15 000 à 20 000 ? de traitement annuel par malade. Aujourd'hui, à peine 70 médicaments figurent dans la catégorie des " blockbusters ". Il s'agit des, principaux médicaments contre les pathologies les plus fréquentes et qui génèrent au moins 750 millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. Or d'ici 3 ans, la moitié au moins ne sera plus protégée par leur brevet. On voit donc qu'à court terme va se poser la question centrale du maintien de la profitabilité qui alimente la recherche, qui à son tour permet de renouveler notre arsenal thérapeutique. En outre, la recherche traditionnelle, qui consiste à tester des milliers de molécules à la découverte d'un effet favorable, montre aujourd'hui ses limites. Depuis 15 ans, le coût des nouveaux médicaments a crû de façon exponentielle et la source aux innovations se tarit. Dans le même temps de nouvelles contraintes de sécurité et d'innocuité apparaissent, sous l'action d'agences spécialisées comme la FDA aux Etats-Unis ou l'EMEA en Europe. Si nous voulons tous pouvoir être soignés demain avec ces médicaments du futur, nous devons préserver la capacité de nos centres de recherche privés. Ce sont eux qui depuis 50 ans nous ont fourni la quasi-totalité des médicaments actuellement disponibles. " Développer plus vite et dans des conditions plus économiques des médicaments avec un meilleur Service médical rendu (SMR) " voilà le défi de demain selon Richard Platford (IBM). Avec par exemple des essais cliniques qui ne seront plus effectués in vivo mais in silico, sur des puces en silicium. Heureusement les extraordinaires progrès en matière de puissance de calcul, grâce notamment au calcul distribué "en grille" vont bientôt permettre de modéliser à un coût abordable une protéine en quelques heures au lieu de plusieurs années il y a seulement 5 ans. Responsable de l'informatique de recherche chez Aventis, Rémi Le Goas explique que ces approches sont à l'oeuvre dans les laboratoires du géant franco-allemand à Francfort, Romainville et Bridgewater (USA). " Mettant en réseau nos chimistes, biologistes, pharmaciens, médecins et pharmacocliniciens, nous allons réduire le temps de gestation d'une molécule de 10/15 ans hier, à 6/9 ans. Si les entreprises entrent dans cette nouvelle vision de la recherche, nos médicaments demain seront très différents. Ils seront " taillés sur mesure " après analyse de notre ADN, produits à l'unité, dotés d'une efficacité largement supérieure avec des effets secondaires minimum. Ils seront enfin... très chers, de l'ordre de 15 000 à 20 000 euros par an et par individu. En fait, il existe déjà des médicaments qui entrent dans cette logique de développement fondée sur la génomique. Ce sont les anticorps monoclonaux, dont certains sont déjà prescrits. Mais d'ici 10 ans les puces à ADN se seront banalisées dans les laboratoires d'analyse et les cabinets médicaux et il deviendra possible, pour un nombre croissant de pathologies, de concevoir ou d'adapter les médicaments en fonction du profil génétique du patient. Toutefois cette révolution médicale, si elle est riche d'espoirs pour les malades, est aussi porteuse de lourdes incertitudes en matière de prise en charge et d'adaptation de notre système de santé. La généralisation de ces nouveaux médicaments "sur mesure", à très forte valeur ajoutée, nécessite en effet une mutation profonde de tout notre système de soins et de ses modes de financement et d'administration. Aujourd'hui les parts respectives des médicaments et de l'hôpital dans notre système de santé sont de 20% et 45%. Mais demain ce rapport va inéluctablement s'inverser, ce qui risque de provoquer des mutations socio-économiques très difficiles à gérer. Dans cette perspective, la télémédecine peut jouer un rôle majeur et constituer un outil très puissant d'adaptation pour faciliter la nécessaire mutation de notre système de santé sous l'effet de ces avancées scientifiques et médicales. La télémédecine pourrait notamment réduire de manière sensible la durée et le coût des hospitalisations préventives et post ou préopératoires en permettant à des patients à risque de rester chez eux tout en étant suivis à distance par leur médecin ou leur hôpital. Aujourd'hui la télémédecine est en train de franchir une nouvelle étape et ne se contente plus de télédiagnostic et de télésurveillance. Elle devient également capable de réaliser des soins et interventions à distance, soit de manière ponctuelle (interventions chirurgicales robotisées), soit de manière permanente (délivrance personnalisée de médicaments en fonction de l'état du patient). Le Fraunhofer Institut, organisme de recherche allemand, a ainsi présenté lors du dernier CeBIT, en mars à Hanovre, un bracelet électronique intégrant divers capteurs de paramètres biologiques et un module de communication sans fil pour le suivi médical des patients à domicile. Le bracelet comporte jusqu'à seize capteurs qui surveillent des paramètres vitaux comme la température, le taux d'oxygénation du sang, la pression sanguine ou le rythme cardiaque. Les données sont transmises en trois étapes. Dans un premier temps, une station de base, portée à la ceinture ou intégrée dans une montre, reçoit les données envoyées par le module radio du bracelet dans la bande 402-405 MHz. Cette station de base transmet à son tour les données vers un boîtier passerelle, ou un ordinateur connecté à Internet, en utilisant une connexion sans fil standard (DECT, Wi-Fi ou Bluetooth). Les données cryptées sont enfin envoyées sous IP vers un centre de soins, via Internet ou un réseau privé. Mais cette dernière passerelle, qui relie le patient au médecin, pourrait, elle aussi, être mobile et portée par le patient, libérant ses déplacements en dehors de son domicile grâce à une transmission des données empruntant les réseaux cellulaires GSM ou UMTS. D'après René Dünkler, l'un des responsables du projet, les capteurs pourront aussi à terme être couplés à des actuateurs pour corriger automatiquement certaines évolutions pathologiques. « Un capteur de glucose sanguin pourrait activer une pompe à insuline dès que le taux de glucose passe en dessous d'une certaine limite, explique-t-il. Dans un futur un peu plus lointain, la miniaturisation de l'électronique permettra même d'envisager une électronique implantable pour certaines pathologies. » Ce bracelet électronique pourrait s'intégrer dans le projet européen MobiHealth qui vise à permettre le suivi médical de nombreuses pathologies : maladies cardiaques, respiratoires, ou certaines grossesses à risque. Pour Martin Elixmann, directeur du groupe Distributed Systems de Philips Research à Aachen (Allemagne), « l'intégration de l'ensemble des fonctionnalités sur une puce, combinée à l'utilisation d'une électronique portée près du corps, avec des capteurs insérés dans les vêtements, nous amènera aux systèmes légers, non invasifs et ergonomiques que les gens désirent ». Demain, grâce à la miniaturisation des équipements électroniques et à la généralisation de l'internet sans fil, le développement de la télémédecine interactive et personnalisée va permettre, pour un nombre croissant de patients et de maladies, la surveillance médicale permanente et l'hospitalisation à domicile. Dans un tel contexte, nous allons assister à émergence de l'hôpital virtuel dans lequel la majorité des patients seront surveillés et soignés à distance, en dehors de leur établissement de rattachement. Avec la généralisation du dossier médical électronique, les choix thérapeutiques et les traitements seront décidés et mis en oeuvre de manière plus transparente et plus collective dans un processus de concertation permanent entre le médecin traitant, l'hôpital et ses spécialistes, et le patient. Cette nouvelle organisation des soins permettra également de définir avec une grande précision le meilleur rapport coût-efficacité thérapeutique pour chaque traitement et chaque malade. Au moment où le grand chantier de la réforme de assurance-maladie, et plus largement de notre système de santé, entre dans une phase décisive qui doit déboucher cet été sur le dépôt d' un projet de loi au Parlement, nous devons intégrer dans notre réflexion les conséquences et les potentialités de cette double révolution scientifique et médicale en cours -conception informatisé de médicaments sur mesure adapté au profil génétique du malade et généralisation de la télémédecine interactive- si nous voulons permettre l'accès à tous, au moindre coût pour la collectivité, à cette nouvelle médecine prédictive et personnalisée. Dans cette perspective, on voit donc qu'une réforme profonde, globale et cohérente de l'ensemble de notre système de santé et de protection sociale, concernant la prévention, la médecine de ville, l'hôpital et la politique du médicament, est inévitable et souhaitable car liée de manière consubstantielle aux révolutions scientifiques et médicales en cours dans les domaines de la conception et de l'administration des médicaments et plus largement des soins du futur qui utiliseront de manière massive la télémédecine.

René TREGOUET

Sénateur du Rhône

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