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Edito : Pour que la Recherche française retrouve la voie de l'espérance

Selon la classification devenue classique de Claude Reich, l'emploi de l'avenir se divise dorénavant en trois catégories : le travailleur routinier, les services à la personne et à la nature et les enrichisseurs de signes. Le travailleur routinier, celui qui accomplit toujours les mêmes gestes et applique les mêmes process pour produire des biens matériels ou immatériels, comme l'agent de production sur sa chaîne ou l'agent de service devant son écran, est celui qui est le plus en danger. En effet, bien que sa productivité ait parfois été augmentée par des multiples de 100 depuis vingt ans grâce à des robots et à des chaînes automatisées, il est en concurrence directe avec le travailleur routinier tunisien, roumain et surtout chinois dont le coût horaire réel est nettement moins élevé. Les services à la personne et à la nature constituent le corps central de notre société dont l'importance ne va faire que croître dans les années qui viennent. En effet, avec l'allongement de la vie et les soins de plus en plus complexes qu'exige la Nature, il nous faudra de plus en plus d'infirmières, d'aides-soignants, mais aussi de coiffeurs ou de serveurs dans les restaurants. Tous ces emplois auxquels il faut globalement rattacher le corps des fonctionnaires tels que les policiers ou les enseignants ont ceci de commun qui est angoissant dans notre monde moderne : leur productivité ne peut pas réellement croître. Aujourd'hui, en 2004, une infirmière met le même temps qu'il y a un demi-siècle pour faire une piqûre. Il en est de même, et heureusement, du temps passé par un serveur pour nous servir un repas au restaurant. Il y a ainsi tout un corps central dans notre Société qui ne bénéficie pas de cet élan apporté par le développement mondial des échanges, et dont les revenus stagneraient si dans sa mission fondamentale d'égalité l'Etat ne demandait pas aux autres catégories de notre Société d'être solidaires. Mais il n'est jamais facile d'être socialement dépendant des autres. Cela nous permet de mieux comprendre pourquoi, depuis une dizaine d'années, les conflits se développent essentiellement dans ce corps central des services à la personne ou à la nature. Ces conflits mobilisent non seulement les fonctionnaires, les médecins, les infirmiers, les agriculteurs, les restaurateurs, mais aussi bien d'autres catégories sociales. Or, l'erreur fondamentale qui est actuellement faite dans notre Pays, non seulement par les Pouvoirs Publics, mais aussi par les chercheurs eux-mêmes, est que par son statut fonctionnarisé nous voulons placer la Recherche dans ce corps central de services à la personne et à la Nature. Par définition, le chercheur doit se retrouver avec l'ingénieur, l'architecte, le concepteur de logiciels et les millions d'êtres humains dont les métiers reposent exclusivement sur leurs savoirs parmi ces « enrichisseurs de signes » qui constituent le corps dynamique sur lequel repose l'avenir de nos sociétés modernes. Ces « enrichisseurs de signes » voient leur efficacité croître d'une façon sidérante depuis un demi-siècle grâce aux vitesses de calcul et à la mémoire des systèmes informatiques. Aussi, vouloir donner à nos chercheurs, comme l'a fait la Loi Chevènement au début des années 1980, un statut de fonctionnaire a été une terrible erreur pour la Recherche française.

Vouloir comparer la vie d'un chercheur avec celle d'un policier ou d'un juge et lui dire à 30 ans comment se déroulera sa carrière et quels seront son statut et son salaire quand il arrivera à l'âge de la retraite est une aberration. Le chercheur doit avoir pour compagnon l'imprévu et celui qui n'accepte pas le risque donc l'espérance de la découverte ne mérite pas le titre de chercheur. La juste contrepartie de cette incertitude doit être une bien plus grande considération et des rémunérations en rien comparables à celles d'un fonctionnaire dont le destin est déjà écrit. On se lamente actuellement dans notre Pays de voir les jeunes se détourner des carrières scientifiques et de trop souvent vouloir s'expatrier quand ils ont terminé de brillantes études. La raison en est malheureusement bien simple : La science ne rapporte plus assez dans notre pays fonctionnarisé. Notre Pays n'a pas su classer dans la bonne catégorie ses scientifiques les plus brillants. Alors, souvent, trop souvent, ils s'expatrient, essentiellement vers les Etats-Unis, car là-bas les salaires sont 3 à 5 fois plus élevés. Certes, en contrepartie il y a l'incertitude, la précarité. Mais dans cette compétition mondiale qui accorde une place de plus en plus importante aux « enrichisseurs de signes » ceux qui ont un bagage intellectuel brillant n'ont rien à voir avec les travailleurs routiniers dont la situation est de plus en plus précaire. Aussi, pour l'aider à surmonter sa grave crise actuelle, il faut aider la Recherche française à sortir par le haut. Il faut donner la possibilité, à tous ceux qui en ont la volonté et la capacité, de faire de leur vie une aventure exaltante. Ils doivent pouvoir choisir entre le statut de fonctionnaire et celui de chercheur. Celui qui choisira le statut de chercheur, avec tous les risques que cela comporte dans toutes les sociétés libérales du Monde, devra pouvoir avoir la même considération et gagner autant d'argent que s'il se trouvait aux Etats-Unis. S'il y avait, enfin, une réelle volonté politique pour atteindre ce noble but, vital pour l'avenir de la France, il faudrait fondamentalement revoir toutes les structures qui ont peu à peu rigidifié l'ensemble de la Recherche française depuis un demi-siècle. En contrepartie de cette véritable révolution culturelle qui serait demandée à tous les chercheurs, la Nation unanime devrait inscrire dans sa Loi fondamentale l'effort immense qu'elle consentirait à l'effort de Recherche de la France pendant toute la prochaine génération, jusqu'en 2030. Aucun gouvernement, de Gauche ou de Droite, ne pourrait revenir sur cet engagement solennel. Ce n'est que par cette démarche hors du commun que la France retrouvera la voie de l'espérance.

René TRÉGOUËT

Sénateur du Rhône

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