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Edito : Pourquoi la France n’affiche-t-elle pas de plus grandes ambitions dans le domaine crucial de la transition énergétique ?

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Editorial :

Cette semaine, je reviens sur un sujet capital, celui de la transition énergétique mondiale, condition absolument nécessaire pour lutter contre le réchauffement climatique en cours, essentiellement provoqué par les activités humaines et l’augmentation considérables des émissions de CO2 depuis un demi-siècle. Je vous demande à l’avance de me pardonner pour la longueur exceptionnelle de cet éditorial, mais l’importance de cette question pour notre avenir mérite bien, je crois, un long développement.

Fin 2018, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a publié une étude prospective sur les perspectives énergétiques mondiales qui mérite d’être méditée. On peut notamment y lire que, compte tenu de l’augmentation attendue de la population mondiale (1,5 milliard d’habitants supplémentaires dans les 20 ans qui viennent) et d’une urbanisation croissante qui dépassera les 80 % de la population totale de la Terre, la demande mondiale d’énergie pourrait passer de 14 Gteps en 2019 à 18 Gteps d’ici 20 ans, soit une hausse d’environ 28 %. Quant aux besoins en électricité, ils devraient progresser encore plus rapidement : au moins + 38 % d’ici 2040 selon le scénario central de l’AIE. La consommation électrique mondiale représenterait alors un quart de la demande totale d’énergie (34 500 TWh), contre 19 % (25 000 Twh) en 2019.

Cette hausse des besoins d’électricité pose un triple défi : maîtriser l’augmentation de la production électrique mondiale en décentralisant massivement la production d’énergie, ce qui permet de réduire sensiblement les pertes entre électricité produite et électricité consommée, décarboner massivement cette production électrique, par un mix énergétique essentiellement composé de l’éolien, du solaire, des énergies marines et de l’hydrogène, et enfin repenser et restructurer nos réseaux d’énergie en "smart grids" de façon à ce qu’ils puissent lisser et stocker sous différentes formes les quantités massives d’électricité excédentaire inhérentes aux énergies renouvelables .

Dans les différents scénarii de prospective énergétique, la part des renouvelables dans le mix énergétique mondial passerait de 25 % actuellement (grâce surtout à l’hydroélectricité) à 40 %, voire 50 % en 2040. Le solaire et l’éolien connaîtraient la plus forte croissance, grâce notamment à l’amélioration continue des rendements et la poursuite de la baisse des coûts. Dans le solaire, où les prix ont quasiment été divisés par dix en dix ans, ils reculeraient encore de 40 % d’ici à 2040. Cette hausse se ferait principalement au détriment du charbon qui ne représenterait plus que 15 à 25 % de la production d’électricité en 2040, contre 40 % aujourd’hui,

Comme le rappelle avec force L’AIE, si nous restons sur le rythme actuel insuffisamment rapide de réduction de la part des énergies fossiles dans le bouquet énergétique mondial,  les émissions de CO2 risquent d’augmenter de 10 % d’ici 20 ans, alors que dans le scénario le plus vertueux de l'AIE (reposant à la fois sur une maîtrise de notre consommation d'énergie et une très forte diminution de l'utilisation des énergies fossiles), ces émissions seraient presque réduites de moitié, ce qui limiterait à deux degrés vers 2100 l’ampleur du réchauffement climatique…

L'AIE envisage notamment une variante volontariste de ses scénarios, intitulée « Pour un futur électrique », dans laquelle la consommation finale d’énergie serait « électrifiée » à 31% (au lieu de 25 % dans le scénario de référence). Dans ce scénario, la part totale des énergies propres (éolien, solaire, énergies marines et biomasse) passerait de 25 % en 2017 à 41 % en 2040, pour une part du nucléaire qui resterait constante à environ 10 % du mix énergétique mondial.

Cette forte montée en puissance de l’électricité serait notamment générée par un développement plus rapide que prévu des véhicules « tout électrique », dont le parc mondial atteindrait 950 millions d’unités en 2040, au lieu de 350 millions dans son scénario de référence. Notons que cette électrification accélérée du parc automobile mondial devient de plus en plus probable : une étude publiée il y a quelques semaines par le cabinet AlixPartners prévoit que les batteries, qui représentent aujourd'hui un tiers de la valeur ajoutée des véhicules électriques, devraient voir leur coût tomber sous la barre de 100 dollars du kilowattheure, ce qui abaissera le coût de fabrication des voitures électriques, à performances comparables, au même niveau que celui des voitures thermiques.

Cette électrification massive de la production d'énergie, mais aussi des transports, permettrait en outre, dans la perspective de réseaux de distribution « double flux » d’utiliser l'ensemble de ces véhicules électriques pour stocker et, si besoin, restituer au réseau en différé l'électricité non immédiatement consommée.

Dans son étude annuelle New Energy Outlook 2019 (NEO), Bloomberg confirme pour sa part que la forte baisse des coûts de la technologie éolienne, solaire et des moyens de stockage massifs permettra, en dépit d’une forte hausse de la demande mondiale d’électricité, de produire pratiquement la moitié de l’électricité mondiale à partir des énergies propres en 2050. Selon cette étude, la part du charbon dans le mix énergétique mondial passerait de 37 % aujourd’hui à 12 % d’ici 2050, tandis que celle du pétrole régresserait très fortement. L’éolien et le solaire passeraient de 7 % de la production actuelle à 48 % d’ici 2050. Les parts respectives de l’hydroélectricité, du gaz naturel et du nucléaire demeureraient à peu près stables en pourcentage.

Cette étude souligne que « Les systèmes de productions photovoltaïques, les éoliennes et les batteries lithium-ion vont continuer à afficher un rythme de réduction des coûts de 28 %, 14 % et 18 % respectivement pour chaque doublement de la capacité mondiale installée. Il en résultera que, d’ici 2030, le prix de l’énergie produite, stockée et distribuée par ces trois technologies sera inférieure à l’électricité produite par les centrales au charbon et au gaz existantes presque partout dans le monde.

Toujours selon Bloomberg New Energy Finance, d’ici 2040, 7 400 milliards de dollars pourraient être investis dans de nouvelles centrales d’énergie renouvelable, soit 72 % des 10 200 milliards de dollars d’investissements prévus au niveau mondial dans les nouveaux équipements de production d’énergie. A cet horizon, solaire et éolien pourraient représenter environ la moitié des capacités installées mondiales, et 34 % de la production d’électricité, contre 12 % et 5 % actuellement.

Notons que le coût moyen de production du KWh par les énergies renouvelables se rapproche déjà de celui des énergies fossiles : il est, pour les toutes dernières grosses installations, de l’ordre de 3 cts pour le photovoltaïque, 5 cts pour l’éolien terrestre, 15 centimes pour l’éolien marin et 17 centimes pour les dernières centrales solaires thermodynamiques avec système de stockage de chaleur intégré, à comparer aux 7 cts du KWh en moyenne pour l’électricité issue du gaz et du charbon…

Actuellement, la production électrosolaire mondiale est de l’ordre de 600 TWh et celle de l’éolien atteint les 11 00 TWh. Ces deux sources d’énergies renouvelables, qui ne représentaient encore que 0,5 % de la production électrique mondiale il y a 20 ans, en représentent maintenant environ 6,5 %, une progression tout à fait remarquable, qui ne fait que s’accélérer depuis plusieurs années et devrait encore croître au cours des prochaines décennies, tirée à la fois par une baisse des coûts de production, bien plus rapide que prévue, mais également par des ruptures technologiques en cours sur lesquelles nous allons revenir.

En matière d’éolien, plusieurs avancées techniques majeures sont en train de bouleverser le secteur : d'abord, l’arrivée d’une nouvelle génération de machines géantes – rendue possible par l’emploi de nouveaux matériaux – capables de produire dix fois plus d’énergie que les meilleures éoliennes du début de ce siècle. Autres ruptures majeures, la maîtrise des éoliennes flottantes de grande taille qui permet d’implanter des machines beaucoup plus au large et de bénéficier de vents plus forts et plus réguliers. Enfin, soulignons également l’arrivée de logiciels de modélisation d’une extrême précision qui permettent, en utilisant les progrès en matière de prévisions météorologiques, de prévoir et d'anticiper de manière très fiable les fluctuations de production d’énergie.

Le projet britannique marin "Dogger Bank", qui sera achevé en 2025, a bénéficié de l’ensemble de ces innovations. Ce gigantesque parc marin, qui représente un investissement de 10,2 milliards d’euros, comptera 630 éoliennes hautes de 200 mètres et sera situé en mer du nord, à 130 kilomètres à l’est des côtes du Yorkshire. Ce parc, avec 9000 MW de puissance installée, sera le plus grand du monde et pourra produire 5 % de l'électricité consommée outre-Manche et alimenter 4,5 millions de foyers. Il produira donc, à lui seul, plus que l’ensemble de l’éolien français et presque trois plus que les sept futurs parcs éoliens marins prévus en France à l’horizon 2025-2030 (environ 3600 MW de puissance installée au total).

Soulignons également que si la France construisait trois parcs éoliens marins de l’envergure de Dogger Park, elle pourrait ramener, d’ici une vingtaine d’années, la part du nucléaire de 72 à 50 % dans sa production électrique et rééquilibrer ainsi son mix énergétique.

Ce projet hors-norme consacre l'avance britannique dans l'éolien marin et confirme également que ce gigantisme permet d’atteindre à présent une efficience énergétique qui rend l’électricité éolienne plus compétitive que celle issue de n’importe quelle énergie fossile, surtout si l’on prend en compte dans le calcul des coûts l’ensemble du cycle de vie, y compris bien sûr les très faibles émissions de CO2 et l’impact environnemental très réduit. Pour Dogger Bank, la taille et la puissance de l’installation ont permis d’atteindre un prix de rachat de l’énergie jamais vu : seulement 4,5 centimes du KWH, soit un prix équivalent à celui de l’éolien terrestre et légèrement inférieur à celui de l’électricité issue du gaz, du charbon, mais aussi du nucléaire (de 5 à 11 centimes le KWh, selon l'ancienneté de la centrale).

Surpassant encore l’éolien, l’énergie appelée à jouer un rôle majeur dans le mix énergétique mondial est l’énergie solaire, sous ses différentes formes – photovoltaïque et thermique). Et dans ce domaine également, plusieurs révolutions technologiques sont en cours. On peut d’abord évoquer la montée en puissance des cellules hybrides, conçues pour produire simultanément chaleur et électricité. Cette technologie est à présent bien maîtrisée et, en dépit de son coût un peu supérieur à celui des panneaux classiques (soit thermiques soit photovoltaïques), elle peut s’avérer rentable à long terme dans les zones bien ensoleillées, d’autant plus qu’elle autorise le couplage avec une chaudière à bois ou une pompe à chaleur. On estime qu’une surface de 6 à 10 m2 de panneaux solaires hybrides peut permettre de couvrir environ la moitié des besoins en eau chaude d’une habitation comportant 4 personnes.

S’agissant du solaire photovoltaïque, on sait depuis une cinquantaine d’années que l’efficacité d’une cellule solaire de ce type ne peut pas dépasser 33,7 %. Déjà, certaines cellules de laboratoire atteignent un rendement de 27 %, et pour les cellules dites « multi-jonctions », on arrive même à 42 %. Il y a quelques semaines, une nouvelle performance a été atteinte en matière d’énergie solaire destinée au grand public. Les modules de la start-up suisse Insolight ont enregistré un rendement de 29 %, selon les résultats validés par un laboratoire indépendant, l’Institut d’énergie solaire de l’Université polytechnique de Madrid (IES-UPM).

Par comparaison, les panneaux en silicium cristallin que l’on retrouve sur les toits tournent en moyenne à 15 % de rendement. Pour atteindre un tel rendement, Insolight a conçu des panneaux solaires qui reprennent la technologie des cellules photovoltaïques multi-jonctions à très haut rendement utilisées dans le domaine spatial. Les scientifiques s’accordent sur le fait que l’on devrait voir arriver sur le marché d’ici 5 ans des cellules photovoltaïques compétitives affichant un rendement de l’ordre de 30 %, le double de celles que l’on trouve aujourd’hui dans les installations au sol ou sur nos toits. Cela signifie que, pour une même surface, on pourra produire d’ici 5 ans deux fois plus d’électricité en moyenne.

Mais une autre révolution technologique dont on ne mesure pas encore l’ampleur est en marche dans les pays du sud, celle des centrales mixtes-photovoltaïque-thermodynamique, qui permettent de produire mais aussi de stocker sur place des quantités considérables d’énergie qui pourront ainsi être restituées et utilisées plus tard, en fonction de la demande. La Maroc a par exemple entrepris la réalisation d’un projet hors norme, unique au monde, sur le plateau de la Haute Moulouya. Ce projet, d’un coût total de 1,6 milliard d’euros, a été baptisé  « Noor Midelt » et combine  600 MW de solaire à concentration thermique et 1 000 MW de photovoltaïque, soit une puissance installée totale de 1 600 MW qui pourra répondre à terme aux besoins en électricité de 2,5 millions de Marocains. La première phase de ce projet hors-norme a été lancée en 2018 : elle prévoit la construction de 825 MW de puissance solaire, répartie entre 300 MW de CSP et 525 MW de photovoltaïque. Le CSP assurera une capacité de stockage de l’ordre de 5 heures, ce qui veut dire que cette centrale continuera de fonctionner 5 heures après le coucher du soleil en stockant l’excédent d’électricité sous forme de sels fondus.

En Afrique du Sud, une autre centrale à concentration du même type a été mise en service en mars dernier dans le désert du Kalahari. Le « Kathu Solar Park couvre environ 4,5 km², et dispose d’une puissance installée de 900 MW, avec 384 000 miroirs cylindro-paraboliques. Cette centrale dispose également d’une capacité de stockage d’environ 5 heures, ce qui lui permet de continuer à produire de l’électricité la nuit ou par mauvais temps (rare dans cet endroit très désertique). Elle va répondre aux besoins en électricité de 200 000 foyers et pourra éviter l’émission de six millions de tonnes de CO2 d’ici 2040.

Dans les pays émergents, presque tous situés dans des régions de fort ensoleillement, cette technologie solaire thermodynamique à concentration est promise à un grand avenir, bien qu’elle soit pour l’instant plus onéreuse à développer, car elle présente l’avantage décisif de pouvoir stocker une partie de l’électricité excédentaire produite, ce qui compense sur le long terme le différentiel de coût de production énergétique.

En outre, il y a quelques semaines, une équipe de recherche franco-espagnole (CNRS et Institut de l’Energie Solaire de Madrid) a annoncé une avancée majeure en matière de stockage thermique à ultra-haute température, un domaine de recherche en pleine effervescence. Ces chercheurs ont en effet mis au point une technique de stockage par silicium fondu qui permet de stocker jusqu’à deux fois plus d’énergie, pour un même volume de stockage, qu’une batterie lithium-ion. Si le démonstrateur industriel utilisant cette nouvelle technologie confirme, en 2024, les performances annoncées, la filière solaire à concentration pourrait connaître un essor encore plus rapide.

Si l’éolien et le solaire de nouvelle génération vont devenir les principales sources d’énergie pour l’Humanité (en attendant, il faut le souhaiter, la maîtrise industrielle de la fusion thermonucléaire contrôlée vers 2050), les énergies marines, trop longtemps délaissées, sont également appelées à jouer un rôle considérable dans l’approvisionnement énergétique mondial, car leur potentiel exploitable est gigantesque, même si les difficultés techniques à surmonter restent importantes.

Dans ce domaine, il faut signaler qu’aux énergies marines « classiques » (énergie des marées, des vagues, des courants marins et des différences thermiques entre surface et fond de l’océan), une nouvelle source d’énergie très prometteuse se profile : l’énergie osmotique à grande échelle. Cette forme d’énergie est connue depuis longtemps et elle exploite un niveau concentration différent entre deux liquides, séparés par une membrane semi-perméable, pour produire du mouvement et de l’électricité. Ce type d'installation peut être réalisé partout où l’on trouve deux sources d'eau ayant des concentrations en sel différentes, à commencer par les embouchures des fleuves.

Bien que le rendement énergétique de cette technique reste, avec les technologies disponibles, assez modeste (environ 0,75 kWh d'énergie par m3 d'eau à pression constante), il permettrait tout de même, en exploitant seulement un dixième des eaux se jetant dans les océans, à l'échelle de la Planète, de produire environ 1700 TWH, soit 5 % de l’électricité qui sera consommée dans le monde en 2040 et répondre ainsi de manière durable aux besoins en électricité de 520 millions de personnes. En outre, de récentes recherches menées par l’EPFL ont montré que l’utilisation de nanomembranes constituées de Disulfure de molybdène, un matériau abondant dans la nature, permettrait d’augmenter de manière considérable l’efficacité énergétique de ce processus d’osmose.

Reste la question capitale du stockage et de la régulation de la production électrique massive qui sera issue des énergies renouvelables. Mais, outre les différents systèmes de stockage par batterie liquides et solides qui ont fait des progrès considérables depuis 10 ans, il existe deux moyens qui, associés, peuvent permettre de stocker de manière rentable des quantités massives d’électricité excédentaire. Le premier est le "Power to Gas". Cette technique, à présent bien maîtrisée, consiste à utiliser de l’électricité pour transformer de l’eau en hydrogène. L’hydrogène peut ensuite être combiné par un processus de méthanisation à du dioxyde de carbone (CO2) pour obtenir du méthane de synthèse. L’hydrogène et le méthane de synthèse une fois produits peuvent être injectés dans le réseau de gaz. On estime que, d’ici 2040, il serait possible de stoker ainsi entre 5 et 10 % de la production électrique mondiale.

L’autre moyen est plus conventionnel ; il s’agit des Step, stations de transfert d'énergie par pompage. Composée de deux bassins séparés par un dénivelé, la Step actionne une pompe qui puise dans le bassin inférieur lorsqu'elle dispose d'un surplus d'énergie. Quand la demande augmente, l'eau du bassin supérieur est relâchée vers le bassin inférieur et alimente une turbine qui produit de l'électricité. De l'énergie disponible en quelques minutes, avec un très bon rendement (entre 70 % et 85 %), et dont le coût d'installation est 20 fois moins élevé que les batteries lithium-ion.

Des chercheurs de l'Université nationale australienne (ANU) viennent de publier un atlas en ligne de tous les sites potentiels capables de recevoir des Step. Leurs estimations se basent sur un algorithme capable de les identifier en fonction de l'altitude, du climat, de la topographie, du volume du réservoir d'eau requis, ou encore de la taille du barrage à construire. Ils ont ensuite calculé le stockage possible pour chacun. Au total, 530.000 sites ont été trouvés totalisant 22.000 TWh, ce qui représente 90 % de la production électrique mondiale annuelle (voir Energy Review). Leur capacité de stockage s'étend de 2 à 150 GWh mais, selon Matthew Stocks qui a dirigé le projet, « à peine 1 % des meilleurs 530.000 sites suffirait à couvrir une production à 100 % d'énergies renouvelables ».

Mais on peut légitimement se poser la question de savoir s’il est bien réaliste d’imaginer une production mondiale d’électricité qui serait assurée dès 2040 pour 55 % par le solaire et l’éolien (contre 7 % aujourd’hui), ce qui permettrait de ramener la part des énergies fossiles (charbon et gaz) de 62 % à 20 % (en faisant l’hypothèse d’une part du nucléaire et de l’hydraulique à peu près constante, respectivement, 10 et 15 %, et d’un développement des énergies marines jusqu’à 5 % de la production électrique mondiale ).

Pour tenter de répondre à cette question, nous avons effectué, ma petite équipe et moi-même, des calculs visant à évaluer combien il faudrait installer d’éoliennes et de km2 de panneaux solaires pour produire les 18 920 TWH (55 % de la consommation électrique mondiale prévue en 2040) par l’éolien et le solaire de nouvelle génération.

Le scénario retenu table sur 35 % de l’électricité mondiale (12 040 TWh) fournie par le solaire et 25 % (8 600 TWh) par l’éolien. Nous avons volontairement fondé nos estimations sur des données réalistes en retenant comme base de calcul la productivité énergétique moyenne des nouvelles éoliennes marines géantes de type Haliade X et des panneaux solaires déjà expérimentés en laboratoire, qui seront disponibles d’ici 5 ans et permettront un rendement de conversion de 30 %. Nous avons enfin majoré nos estimations de puissance nécessaire de 30 %, pour tenir compte des inévitables déperditions d’énergie entre les sites de production et le consommateur final.

Le résultat de nos calculs est plutôt surprenant et montre à quel point les énergies éoliennes et solaires sont à présent entrées dans l'ère de l'efficience industrielle et de la rentabilité économique : dans notre scénario, il suffirait d'environ 60 000 km2 d’installations solaires et de 190 000 éoliennes marines de type Haliade X (ces installations devant bien entendu être couplées aux moyens massifs de stockage et de régulation de l'énergie que j'ai évoqués), pour assurer 55 % de la production électrique mondiale prévue en 2040. Quant aux émissions de CO2 évités, elles diminueraient de moitié au niveau de la production électrique, passant de 16 à 8 gigatonnes (pratiquement l’équivalent des émissions actuelles réunies des Etats-Unis et de l‘Union européenne) et cela, en dépit d’une probable augmentation globale de la production électrique mondiale de près de 40 % d'ici 20 ans.

Globalement, si cette politique volontariste de développement mondial des énergies propres se combinait avec le scénario « développement durable de l’AIE, qui intègre également une réduction à la source des besoins énergétiques, et une amélioration de l’efficacité énergétique dans tous les secteurs : bâtiment, transports et agriculture, il serait possible de réduire les émissions humaines de gaz à effet de serre de 17,6 gigatonnes par an d’ici 2040, soit une réduction d’un tiers par rapport au niveau actuel (54 gigatonnes de GES par an). Dans une telle hypothèse, volontariste mais réaliste, le scénario du monde économe (EWS) de l’AIE prévoit une stabilisation à son niveau actuel notre consommation d’énergie finale, malgré un doublement du produit mondial brut d’ici à 2040.

Cette transition énergétique mondiale radicale est d’autant plus souhaitable qu’elle permettrait non seulement de réduire sensiblement les effets catastrophiques du changement climatique, mais également d’améliorer considérablement la qualité de l’air, ce qui aurait des effets bénéfiques majeurs sur la santé de centaines de millions de personnes. Faut-il en effet rappeler qu’une vaste étude allemande publiée en mars dernier dans le Journal de Santé européenne a révélé que la pollution de l’air tuait chaque année 8,8 millions de personnes par an dans le monde (soit un décès sur six), ce qui est deux fois plus que ce qui était admis jusqu’à présent (Voir European Heart Journal).

Les effets de cette transition énergétique mondiale accélérée seraient également très positifs en matière d’emplois, puisque, selon l’OMT, une telle transition de grande ampleur entraînerait une création nette de 18 millions d’emplois d’ici 2030, qui viendraient s’ajouter aux 11 millions déjà existant dans ce secteur des énergies propres.

Je le dis avec force : il est dommage, pour ne pas dire incompréhensible, que la France, qui dispose à la fois d’une situation géoclimatique exceptionnelle et d’un immense domaine maritime (11 millions de km2), n’affiche pas des ambitions beaucoup plus grandes dans ce domaine crucial de la transition énergétique vers une économie décarbonée et des énergies propres et renouvelables. Nous avons pourtant tout à y gagner sur le plan économique, social, technologique et sanitaire…Face aux attentes de plus en plus pressantes de nos concitoyens en matière de lutte contre le changement climatique, mais également pour un environnement plus sain et moins pollué, notamment dans le domaine des transports, c’est maintenant qu’il faut passer à la vitesse supérieure, si nous ne voulons pas être redevables de notre inaction devant nos descendants et face à l’histoire…

Nous avons vingt ans, pas plus, pour repenser complètement l’organisation de nos sociétés et de nos économies de manière à diminuer de moitié nos besoins finaux en énergie, à doubler l’efficacité énergétique dans tous les secteurs d’activité et produire les trois-quarts de notre énergie à partir de sources renouvelables. C’est à ce prix que nous parviendrons, non seulement à maintenir dans des limites supportables pour notre espèce les effets du changement climatique, mais également à améliorer de manière décisive la santé et la qualité de vie au niveau mondial et à relancer sur des bases écologiquement durables, le développement économique et technique mondial dont le monde a besoin pour sortir définitivement, au cours de ce siècle, tous les hommes de la misère et leur offrir enfin un avenir digne et porteur d’espoir.

René TRÉGOUËT

Sénateur honoraire

Fondateur du Groupe de Prospective du Sénat

e-mail : tregouet@gmail.com

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